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Souterrains de Lyon : la guerre entre anciens et nouveaux explorateurs, les urbex

L’exploration des souterrains n’est pas réservée aux catacombes parisiennes. A Lyon, elle existe aussi de façon clandestine. Longtemps menée par quelques passionnés, cette pratique suscite l’intérêt d’une nouvelle génération de cataphiles, provoquant des frictions entre « anciens » et « modernes ».

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Dans les souterrains de Lyon, mars 2012. Crédit : Yann Samain/Rue89Lyon.

Les souterrains de Lyon, on m’y a emmené. Pas le droit dire par où nous sommes entrés, le secret est l’une des règles fondamentales de l’exploration. Frontale bien mise, sur recommandation de mon guide, j’agrippe des barreaux tordus et me glisse dans l’ouverture d’un petit tunnel, dissimulés par des buissons.

J’atterris dans une galerie en pente.

La voie est facile, mais mes chaussures plates d’amateurs manquent de me faire descendre les 20m d’escalier sur les fesses. En bas, des vieilles pierres, des restes laissés par les expéditions précédentes, des bougies, et le silence.

Je suis vite rejoins par les trois autres membres du groupe. Le décor se dévoile à la lueur des lampes torches : une pièce vide, donnant sur un ensemble de galeries datant probablement du XVIIe siècle. Sur les murs, beaucoup de graffitis. Laura (les prénoms ont été changés), jeune « urbex », grimace :

« J’aime pas trop ça, les graffs sur les vieilles pierres. »

 

La scène la plus secrète de France

La scène lyonnaise de l’exploration souterraine, ou cataphilie, a la réputation d’être l’une des plus secrètes de France. Et pour cause. Pendant de nombreuses années, les quelques accès permettant d’accéder aux sous-sols ne sont restés connus que d’une petite trentaine de personnes seulement. Contrairement à Paris, où l’on parle de milliers de visiteurs clandestins par an dans les catacombes.

La municipalité, principalement pour des raisons de sécurité, a toujours cherché à empêcher, ou du moins à restreindre cette pratique. Si les sous-sols n’appartiennent a priori à personne, un arrêté de 1989 interdit au public d’en emprunter les accès, qui sont la plupart du temps scellés.

La commission des balmes, créée en 1930 suite aux éboulements de Fourvière, met en garde contre les dangers qui menacent les explorateurs souterrains : mauvaise chute, effondrements… Autant de mesures qui visent à décourager, mais stimulent également le goût du risque et de l’interdit.

Et depuis quelques années, une nouvelle pratique se développe : l’Urbex. Contraction de l’anglais Urban Exploration, soit exploration urbaine. Les « urbex » ou « urbexeurs » sont venus à la cataphilie sur le tard, après avoir commencé par la visite de friches industrielles, de toits, d’immeubles abandonnés ou de tout endroit difficilement accessible et peu fréquenté.

Ils sont de plus en plus nombreux à Lyon à arpenter les galeries, anciennes voies de drainage et autres passages secrets datant parfois du Moyen-Age, voire de l’Antiquité.

Dans les souterrains de Lyon, mars 2012 : « Prisonnier », réalisé par Cart1. Crédit : Yann Samain/Rue89Lyon.

« La règle est un peu la même que pour le Fight Club : on n’en parle pas »

Cette hausse de la fréquentation ne plaît pas forcément aux cataphiles originels. Neuro, propriétaire d’une boutique spécialisée dans le matériel d’exploration urbaine, constate l’accroissement du phénomène « urbex » et ne s’en réjouit pas vraiment :

« Avec la nouvelle génération, s’est mis en place un système d’échanges de lieux, de bons coins à visiter. C’est ce que j’appelle les « explorateurs Facebook ». Le problème, c’est que plus les lieux sont connus, moins ils sont protégés. »

Le principal reproche qui est fait aux urbex est de publier sur Internet des photographies beaucoup trop explicites, qui dévoilent l’accès des souterrains. De nombreux spots sont aujourd’hui considérablement endommagés, couverts de graffitis. Pour Neuro, « la dimension éthique se perd ».

