On est à la veille du résultat de l’élection présidentielle américaine, ton pronostic ?
Obama va passer sur le fil. Il a bien géré l’ouragan Sandy, même le gouverneur du New Jersey, une sorte de gros Tony Soprano républicain, a reconnu qu’il avait fait du bon boulot. Obama a été très David Palmer (le premier président fictif de la série 24 Heures Chrono, NdlR) sur ce coup-là, au-delà des partis politiques dans sa gestion de la crise. Ça a bougé les indécis ; et en plus Springsteen a tout envoyé…
Ça t’a surpris qu’il intervienne dans la campagne ?
Non non, il avait déjà soutenu John Kerry, qui était un peu le Mitt Romney de l’époque, la lose tranquilou. Springsteen est engagé, il l’a toujours été et le sera toujours, puis c’est le Boss, quoi. Il peut se permettre de faire des blagues à Obama dans ses meetings…
Ça causait déjà des élections quand t’es allé enregistrer à Chicago ?
Oui, j’aime même eu une discussion politique avec Steve Albini qui, dans son bleu de travail et avec un aplomb magnifique, m’a assuré que Obama allait être réélu. Mais ce n’était pas par rapport à des convictions, il se basait sur des explications purement techniques qui donnaient 100% de chance à Obama de gagner.
Il a l’air d’avoir ce côté très cartésien…
Ah tu ne peux absolument pas contredire cet homme, qui a tout du scientifique. S’il te dit qu’Obama va être réélu, tu ne peux pas introduire le moindre doute sur son raisonnement.
Mais au-delà de la politique, vous avez quand même pu enregistrer comme vous le vouliez, vous êtes arrivés à le contredire ?
En fait, il n’y en a pas vraiment eu besoin. A partir du moment où le mec comprend ce que tu veux dans les deux premières heures de la rencontre studio, il sait exactement où tu vas aller, et toutes les réflexions qu’il va te faire seront justes. Il ne va jamais te dire « non, faut pas faire ça », il peut tiquer, mais il te poussera toujours jusqu’au bout de ton idée première pour avoir au moins les deux options et comparer.
Donc tu sors d’un enregistrement chez Steve Albini, un peu le genre de truc dont tu es fier et que tu as envie de faire écouter à tout le monde… A quel point c’est une torture d’attendre la sortie de l’album ?
Sans faire le blasé, je suis habitué à ce qu’il y ait un an de décalage entre la période d’enregistrement et la sortie. En général, c’est lent quand tu sens que tu vas devoir faire beaucoup de choses toi-même avec des bouts de ficelle. Mais pour cet album, j’ai été soutenu. Cette année-là n’a pas été longue parce qu’on a pu faire des choses. On a trouvé une maison de disques avec une force de frappe inédite pour nous jusqu’à présent, c’est un soulagement de pouvoir faire les choses dans l’ordre, de passer plus de temps à préparer les concerts. Sortir un EP avant, ça nous a vraiment fait bosser la première quinzaine de lives, et ça nous a permis d’intégrer un nouveau musicien (Jean-Yves Lozac’h de Syd Matters, NdlR), d’être tranquilles pour les dates en janvier…
A propos des paroles d’Off the Map… Tu es quelqu’un d’extrêmement pudique sur ce qu’il ressent, et tes textes, plus que jamais ici, évoquent des sentiments pour le coup très impudiques. Pour vraiment te connaître, faut écouter tes chansons ?
C’est possible que je me livre beaucoup plus dans mes chansons que dans ma vie de tous les jours, oui. Et j’aime bien cette idée. Depuis We go way back (le précédent album, NdlR), j’ai compris que je pouvais parler de ma vie dans les chansons, ce que j’avais évité de faire jusque-là.
Tu parlais de quoi à l’époque ?
En fait je parlais de ma vie mais de façon extrêmement métaphorique – c’était des tics d’écriture. C’est toujours plus facile de partir dans la métaphore et de faire des références à des films ou des artistes, de chanter « ma ville, mes collines, mes couchers de soleil » que de parler de sa vie intime. Dans mon processus, il fallait au moins quelques albums pour que j’abatte cette distance. Je reste dans des thèmes universels, hein, j’invente rien, mais du coup les gens peuvent y trouver un écho, et s’approprier certains textes.
Qu’est-ce qui te touche dans une chanson ?
