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Disquaire, une profession menacée

Disquaire, profession menacée ? Rien n’est moins sûr. Alors que les grandes enseignes se plaignent d’une baisse de la consommation musicale, les petits distributeurs affichent encore une surprenante bonne santé. Trois disquaires lyonnais nous aident à faire tomber les clichés qui entourent encore les passionnés de galettes, de platines et de Compact Disc.

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La boutique Sofa Records à Lyon. Crédits : Yann Samain/Rue89lyon

On les disait morts et enterrés, écrasés par la concurrence des grosses chaînes de distribution type Fnac ou Virgin. Et pourtant les disquaires sont toujours là. Et alors qu’on n’entend plus parler que de crise de la musique et des ravages supposés du téléchargement, les petits commerçants indépendants affichent encore des vitrines chargées de vinyles.

Ce support était pourtant présenté il y a encore quelques années comme condamné à une disparition certaine, ou réservé à quelques DJs perdus dans le décor. Beaucoup d’idées reçues continuent d’entourer une profession bien plus dynamique qu’il n’y paraît à l’heure de la musique dématérialisée. Décryptage avec Dangerhouse, Sofa Records et Livity Reggae, trois institutions dans le monde des disquaires lyonnais. Rue89lyon fait le point sur les idées reçues.

 

Idée reçue n°1 : les disquaires, ces dinosaures qui meurent à petit feu

Livity Reggae est installé dans le Vieux Lyon depuis 8 ans, Sofa Records depuis 13 ans, et Dangerhouse détient la palme avec bientôt 24 années d’activité au compteur. Tous les trois évoquent un marché plutôt stable, qui connaîtrait même une certaine reprise. Pierre Olivier Leclercq, boss de Sofa Records assure même :

« Je recommence à vendre certains vinyles, des classiques, qu’il aurait été impensable de refourguer il y a dix ans. »

Si la baisse de la consommation ne les affecte pas tant que ça, c’est, selon eux, parce qu’ils ne s’adressent justement pas aux consommateurs lambda, mais aux amateurs de musique. Si le marché du vinyle a chuté depuis les années dorées de 1960-1970, les disquaires ont toujours pu compter sur un minimum de clientèle, de passionnés ou juste d’amateurs éclairés. Pour Livity Reggae, le plus dur est passé.

« A l’époque, quand on s’est lancés et qu’on a voulu louer un espace pour le magasin, on a fait exprès de dire au banquier qu’on vendrait des CDs (un petit bac traîne effectivement près de la porte NDLR). Vendre des vinyles, c’était considéré comme une activité à risques. Mais de manière générale, il y a encore beaucoup de gens qui viennent vers nous, et on peut compter sur une clientèle plutôt fidèle. »

Le reggae reste le genre musical qui conserve le vinyle comme support de référence. Ici, des bacs chez Livity Reggae. Crédits: Yann Samain/Rue89lyon

 

Idée reçue n°2 : les disquaires se maintiennent en se spécialisant

Vrai et faux à la fois. Il est vrai que c’est sur ce point que la concurrence de la Fnac et de Virgin se fait le plus sentir. Règle simple : l’offre est beaucoup plus importante du côté des grosses boîtes. Beaucoup de disquaires cherchent donc à creuser des « niches », comprendre, des genres musicaux très spécialisés.

« Je n’ai pas les arguments, ni les moyens, ni les volumes financiers pour lutter avec les grands distributeurs, et je ne voyais pas non plus l’intérêt d’offrir la même chose que les références qu’ils ont déjà en bacs » souligne Bruno Biedermann, tôlier en chef de Dangerhouse.

Chez Sofa Records, on préfère relativiser. L’offre reste relativement généraliste, même si on a toujours plus de chances d’y trouver un classique d’Aretha Franklin que le dernier album de Shakira.

 « Pour nous, la niche existe par le support même : le vinyle, qui est déjà une niche en soi. (…) Après, oui, je développe des niches : musique du monde, Jazz, Black Music. Même si je ne suis pas raciste, j’aime bien le rock ! Selon moi, développer la niche pure et dure d’un style est une façon de survivre pour les boutiques en ligne (sur Internet). Mais je n’y crois pas pour les boutiques physiques. »

Une exception notable : les disquaires reggae, qui se sont dès le début spécialisés dans la musique Jamaïcaine. Ceux-là peuvent  compter sur un public particulièrement fidèle, et traditionnellement grand consommateur de vinyles.

Pierre-Olivier Leclercq, de Sofa Records. Crédits : Yann Samain/Rue89lyon

 

Idée reçue n°3 : on assiste en ce moment à un retour du vinyle

Là encore, une information à prendre avec précaution. Dans les faits, les ventes de vinyles, si elles ont largement diminué par rapport aux années 1960 et 1970, n’ont jamais connu d’interruption nette. Depuis 1989, une boutique comme Dangerhouse a ainsi toujours trouvé intérêt à privilégier les disques noirs par rapport aux autres supports.

