Le journal allemand Die Welt avait qualifié de « pornographique » l’une des expositions les plus enthousiasmantes de cette 13ème Biennale du design de Saint-Etienne, lorsqu’elle fut montrée à Francfort. Alors en quoi serait-il outrageant, le propos féminin et féministe de cette scénographie originale, parmi la cinquantaine d’expos de l’évènement ?
Non loin de la tondeuse légère spécialement designée pour les dames, non loin des gants de bricolage et du tournevis rose vif, du soutien-gorge pour femmes ne souhaitant pas de prothèse à l’issue de l’ablation d’un de leurs seins, on passe devant cette grande pince à la courbe engageante. Une sorte d’instrument à bec métal, avec zone de préhension ergonomique en plastique blanc. Le descriptif est très clair :
« Outil permettant de pratiquer soi-même des IVG en toute intimité et à volonté. »
« Projet IVG, Maxime Gianni, 2010 », à la Biennale du Design de Saint-Etienne de 2013. Crédit : CC/Rue89Lyon.
Signée Maxime Gianni, jeune designer sorti de l’école des Beaux-Arts de Marseille il y a deux ans, l’avorteuse tire la bourre, en termes de provocation, à un autre outil sorti de l’imagination du même auteur. Soit une fine et ravissante cuillère en métal poli, étincelante et n’ayant jamais servi, permettant aux anorexiques de se faire vomir.
Rodolphe Dogniaux, co-commissaire de l’expo « C’est pas mon genre ! » fait tomber le couperet avec détachement :
« Là, l’acte de création pourrait clairement être perçu comme misogyne. »
Et il prévient, un peu plus tard :
« Ce n’est pas une expo militante, on refuse le discours militant, même si on expose des féministes, comme les architectes et designeuses qui interviennent dans la revue Petunia et parlent de la création contemporaine. »
Aussi Maxime Gianni est-il exposé dans cet espace de la Cité du design au même titre que les célèbres sex toys de Matali Crasset.
Ou encore que le baby-foot fushia dont les joueurs, joueuses en l’occurrence, sont des poupées Barbie. Ce dernier objet, parmi les 100 pièces de designers français, trouvées par Marc Monjou et Rodolphe Dogniaux, ne constitue pas un « vrai choix ». Le babyfoot commercialisé par la marque Bonzini (une petite vingtaine d’exemplaires édités chaque année) avait été imposé dans la sélection pour le Museum für Angewandte Kunst de Francfort où l’expo, conçue avec les élèves de l’école de Saint-Etienne, s’est installée à l’automne 2012.
Le Barbie Foot de Bonzini, exposé à la Biennale du Design de Saint-Etienne.
Un sein et des dieux
Il n’est en effet pas l’objet le plus frappant, bien qu’imposant par sa taille et sa couleur à la limite du supportable. Dans l’expo, on colle aussi les affiches d’une campagne contre les violences faites aux femmes. « Femmes battues et femmes battantes », corrige Rodolphe Dogniaux, en désignant à côté les sous-vêtements cousus dans les matières et l’épaisseur de gants de boxe.
« C’est pas mon genre ! » a tendance à montrer et démontrer une pression exercée sur les corps et les esprits, en bavardant sur la dictature de la maigreur, par exemple. Mais parfois, la ligne graphique est la seule motivation du choix d’un objet, dont l’usage a priori spécifiquement féminin (comme le canevas) justifie la présence dans l’expo.
Elle mêle donc designers inconnus, confirmés, intégrés, tous Français. Mais ajoute aussi du « non-design ». En présentant sur un mannequin ce soutien-gorge conçu pour les femmes qui, après un cancer du sein, refuse la chirurgie réparatrice. Et n’auront donc jamais plus qu’un sein à soutenir. Rodolphe Dogniaux s’arrête tout particulièrement devant :
« Pour moi, c’est là où le design est le plus juste, alors que c’est fait par une association et qu’il n’y a quasiment pas de designer derrière. C’est honnête, modeste, il n’y a pas de surenchère esthétique, et on aborde la question du cancer du sein. C’est donc une pièce majeure de l’exposition, mais Marc (Monjou, l’autre commissaire, ndlr) et mes étudiants en auraient sans doute d’autres. «
Mon cher aspirateur
Le travail des femmes (en usine notamment, au travers de l’attirail pour ouvrière imaginé par Anne Fontaimpe), leur sexualité, le rapport à leur corps, à une maladie hormonale, l’histoire des attributs féminins… Les thèmes traversés évoquent en creux, pour nombre d’entre eux, la figure de l’homme, voire l’image du couple, l’opposition des sexes et l’organisation sociale de la famille. Les objets peuvent-ils donc être genrés ? A cette question, Rodolphe Dogniaux répond en pointant du doigt un toc commercial :
« On peut le faire de façon très maladroite, comme l’industrie le fait. Avec des outils roses, par exemple. Là, c’est le degré zéro du genre. Ceux-là, on les trouve chez Leroy Merlin par exemple. »
Alexandra Midal, historienne et théoricienne du design, est intervenue dans une note du catalogue de l’expo, notamment pour dater le premier geste de design à 1940, le liant à l’émancipation de la femme comme à son esclavage, avec la ré-interprétation d’objets spécifiquement conçus dans sa direction.
C’est donc le moment où l’on retourne voir la tondeuse à gazon poids plume, la série historique d’aspirateurs, la machine perverse à faire des îles flottantes qu’on ne peut utiliser qu’à deux, créée par les designeuses Emmanuelle Becquemin et Stéphanie Sagot, qui réalisent des performances avec leurs objets (à visionner ci-après).
Merci le design « libérateur » ?
Performance – La cellule(Becquemin&Sagot… par FondationEspaceEcureuil
> Article modifié le lundi 18 mars, avec une précision de Rodolphe Dogniaux concernant la pièce de Maxime Gianni.
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