Trois salariés de Prosegur, ce lundi, avant la levée du piquet de grève, à Lyon. A gauche, Grégory Hourdoux, le délégué CGT qui avait été mis à pied (crédit : Laurent Burlet)
« Prosegur a acté qu’il n’y aurait pas d’obligation de partir seul en tournée de convoyage de fond dans une voiture banalisée, contrairement à sa volonté d’origine, et que ce passage se ferait sur la base du volontariat. C’est une victoire importante pour le devenir de la profession toute entière! »
C’est par ces quelques lignes de communiqué de presse de la CGT envoyé ce mardi matin que la grève qui durait depuis le 21 novembre s’est achevée. Son objectif était de soutenir Grégory Hourdoux, délégué syndical, contre lequel une procédure de licenciement a été engagée, pour avoir refusé de transporter, seul, de l’argent dans un véhicule banalisé.
Pendant six jours, une cinquantaine de salariés (sur soixante) de l’un des trois principaux groupes de transport de fonds de Prosegur se sont plantés devant l’agence Rhône-Alpes, dans le 8e arrondissement de Lyon. Trois d’entre eux ont observés une grève de la faim.
Il s’agissait de la plus importante mobilisation en France contre une pratique de plus en plus répandue dans le transport de fonds : le convoyage de l’argent dans des véhicules banalisés (on dit encore véhicule léger) pour des sommes inférieures à 30 000 euros, autorisé depuis une dizaine d’années.
« On se fait davantage agresser en véhicules banalisés »
Autour du braséro, entre deux jets de pétards, tous dénoncent cette pratique qui se développe dans la profession. Si les pages des faits divers sont maigres sur les véhicules banalisés braqués, les chiffres du ministère de l’Intérieur font apparaître que ces véhicules se font davantage attaqués que les fourgons blindés. Ces agressions sont surtout en augmentation.
En 2011, en effet, on compte 10 braquages de camions blindés mais 15 de véhicules banalisés (contre 9 en 2008, début des statistiques). Parallèlement les attaques d’employés chargés des DAB (distributeurs automatiques de billets) ont baissé de 35% en 2010 et 2011.
François (prénom d’emprunt) raconte son expérience. Il s’est fait agresser cet été, à la sortie d’une des agences bancaires de la région que Prosegur livre :
« Quand je suis sorti, deux individus m’attendais. L’un deux m’a frappé avec un poing américain. Je n’avais même pas 20 euros en pièces. Mais ils ont récupéré les clés du véhicules où il y avait 15 000 euros ».
Selon le responsable de la fédération CGT des transports de fonds (2e organisation syndicale de la profession), Patrick Noszkowicz, ces agressions de véhicules banalisés sont sous-déclarées :
« Les employeurs font pression sur les salariés pour ne pas déclarer ces attaques afin de ne pas faire gonfler leurs assurances. Ça se passe sur le mode « ce n’est pas méchant, tu n’as fait que te prendre un coup ». On minimise toujours ces braquages ».
« Aujourd’hui on se prend des coups, demain ce sera des balles »
Pour le moment, nous disent les employés de Prosegur Rhône-Alpes, il n’y a pas eu de mort lors de braquages de véhicules banalisés.
Mais ils le redoutent. « C’est tellement simple de se faire pister », disent-ils. Pour quatre raisons :
- Les tournées des agences bancaires, et, dans un ordre de mesure moindre, des grands magasins, sont régulières.
- Le convoyeur passe systématiquement par une porte spéciale, généralement située à côté des distributeurs de billets.
- La flotte de véhicules banalisés (C2, Clio ou Kangoo, pour l’agence de Lyon) est toujours la même. Un braqueur consciencieux, disent-ils, pourraient venir les photographier au siège de Prosegur, comme nous avons pu le faire.
- Les billets sont généralement conditionnés dans un plastique et rarement dans des « valises intelligentes » permettant de dénaturer les billets (type valise Axytrans), en les tâchant avec de l’encre indélébile.
Par ailleurs, de nombreux convoyeurs témoignent avoir transporter des sommes d’un montant supérieur à 30 000 euros, contrairement à ce que prévoit la réglementation. Cette pratique est largement dénoncée dans la profession.
Les véhicules banalisés garés sur le parking du siège de Prosegur Rhône-Alpes, à Lyon (crédit : Laurent Burlet)
« On est seul sans rien pour se défendre »
Par ailleurs, contrairement aux tournées en fourgon blindé, qui se font à trois, le convoyeur en véhicule banalisé est très souvent seul. C’est une grande différence autorisée par les décrets qui régissent la profession. Victor (prénom d’emprunt) parle de l’« effet surprise » du convoyeur qui livre seul :
« Être seul ne pose pas un problème quand on entre. C’est quand on sort qu’on risque le plus. Or quand on est au moins deux, celui qui reste dans le véhicule peut prévenir le messager (celui qui fait les quelques mètres entre le véhicule et la banque, ndlr) par radio, quand la voie est libre ».
Et contrairement au travail en fourgon blindé, les transporteurs de fonds n’ont ni arme, ni gilet pare-balles.
« On est de la chair à canon », commente Julien Saux, l’un de ceux qui avait fait la grève de la faim. « Je préfère aller au bout de ce combat plutôt que de perdre ma vie en travaillant », nous confiait-il.
Les véhicules banalisés : une tendance lourde du transport de fonds
Ce mouvement de grève à l’agence Prosegur de Lyon n’est pas le fruit du hasard. Les grands groupes essaient de contrer une rude concurrence dans ce secteur. Depuis le début des années 2000 et surtout depuis le décret du 29 mars 2004 (confirmé récemment par le décret du 1er octobre 2012) autorisant le transport de sommes inférieures à 30 000 euros dans des véhicules banalisés, les entreprises de sécurité voire de messagerie se sont mises à faire du transport de fonds.
Contrairement aux deux autres mastodontes du transport de fonds (Loomis et Brinks), le groupe espagnol Prosegur a pris plus de temps à mettre en place le convoyage en véhicules banalisés. Pour contourner la convention collective des convoyeurs de fonds (plus contraignante pour l’employeur), les grands groupes ont créé des filiales. Ils ont pu ainsi garder des petits clients.
Avec une clientèle constituée essentiellement de banques, Prosegur était moins concerné par la concurrence sur les petites sommes. Mais depuis cet été, la stratégie semble avoir changé. Grégory Hourdoux, délégué syndical CGT explique :
« Jusqu’à cet été, c’était sur la forme du volontariat. Et progressivement la direction nous a imposé ces tournées seuls en véhicules banalisés. L’immense majorité des collègues l’a refusé. C’est pour cela qu’on a voulu me faire plier en m’imposant une tournée seule ».
Suite à ce mouvement de grève, la direction générale de Prosegur France est revenu sur le caractère obligatoire de ces tournées en véhicules banalisés. Mais jusqu’à quand, se demandent-ils tous.
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