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Déjà Bond

Vu de mon canapé

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, alors qu’on célèbre le cinquantenaire de 007 au cinéma en encensant les dernières aventures du moins secret des agents secrets, revenir au tout premier épisode de la saga ne semblait pas déplacé. Si « Skyfall » semble séduire les critiques partout où il sort, et le public avec, rien ne serait jamais arrivé sans « James Bond contre Dr. No ». Un petit film anglais qui sortit en 1962, produit par un canadien et un italo-américain nommés Saltzman et Broccoli d’après le roman qu’un certain Ian Fleming écrivit en 1958. Cinquante ans après, revoir « Dr. No » reste une expérience étonnante. La formule qui fera le succès de la série semble déjà si bien établie qu’on a du mal à accepter que ce film soit le premier épisode de la saga. Tout est là. Tous les éléments bien connus du public, chacun des ingrédients du cocktail qui nous a été servi jusqu’au reboot de la série en 2006, sont si bien utilisés, si bien à leur place qu’ils semblent avoir été rodés par de précédents épisodes.

Swinging London

A cette époque, Sean Connery est encore plein d’enthousiasme pour le personnage, plein de confiance envers ses producteurs. Il étrenne ce nouveau look que le réalisateur Terence Young a imaginé pour lui en le trainant chez son tailleur de Mayfair. Connery vient de naître et il explose. La scène de casino au club Les Ambassadeurs et son désormais mythique « Bond… James Bond » constitue son acte de naissance de comédien. Désormais, Sean et James ne vont plus faire qu’un, jusqu’au divorce, cinq ans et quatre films plus tard*.

Mais restons en 1962. L’Angleterre du début des années 60 est en plein renouveau artistique. Tout ce qui est anglais devient furieusement à la mode : les Beatles, la mini jupe de Mary Quant portée par le mannequin Twiggy, Michael Caine, Carnaby Street, The Avengers et la Mini… C’est le swinging London, les swinging 60’s et un nouveau héros débarque sur les écrans, un espion dragueur autorisé à tuer, flambeur et porté sur la vodka, et qui ne laisse personne indifférent : quand Bond attend patiemment le professeur Dent pour le descendre dans sa chambre d’hôtel, n’hésitant pas à lui tirer une balle de plus dans le dos pour le terminer une fois à terre, certains critiques hurlent au scandale devant cette violence aussi gratuite qu’inédite. Quand le montage de Peter Hunt révolutionne et dépoussière le genre, d’autres crient au génie. La guitare de Vic Flick entame déjà le James Bond Theme de Monty Norman (arrangé par John Barry, déjà présent lui aussi) et le premier générique de Maurice Binder avec ses silhouettes de femmes dansantes inaugure une tradition qui ne cessera qu’avec la mort de son créateur en 1991. « Dr. No » introduit en prime la traditionnelle scène d’ouverture qui voit Bond tirer vers le public à travers le canon d’une arme, jusqu’à ce qu’un voile de sang ne recouvre l’écran pour laisser place à l’action, une idée de Binder également.

A Londres, Bond emballe sa première girl, Sylvia Trench (Eunice Gayson). A la Jamaïque, Ursula Andress en bikini ramasse des coquillages en chantonnant « Underneath the mango tree » accompagnée par Connery. Si le légendaire Q, fournisseur de gadgets incarné par Desmond Llewelyn n’apparaitra que dans le film suivant, le bougon M (supérieur de 007) et sa secrétaire Moneypenny sont déjà bien installés dans leurs bureaux de Whitehall (aux studios de Pinewood) sous les traits des increvables Bernard Lee et Loïs Maxwell. On a même droit à la première apparition d’un des rares autres personnages récurrents de la série, l’agent de la CIA Félix Leiter incarné par Jack Lord, futur star de la série « Hawaï Police d’état ». Julius No, le premier méchant, est incarné par Joseph Wiseman. Il a deux prothèses mécaniques en guise de mains, qu’il a perdues en manipulant des matériaux radioactifs. Son QG, premier d’une longue série de décors insensés conçus par le génial Ken Adam, sera réduit en miettes dans une explosion finale qui deviendra traditionnelle. Comme le disait Roger Moore qui a fait péter plus d’un repaire de méchant dans sa carrière, « des fortunes sont dépensées pour concevoir des décors avec pour seul but que d’autres fortunes soient dépensées pour les détruire ».

Démon capitaliste

Bien sûr, tout cela semble aujourd’hui un rien désuet. Les installations nucléaires du Dr. No prêtent à rire par leur aspect naïf et le jeu de certains acteurs est un peu daté, tout comme la musique de Norman. Difficile aussi de ne pas sourire en pensant à Jean Dujardin imitant Sean Connery dans « OSS 117 ». A sa sortie, « James Bond contre Dr. No » remporte un certain succès. Ce n’est pas encore du niveau de « Goldfinger », qui sortira deux ans plus tard, mais désormais tout le monde connait 007. Saltzman et Broccoli encaissent leurs gains et préparent « Bons baisers de Russie », l’épisode suivant. Ian Fleming ne cache pas sa fierté : son héros, qu’il voulait voir sur grand écran depuis tant d’années (mais plutôt sous les traits de Cary Grant) accède à la gloire cinématographique après avoir séduit des millions de lecteurs. Hélas, il n’en profitera pas longtemps et décédera deux ans plus tard. Question critique, le Vatican n’apprécie pas du tout le contenu sexuel et violent du film, l’URSS qualifie Bond d’incarnation du démon capitaliste, mais la presse en général apprécie l’humour et la nouveauté. Le public, conquis par la formule, attend la suite. Et malgré les réajustements, les changements d’acteurs et les modes, c’est encore ainsi cinquante ans plus tard.

Aujourd’hui, les producteurs de « Skyfall » continuent de réinventer le personnage comme il le font depuis « Casino Royale » mais en ressortant du formol, cinquantenaire oblige, certains éléments classiques de la formule Bondienne qui avaient été mis de côté. Comme 007 dans ce nouveau film, la série replonge dans ses racines pour repartir de plus belle. Le nouveau cocktail est à la fois brutal et nostalgique, parfois un peu long en bouche (2h25) mais certainement un des grands crus de la saga.

*Des retrouvailles auront lieu en 1971 et 1983.


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