La plupart des cataphiles les plus anciens se décrivent avant tout comme des passionnés d’histoire, d’architecture, en quête d’une certaine tranquillité. Ils considèrent être inscrits dans une démarche radicalement différente, et mettent en avant leur volonté de préserver les sites qu’ils visitent. D’où une grande discrétion, dont Neuro se moque gentiment :

« La règle est un peu la même que pour le Fight Club : on n’en parle pas. »

Cette discrétion a alimenté un certain mystère, donc de nombreux fantasmes : des messes noires dans les caveaux antiques, jusqu’au fameux lac qui se trouverait sous Fourvière.

« Des conneries », selon Neuro.

Dans les souterrains de Lyon, mars 2012. Crédit : Yann Samain/Rue89Lyon.

 

L’Urbex, une pratique, plusieurs attitudes

Le profil type de l’urbex reste cependant très flou. Il est difficile de cerner une seule attitude, une seule démarche qui l’opposerait fondamentalement à celle de ses prédécesseurs. Ceux que nous avons pu rencontrer partagent par exemple les préoccupations des anciens sur la question de la préservation des sites.

Miguel, mon guide dans les souterrains, s’intéresse à l’histoire des lieux qu’il visite, et dit faire attention aux personnes à qui il confie les « bonnes adresses ». Lui aussi considère que « plus un lieu est fréquenté, plus il est dégradé. »

A l’inverse, certains explorateurs, comme Roudoudou (son nom de scène), urbex parisien maintenant installé à Lyon, critiquent le « culte du mystère » qui entoure la cataphilie. Comme il le dit sur son site, en des termes fleuris :

« Le cataphile se pense rituel et clandestin alors qu’il n’est qu’asocial et stupide. Il s’approprie tout au nom de la liberté (ma salle, mon tag, mon vomi) et refuse la circulation de l’information qu’il a déjà. »

Ces différences d’approche s’expliquent facilement : les urbex sont beaucoup plus nombreux. A Lyon, ils seraient plusieurs centaines. Si la plupart sont venus à l’exploration urbaine par la photographie, certains mettent également en avant une volonté de se réapproprier l’espace, de redécouvrir l’histoire de sa ville, et des générations précédentes. D’autres n’y voient qu’une occasion de détente, ou de faire la fête là où aucun voisin ne viendra couper le disjoncteur.

 

« Qu’on aille foutre son blase sur un mur roman, j’ai du mal à comprendre »

Samy Rabih, secrétaire de l’OCRA Lyon, association dédiée à la protection et la mise en valeur du patrimoine souterrain, est critique, mais se montre relativement compréhensif :

« C’est sûr que les générations récentes ont moins de respect pour les vieilles pierres. Ils vont faire les choses d’une manière pas très classe parfois. Mais on a tous été des amateurs à un stade. Aujourd’hui, en tant qu’association, on a des engagements moraux qui font qu’on ne peut pas les cautionner. Mais quelque part, on les comprend. »

L’OCRA est la face légale de la cataphilie. Un petit réseau d’anciens explorateurs qui ont décidé de se monter en association, pour tenter de protéger les souterrains. Aujourd’hui, le risque est réel de voir se perdre une partie du patrimoine souterrain lyonnais. Sauf que les urbex seraient loin d’être les seuls en cause.

Pour Poisson (pseudonyme d’un ancien cataphile, ancien membre de l’OCRA), ils ne posent réellement problème que lorsqu’ils font des graffitis :

« La vraie scission, c’est le graff’. Qu’on aille foutre son blase sur un mur roman, j’ai du mal à comprendre. »

La principale menace viendrait davantage, selon lui, des autorités municipales, lorsqu’elles tombent sur des sites anciens et décident de bétonner.

Parmi les sites les plus connus : les arêtes de poisson, un mystérieux réseau de galeries, menacé il y a quelques années par le percement du second tunnel de la Croix-Rousse. Les cataphiles s’était alors mobilisés pour faire connaître ce site du grand public, et éviter sa destruction.

Dans les souterrains de Lyon, mars 2012. Crédit : Yann Samain/Rue89Lyon.

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Avec des explorateurs urbains : « Entrer ce n’est qu’une étape » sur Rue89

 


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