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Rentrée littéraire : 646 romans et moi, et moi, et moi

Pour surnager dans le flot de la rentrée littéraire, L’Effrayable présente la première bande-annonce de livre.

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Andréas Becker. Crédit photo : Amel-Buziarsist

646 romans sortent lors de cette rentrée littéraire, et comme d’habitude, on ne parle que d’une quinzaine d’entre eux – au hasard : Laurent Binet, Olivier Adam, Aurélien Bellanger ou Philippe Djian. Les centaines d’autres sont voués à se noyer dans la masse. Quand certains éditeurs refusent ce « suicide commercial collectif », d’autres font preuve d’imagination. Pour attirer l’attention sur le premier roman du lyonnais Andréas Becker, les éditions de la Différence ont réalisé une bande-annonce du livre. Emballé par ce tout premier trailer littéraire, MK2 a décidé de le diffuser dans son réseau de cinémas du 29 août au 11 septembre.

C’est d’autant plus gonflé qu’il s’agit d’un premier roman difficile : un homme se met dans la peau d’une petite fille pour remonter le fil de l’histoire et comprendre pourquoi il a été nécessairement victime d’un viol. Le récit est écrit dans une langue torturée et horrifique. Si l’on a le cœur bien accroché, L’Effrayable nous entraîne dans une expérience de lecture très singulière, qui méritait bien de braver cette « boucherie littéraire » de la rentrée.

L’Effrayable n’est un livre facile, léger, divertissant. Un récit lisse et sans aspérité, sitôt lu, sitôt oublié. Non, c’est un livre noir, asphyxiant, qu’on lit en apnée, avec des hauts le cœur et, parfois, des grimaces de dégoût. Mais doté de poignantes fulgurances et d’une étrange persistance.
Ces sensations tiennent moins aux motifs du livre – inceste, viol, misère affective et intellectuelle sur trois générations… – qu’à la langue, maltraitée et enlaidie au point d’être indéchiffrable, horrifique.

 

« J’ai tout mis dans ce livre »

Andréas Becker, auteur de ce premier roman, parle de « nécessité » :

« si on veut vraiment écrire, on met sa peau sur la table ; j’ai tout mis dans ce livre ; j’étais en larmes » explique cet homme massif, le visage carré adouci par de longs cheveux blonds.

Né à Hambourg en 1962, Andréas Becker est venu à Lyon en 1990 et y est resté par amour. Il explique avoir toujours porté en lui ce livre, qu’il confie être en grande partie autobiographique, même s’il a du mal à démêler le vrai, du faux, de l’imaginé.
L’histoire du viol collectif perpétré pendant la seconde guerre mondiale par des soldats russes dans un village d’Allemagne, point nodal de son livre et sujet toujours tabou en Allemagne, lui a été confiée par sa mère, alcoolique et fantasque. Le garçon qui était alors terré dans la cave, serait son père ; il en aurait gardé de larges cicatrices aux avant-bras, et un caractère ombrageux et taiseux, « détestable » même.

« C’est vrai dans la mesure où cette histoire a eu un écho en moi » tranche Andréas Becker, persuadé que « l’imaginaire est beaucoup plus fort que la réalité ».

Il y a trois ans, n’en pouvant plus, Andréas Becker plaque tout. D’abord son boulot : « un super boulot très bien payé : directeur d’un domaine viticole à Châteauneuf du Pape », puis sa femme, et enfin sa belle maison avec piscine en Avignon. Il se donne deux ans pour écrire. Un premier roman, refusé partout, le convainc de s’atteler enfin au sujet qui le hante. Il revient à Lyon, passe des mois « à se mettre minable, dans un trou à rat » pour accoucher de ce texte.
Puis l’envoie à trois éditeurs : Minuit, Le Dilettante et enfin la Différence qui l’accepte immédiatement. Et met le paquet. Dix représentants sillonnent les librairies dès le printemps pour présenter le livre, qui aurait été pris dans 2500 librairies.

 

Pour la première fois, une bande-annonce pour un livre

Pour la première fois, une bande-annonce est réalisée pour faire la promo du livre. Séduit par cette initiative inédite, et la qualité du travail de la réalisatrice, Rachel Huet, MK2 le diffuse dans tous les cinémas de son réseau dès la veille de la sortie du livre, le 29 août.

 

 

Dans ce trailer, on y entend la voix chaude et chantante d’Andréas Becker, teintée d’un doux accent allemand, dire des passages de L’Effrayable. On perçoit alors que cette langue maltraitée, alourdie par « des kiloteries » de lettres – comme autant d’horribles non dits accumulés depuis trois générations – se prête magnifiquement à l’oralité. L’auteur confie d’ailleurs avoir écrit L’Effrayable « à haute voix », et s’est engagé à faire de nombreuses lectures de son texte, en librairie ou dans les salons du livre, dès sa sortie. Extrait :

« Valassait mieux violenter notre bébelle languière que de ne rien écrivasser du tout, glaviota-t-il dans sa barberie que moi, petite conne, je preinissais pour du mouchoirement, tellementalement elle était glauquerie et morvissement. »

Dans cette langue éprouvante, les noms et les verbes sont souvent affublés du suffixe péjoratif –asse (les « bitasses » reviennent jusqu’à l’écœurement !), les adverbes se terminent systématiquement par « –mentalement », comme s’il s’agissait d’un délire mental, et la conjugaison abuse du passé sur composé :
« Dans les temps, j’ai eu-t-été une petite fille, une toute petite fillasse » est ainsi la phrase inaugurale du livre.
Un livre doté d’une voix puissamment singulière. Qui tranche, forcément, dans le concert des voix dominantes de cette rentrée littéraire et ose prendre des voies originales pour se faire entendre.

Andréas Becker, L’Effrayable, éditions de la Différence, sortie en librairie le 30 août.

 


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