HLM de la Duchère – Fonds Marcelle Vallet de la Bibliothèque municipale de Lyon. 1960
A Vaulx-en-Velin, Vénissieux ou ailleurs, les habitants de la banlieue Est de Lyon en ont vu défiler : politiques, technocrates ou universitaires. Tous venus pour « refonder la politique de la ville » ou lancer un « Plan espoir banlieue ». Le gouvernement socialiste ne déroge pas à la règle.
En décembre, le ministre délégué à la Ville du gouvernement Ayrault, François Lamy, confiait l’écriture d’un rapport sur « l’empowerment dans les banlieues » à Mohamed Mechmache, à la tête d’AC Le Feu, fondée au lendemain des émeutes de 2005 à Clichy-sous-Bois.
Ça a beau être Mohamed Mechmache, c’est-à-dire un des leurs, l’espoir d’un changement s’est considérablement émoussé.
« Nous sommes fatigués de discourir »
Depuis janvier, Mohamed Mechmache et une universitaire, Marie-Hélène Baqué, ont donc entrepris un tour de France des quartiers populaires, leur lettre de mission du ministre sous le bras :
« Etudier comment mieux prendre en compte les personnes et les communautés vivant dans ces quartiers, notamment celles qui sont les plus absentes du débat public. (…) Etudier comment développer le pouvoir d’agir des habitants des quartiers en expérimentant de nouvelles formes d’organisation collective ».
Ce lundi, les deux missionnés étaient dans la banlieue lyonnaise. Ils ont été reçus, à Vaulx-en-Velin, au Mas du Taureau, par l’association Agora-Valeurs des quartiers.
Au lendemain des émeutes vaudaises d’octobre 1990, cette association avait été créée, notamment par Pierre-Didier Tchétché-Apéa. Il dresse le tableau de quelques travaux sur la banlieue auxquels il a participé :
« J’ai été auditionné par la Cour des comptes et j’ai siégé au Conseil national des villes, l’instance qui fait des propositions au ministre de la Ville. »
Il a du mal à croire à un énième rapport qui ferait « bouger les choses » :
« On ne se fait aucune illusion sur la portée d’un tel rapport. On est même fatigué de discourir. »
Mohamed Mechmache répond que lui aussi « n’est pas dupe ». Mais il « veut tendre une perche aux associations » :
« Il y a une brèche. Il faut la saisir. Au moins pour que les politiques ne puissent pas nous dire que, nous, associatifs, nous n’avons pas fait de proposition ».
Il a d’ailleurs déjà convié une centaine de militants des associations des quartiers au week-end « tous frais payés » de restitution de son rapport, à la fin du mois de juin. Afin que les associatifs viennent eux-mêmes soutenir ce rapport.
Trois militants de l’association Valeurs des quartiers-Agora, association historique du Mas du Taureau à Vaulx-en Velin. Photo : Laurent Burlet
Essoufflement et éclatement associatif
Mais les militants des banlieues ont-ils la force de porter une nouvelle plateforme revendicative ?
A titre d’exemple, le lancement national en juin 2012 du mouvement politique « Force Citoyenne Populaire » (FCP) n’a eu qu’un écho confidentiel au niveau national.
Pour l’universitaire Marie-Hélène Baqué, cet « essoufflement des associations » est l’un des premiers enseignements qui ressort de leur tour de France. Lequel va bientôt s’achever.
Et encore. Pierre-Didier Tchétché-Apéa tient à préciser que nombre d’habitants de ces quartiers ont perdu tout espoir de changement :
« Nous, les militants, nous sommes les seuls à avoir encore un peu d’espoir de changement dans ces quartiers. C’est pour ça que nous participons encore à ce genre de rapport. Parce que nous voulons encore nous battre pour nos quartiers ».
Ces militants associatifs que Marie-Hélène Baqué et Mohamed Mechmache ont rencontrés mettent également en avant un « clientélisme » qui serait à l’oeuvre dans les quartiers. Pierre-Didier Tchétché-Apéa poursuit :
« Avec les politiques, on est soit avec eux, soit contre eux. Ils ne comprennent pas autre chose qu’une logique de réseaux et de clans ».
Des propositions d’« empowerment »
Malgré tout, les associations ont joué le jeu. Agora-Valeurs des quartiers a avancé des propositions sur la démocratie locale pour « donner du pouvoir aux habitants » et contrer cette logique « clientéliste » :
- Le tirage au sort pour être membre des conseils de quartiers.
- La rémunération de ses participants.
- Une codécision partagée entre les conseils de quartier et les élus.
- Aider les habitants des quartiers qui veulent créer des entreprises.
Abdelghani Delli, militant d’Agora commente :
« Le ministère de la Ville parle beaucoup d’empowerment. Nous, nous n’avons pas attendu qu’il en parle pour faire des propositions qui donne du pouvoir aux habitants ».
Mais les militants associatifs doutent de la sincérité de cette volonté affichée de donner du « pouvoir d’agir » aux habitants des quartiers. Surtout depuis que François Hollande a encore repoussé le projet de loi sur le droit de vote des étrangers.
« Les musulmans sont criminalisés »
Abdelaziz Chaambi, ancien participant de la Marche pour l’égalité et contre le racisme (dite marche des Beurs) de 1983, préside actuellement la Coordination contre le Racisme et l’Islamophobie (CRI). Avec d’autres membres de son association, il a également été auditionné. Il se montre très virulent contre l’actuel gouvernement :
« François Hollande refait la même bêtise que François Mitterrand. Il nous trahit ».
Pour lui, ce rapport sur « la participation citoyenne dans les quartiers » est de la « poudre aux yeux ». Il a quand même tenté de faire passer son message à Mohamed Mechmache pour « qu’il transmette aux sommets de l’Etat ».
Il a attend surtout que le gouvernement lutte contre l’islamophobie qui concerne au premier chef les quartiers populaires.
Mais Abdelaziz Chaambi trouve que l’actuelle majorité ne fait qu’aggraver les choses, notamment avec ce qu’il nomme la « loi anti-nounou voilée », à savoir la proposition de loi interdisant les signes religieux pour les assistantes maternelles, présenté en janvier dernier à l’Assemblée nationale après un vote au Sénat.
« Avec ce genre de texte, on est en train de criminaliser les musulmans. »
Mohamed Mechmache a promis de transmettre.
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