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Breaking Bad, saison 5, première partie

Critique à chaud des huit premiers épisodes de l’ultime saison de cette série dantesque, garantie sans spoilers majeurs.

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Le doute n’est plus permis : Breaking Bad est une œuvre grandiose, culottée et à la maîtrise ahurissante derrière ses sautes d’humeur stylistiques imprévisibles. Constellée de scènes énormes, qu’elles nous embarquent dans un suspense spectaculaire ou dans l’implosion de sa sphère intime, cette première livraison d’épisodes (il va falloir attendre un an avant les huit autres…) creuse encore plus loin l’enjeu principal de la série : l’évolution de ses personnages.

Dans cette première moitié de saison plus que jamais, Breaking Bad expose la lente transformation d’un quinqua frustré et franchement anodin en criminel implacable, la revanche d’un pétochard fuyant sur son cruel destin. Mais pas seulement. Si Walter White n’était entouré que de figures univoques, le déroulé dramatique des événements n’aurait pas le même impact. Ce n’est sans doute pas pour rien que Vince Gilligan a choisi de donner le nom de « Madrigal » à la société “d’import-export“ au cœur de ces huit épisodes : Breaking Bad est en effet une polyphonie, un chant dissonant où les différentes voix sont obligées de s’accorder, chacun devant composer avec son propre vécu ou ses propres traumatismes. Même si cette cinquième saison se recentre essentiellement sur la figure de son anti-héros, quitte à lui accorder de nombreux moments de froide solitude et d’absences calculatrices, ou à carrément faire “disparaître“ sa famille du champ (pas de spoiler, c’est une image !), les autres personnages ne sont pas en reste.

Au départ simple caricature de dealer wigga (pour “white nigga“) aux attitudes hip hop grotesques, Jesse Pinkman s’impose à ce titre comme le personnage le plus réussi de la série, même s’il est tristement laissé de côté dans bon nombre d’épisodes de cette moitié de saison. Dans la mécanique de Breaking Bad, ce choix n’est pas pour autant malheureux : la saison 4 l’a vu passer par tous les états, du fin fond de ses errances narcotiques au réconfort apparent de la vie de famille, pour finalement faire muter un post-ado imbécile en trentenaire beaucoup plus réfléchi par la force des choses. Le jeu tout en nuances d’Aaron Paul parvient à faire avaler cette maturité contrainte, jusque dans la plus énorme grossièreté narrative de cette saison – quand Jesse renonce à son “destin conjugal“, pourtant au centre des enjeux des derniers épisodes de la saison 4, au profit du business. Cette incohérence étonnante est cependant effacée par l’issue funeste du superbe épisode Dead Freight, et ses conséquences chaotiques pour la logique biaisée de la série.

Skyler est unanimement le personnage le plus détesté, en partie grâce à la performance impeccable d’Anna Gunn, mais surtout pour son rôle a priori cantonné à une seule fonction. Globalement, elle est LE frein à la transformation de Walter White, au moindre de ses plans, tout en étant paradoxalement sa justification initiale – hé, on l’aurait presque oublié, mais au départ, mister White ne souhaitait que pourvoir aux besoins de sa famille après sa mort… Dans ces huit épisodes, Skyler bascule enfin après s’être repliée sur elle-même, et sa psychologie défragmentée devient l’un des arcs narratifs les plus passionnants de cette ultime saison après une géniale scène de dîner avec Walter et Jesse.

Take a deep breath…

Dans son cahier des charges esthétiques, Breaking Bad n’a pas tourné le dos à quelques tics déjà datés depuis ses prémices (les plans extérieurs en accéléré, surtout), à quelques touches de mauvais goût (les scènes de tuning auto de l’épisode Fifty-One, sur fond de gros dubstep qui tâche !), mais d’une, ces codes peuvent s’avérer bassement jouissifs, et de deux, ils s’inscrivent dans une liberté formelle salvatrice, accouplée à un art consommé du contre-pied et de la rupture de ton. La mort d’un des personnages secondaires à la fin de Say my name est ainsi un instant incroyablement bucolique, dont même la touche d’humour noir apparaît comme profondément désespérée ; les exécutions en série de Gliding over all s’opèrent sur le doux timbre de Nat King Cole, tout en respectant les vers du poème de Walt Whitman qui donne son titre à l’épisode :

 Gliding over all, through all,

Through nature, time and space,

As a ship on the waters advancing,

The voyage of the soul – not life alone,

Death, many deaths I’ll sing

Enfin, après avoir développé une thématique fascinante autour de la construction d’une véritable mythologie contemporaine (la figure d’Heisenberg), ce dernier épisode avant la (looooooongue) pause semble clore le sujet ; jusqu’à ce que… Argh, ne racontons pas la fin. Vince Gilligan et son équipe ont posé les bases d’une conclusion sûrement épique mais pour l’instant imprévisible, même à la lumière de la mystérieuse intro de cette saison 5 avec son Walter chevelu, apparemment en rechute cancéreuse, achetant un flingue dans les toilettes d’un dinner. Cette scène n’est qu’une pièce du puzzle, l’un des coins supérieurs qu’on place en évidence avant de trouver TOUS les autres chaînons manquants. A la fin de Gliding over all, Gilligan a à peine reconstitué le centre. Mais comme le disait Yeats, « le centre ne peut pas tenir ». Le cliffhanger de cette mi-saison est une véritable saloperie. Ce n’est pas un retournement de situation gigantesque, simplement une scène attendue par le public depuis le début… Ce qui est sans doute pire !

L’attente des derniers épisodes (allégorie)


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