C’est quand il y a l’adéquation parfaite entre une mélodie et le rythme des mots, quand la mélodie est hyper efficace, hyper immédiate, et qu’à côté le flow des mots jongle parfaitement avec la musique. Dans un premier temps le sens importe, évidemment, mais le deuxième temps vient de ma culture anglo-saxonne – le principe que quand on a trouvé un groove, les mots viennent d’eux-mêmes et le sens s’impose de lui-même. Quand t’écoutes un morceau d’Otis Redding, l’adéquation entre les deux fonctionne tellement que tu ne fais pas trop attention aux paroles. Même si ça se résume à un poème de huit lignes écrit par un enfant, tout de suite, ça prend une autre ampleur. J’y suis sensible, mais je ne peux pas écouter un artiste juste pour du texte si je ne m’y retrouve pas musicalement, qu’il n’y a pas d’accroche mélodique, ou un charisme qui se dégagerait de l’artiste – je pense à Bashung, typiquement.
C’était quand la dernière fois que t’as levé le poing dans un concert ?
J’ai beaucoup chanté au concert de Springsteen à Bercy, j’ai levé le poing aussi… Bon il y avait aussi Pavement il y a quatre ans au festival Primavera, mais quand le Boss te fait 3h40 de live et qu’il t’envoie Born to Run, si tu ne lèves pas le poing là, tu ne le lèves jamais.
La dernière fois que t’as pleuré devant un film ?
Moonrise Kingdom, Françoise Hardy sur la plage. C’est le temps de l’amour, le temps des copains et de l’aventure.
Le dernier film où tu t’es dit « putain, j’aurais trop aimé faire la bande-son » ?
Moonrise Kingdom ! Bon, mes trois derniers chocs cinématographiques étaient le Wes Anderson, Balada Triste et Melancholia, et les deux derniers ne me correspondent pas vraiment esthétiquement. Moonrise Kingdom, même si sa bande-son est parfaite, le thème cartographique du film et l’innocence de ce jeune couple coupé du monde me sont chers, plus je voyais le film et plus je me disais « et merde » !
Pour ce qui est du thème cartographique de Off the Map, t’es plus ou moins parti de La Carte et le Territoire de Houellebecq ?
Complètement, même.
Dans le bouquin, ça se moque quand même pas mal de l’art et de la passion pour le kitsch…
Ce que j’ai trouvé fort, ce n’est pas tant le côté Marcel Duchamp que le fait qu’il puisse faire cinq pages sur une photo de carte Michelin, le truc qui devrait être chiant comme la pluie sauf que ça a développé chez moi un imaginaire absolu. Je me promenais sur sa carte, j’y étais physiquement. Là, il n’était plus dans la parodie d’art contemporain parisien, c’était vraiment touchant.
T’es un peu dans le même sentiment abstrait que lorsqu’une chanson te plaît ?
Pour moi tout doit partir d’un sentiment instinctif et abstrait. Une émotion qui te touche sans trop savoir pourquoi. L’intellectualisation vient après.
Est-ce que tu as lu l’article du Point sur « les intermittents qui se la coulent douce » ?
Non, mais ce genre de truc ne m’énerve même plus, je préfère en rire.
Tu gardes en toi un potentiel de révolte, quand même ?
Bien sûr, avec grand plaisir. Même si je ne l’exprime pas, que je n’ai rien à revendiquer. Je ne suis pas tant dans la révolte que dans l’esprit de refuser une voie toute tracée, d’entrer dans des trucs formatés, un mode de vie “dièse quelque chose“ qui ne remet rien en question. Je me révolte contre la routine et l’acceptation de ce qu’on essaie de nous faire passer comme l’évolution normale, notamment en termes de vie privée. Les réseaux sociaux m’emmerdent.
Si je suis ton raisonnement, artistiquement, tu es voué à systématiquement te renouveler… Fais gaffe, si deux de tes albums se ressemblent, je ressortirai l’enregistrement…
Prends tous les albums : le premier je suis tout seul à la guitare, le deuxième on l’a enregistré à la maison avec plein de sons bruts dans un esprit folk, le troisième c’est une autobiographie très années 90 musicalement, après il y a l’album de classic rock avec Chris Bailey, puis le dernier, indie-rock et quasiment sans guitare acoustique, enregistré chez Steve Albini. Pour l’instant, il n’y en a pas deux de vraiment pareils. Mais bon, le jour où je chante un duo en français avec Zaz aux Enfoirés, n’hésite pas.
Une ultime question en hommage à l’acteur Jon Hamm de Mad Men… C’est quand la dernière fois que t’as saigné ?
A Annemasse, quand je me suis éclaté la gueule dans le micro, dans la grille du SM58 qui m’a ouvert la gencive.
H-Burns, vendredi 16 novembre à 20h30 au Marché Gare (première partie : They call me Rico)
EP : “Six years“ (Vietnam/Because)
LP : “Off the Map“ (Vietnam/Because), sortie le 4 février
Le blog : http://h-burns.blogspot.fr
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