Pantha du Prince. DR
Ça pour une belle fête d’anniversaire, c’était une belle fête d’anniversaire : de l’accueil des séminaux New Order à la mise en chantier du bouquin commémoratif 10 ans sans dormir en passant par la conclusion de sa programmation nocturne avec un plateau secret, le festival Nuits Sonores a l’an passé mis les petits plats dans les grands au moment de célébrer sa décennie d’existence. À tel point qu’on ne voyait pas bien comment il allait pouvoir poursuivre sa croissance sans en rajouter.
Vincent Carry et son équipe ont mis fin à nos interrogations de la meilleure manière : en concevant une édition 2013 qui, loin de la surenchère crainte, s’annonce comme l’une des plus pointues et les plus harmonieuses de son histoire.
Un génie, cinq associés, plein de cloches
Hormis Busy P, le fantasque manager du label Ed Banger, Carl Cox, le fidèle Laurent Garnier, Vitalic et à la rigueur Jamie XX, le machiniste des sinistres The XX, la programmation s’articule en effet autour d’artistes d’une notoriété cantonnée à un public un minimum connaisseur.
Mieux, le traditionnel concert spécial ne figure pas au programme. En tout cas officiellement. Car il est bien une prestation qui mériterait ce qualificatif : celle que donnera à l’invitation conjointe de Arty Farty et du Øyafestivalen, l’un des plus importants festivals scandinaves, Pantha du Prince, référence de la techno dite minimale, avec le Bell Laboratory, un ensemble mené par le compositeur norvégien Lars Petter Hagen de quatre musiciens versés dans l’art de la résonance métallique (un carillonneur, un vibraphoniste, un organiste et un percussionniste).
Pantha Du Prince & The Bell Laboratory- « Spectral Split ».
Et la lumière fut
Un producteur de musique électronique qui se produit avec une formation orchestrale n’est en effet pas chose banale. Dans le cas de cet Hambourgeois né Hendrik Weber, ce rapprochement tombe pourtant presque sous le sens, son travail se caractérisant depuis ses débuts par sa texture organique, obtenue notamment par le recours à des enregistrements de terrain ou par l’incorporation de sonorités émises par des cloches, instruments pour lesquels il se passionne.
«Je m’intéresse aux cloches parce qu’elles produisent le son le plus puissant que je connaisse, mais aussi le plus neutre, explique-t-il.
Elles ne sont pas associées à une histoire culturelle en particulier. Leur son est en quelque sorte libre. C’est également leur symbolique qui m’intéresse, en ce qu’elles représentent l’accès à un monde immatériel et hors du temps». Ce monde, Weber l’a entrevu à Oslo à l’été 2010, lorsqu’il a entendu jouer le carillon de l’hôtel de ville et s’est émerveillé de la façon dont se propageaient ses notes.
La suite, de la conception d’un projet autour d’un dispositif de ce type (celui de Pantha du Prince pèse trois tonnes et embarque cinquante cloches en bronze) à sa première représentation un an plus tard en passant par la rencontre avec les membres du Bell Laboratory, a été coordonnée par le fameux Øyafestivalen.
Éléments concluants
Le disque résultant, lui, s’intitule Elements of Light et a été publié, comme Black Noise, le chef d’œuvre de Pantha du Prince, chez Rough Trade, mythique label originellement dévolu au rock indé.
Balayant d’un geste romantique plus de trois mille ans d’histoire – le carillon a été inventé en Chine en 1500 av. J.C. – et résonnant autant avec les recherches des pères du minimalisme (Reich, Riley, Glass) qu’avec les expérimentations philharmoniques du pionnier de la techno Jeff Mills (dont l’un des morceaux phares s’intitule d’ailleurs The Bells), il en partage la portée scientifique. Les mélodies chatoyantes de Black Noise contrastaient avec la notion de bruit noir, une fréquence audio quasi-imperceptible qui précède les catastrophes naturelles.
Les échos hypnotiques d’Elements of Light, eux, partant du principe qu’un aveuglement solaire ou une illumination succède toujours à l’écoute d’un son de cloche, illustrent les états de la lumière. C’est d’ailleurs en blouse que Pantha du Prince et le Bell Laboratory retranscrivent cette ambition, le temps de concerts qui, sans perdre de l’ambition ayant présidé à cette collaboration et bien qu’ils demandent à chacune des deux parties une rigueur extraordinaire, s’apparentent comme toute soirée électro digne de ce nom à des épiphanies collectives.
Quand on lui demande ce qui l’a fait tomber dans la techno, Pantha du Prince ne dit pas autre chose :
«Plus que la musique en elle-même, c’est sa forme qui m’a interpellée : la célébration de la danse, du corps, d’une certaine idée de l’infini, et le sentiment d’évasion qu’elle procure. C’est quelque chose qui m’a fasciné jusque dans les os».
Par Benjamin Mialot, sur petit-bulletin.fr.
Chargement des commentaires…