« Même avec le pic du CD, je n’ai jamais eu plus de 30 ou 40% de CDs dans le magasin, le reste étant du vinyle. Pour donner une référence, pour la sortie d’un album, je vais vendre 15 vinyles pour un CD. »

Sans aller jusqu’à parler de retour, on peut néanmoins souligner un regain d’affection pour le vinyle de la part du public. Apprécié pour sa qualité en matière de son (les amateurs diront « sa texture de son »), il perd de plus en plus son image de support obsolète, et suscite à nouveau l’intérêt des producteurs.

Pour le dire encore plus concrètement : les maisons de disques, notamment européennes, recommencent à presser du vinyle. Les labels français, plus particulièrement, ne trouvent plus inutile de sortir les derniers artistes sur ce support, alors qu’ils avaient pris le parti de le laisser tomber au profit du CD. Aujourd’hui, on peut à nouveau trouver toutes les sorties récentes sur vinyle. Et paradoxalement, c’est la Jamaïque qui, aujourd’hui, y renonce, dixit Livity Reggae.

Crédits: Yann Samain/Rue89lyon

 

Idée reçue n°4 : il n’y a plus que des vieux pour écouter des vinyles

Dans les faits, le profil type de l’acheteur se détermine plus en fonction de son approche de la musique que par rapport à son âge. « Le profil ? je dirais plutôt un malade mental » plaisante Pierre-Olivier Leclerq de Sofa Records. Le gros de la clientèle lyonnaise se composerait ainsi de personnes entre 30 et 50 ans. Une tranche d’âge plus susceptible de pouvoir se payer les précieuses galettes – un vinyle neuf se vend aux alentours de 20 euros – mais également très hétérogène, a priori, sur le plan de l’évolution des pratiques musicales.

Fait plus marquant, on constate un retour de la jeune clientèle, comme l’explique Pierre-Olivier Leclerq :

« Là je touche des gens qui vont de 16, 17 ans, 18 ans, jusqu’à 60 ans (…) Beaucoup de jeunes viennent acheter ces derniers temps. Beaucoup plus qu’il y a 4 ou 5 ans, c’est évident. Et tant mieux. Il y en a qui vont devenir accro au support, et puis ils continueront à acheter. Ça représente peut-être 5%, mais ça a toujours été le cas en fait, chez les jeunes, ce côté consommation un peu teenage. »

Vinyles - Platine - Disquaires
Crédits: Yann Samain/Rue89lyon
Idée reçue n°5 : le téléchargement tue les petits distributeurs

L’inverse serait peut-être plus proche de la réalité. Il est troublant de constater que l’arrivée de cette nouvelle clientèle jeune coïncide avec le moment même où le téléchargement et l’écoute en ligne se généralisent comme des pratiques courantes. Pour Pierre-Olivier Leclerq de Sofa, les deux phénomènes sont liés :

« Honnêtement, je pense que mes gros clients sont ceux qui téléchargent le plus. Car ce n’est pas incompatible. Et ceux qui téléchargent énormément, c’est-à-dire les gamins, n’ont rien à voir avec moi. (…) C’est deux mondes. Qui ne s’opposent pas, mais qui ne sont pas les mêmes. »

Il y aurait donc d’un côté, le consommateur de base, qui ne mettrait de toute façon pas un pied chez un commerçant spécialisé, et de l’autre l’amateur éclairé, qui recherche une certaine qualité d’écoute. Le téléchargement permet d’attirer à nouveau les jeunes, et les personnes à faible budget en général, puisqu’il permet de « cibler » les achats en découvrant d’abord les artistes sur Internet. Quitte à écouter ensuite les conseils des pros.

« C’est un instrument de découverte fabuleux, s’enthousiasme Bruno Biedermann, ensuite, il ne faut pas se faire leurrer par le son, tu as des formats audio qui sont catastrophiques en ligne. Des fois tu écoutes des disques, tu te dis « ça ressemble à rien », et après quand tu écoutes le vinyle, ou même le CD, tu as une ampleur de son qui est incroyable. »

Et à l’heure de la dématérialisation, le vinyle comme le CD présentent l’avantage non négligeable d’apporter un support concret, et ô combien symbolique.

Bruno Biederman. Crédits: Yann Samain/Rue89lyon

 

Idée reçue n°6 : un vinyle, c’est fragile

Oui mais non. Question de soin et de matériel, ça ne fait pas un pli. Laissez le trainer sous le canapé, il ne tiendra pas deux semaines, prenez en soin, il vous survivra.

« L’inconvénient, c’est que c’est lourd. Mais la culture n’est pas faite pour être pratique, contrairement à ce qu’on nous vend. Un livre aussi est lourd et fragile. Alors oui, un vinyle c’est fragile. Mais au final, tu as des disques qui ont 50 ans, qui ont un son qui bouge toujours pas. Je ne suis pas un ayatollah du vinyle, même si je ne vends que ça, parfois j’aimerais vendre plus de CDs parce qu’il y a des choses qui existent en CD et qui n’existent pas en vinyle. Mais le problème du CD est que ça reste une petite boîte en plastique sans aucun charme ».

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