La France doit-elle transférer plus de souveraineté à l’UE, ou au contraire lui en reprendre ? Pour Soël, 26 ans, l’affaire est entendue : depuis l’année dernière, cet ancien membre du PS milite au MRC, le parti de Jean-Pierre Chevènement, éternel pourfendeur de l’Europe libérale.
L’euroscepticisme de Soël est si fort qu’il ne soutient pas François Hollande à l’élection présidentielle, contrairement à son propre parti. Le 22 avril, il votera pour le « seul véritable souverainiste républicain » à ses yeux : Nicolas Dupont-Aignan, ancien membre du RPR puis de l’UMP, fondateur de Debout la République.
Le temps de la campagne, Soël milite même pleinement aux côtés du gaulliste, lui qui avait pourtant voté Ségolène Royal en 2007. La démarche peut surprendre au sein du MRC, mais le jeune homme se sent en phase avec ses idées.
« Comment on fait, quand on a l’analyse visionnaire de Jean-Pierre Chevènement sur la mondialisation et sur l’Europe, pour rejoindre sereinement le Parti socialiste dans cette élection ? », interroge-t-il.
Les rêves d’un chevènementiste…
Ancien étudiant en science politique à Lyon 2, Soël est à la recherche d’un emploi dans la fonction publique depuis six mois, après une période de petits boulots. Dans leur jeunesse, ses parents (un Libanais et une Française) militaient au PC. Lui non, et c’est pourquoi il ne votera pas pour Mélenchon, contrairement à sa mère. Selon lui, « la lutte contre le désendettement et les déficits ne peut pas être éludée ».
L’acte fondateur de son engagement remonte à 2005, avec la campagne du « non » au Traité instituant une constitution européenne :
« C’était un débat de fond dans la société française, se rappelle Soël. Ça m’a passionné et j’ai voté « non ». Après le résultat du référendum, j’ai imaginé que le Parti socialiste serait désormais obligé de renouveler son logiciel idéologique, pour se placer en rupture avec le système libéral européen mondialisé. Alors j’ai rejoint le PS à ce moment, pour vivre ce plongeon idéologique qui, finalement, n’a jamais eu lieu. »
Déçu par la primaire interne en 2007, qui désigne Ségolène Royal, Soël quitte le PS après la présidentielle. Auprès de Chevènement, il se sent « plus épanoui ». Il retrouvera d’ailleurs ses camarades du MRC après le premier tour.
« Le MRC est une toute petite structure, reconnait-il. Mais si la vieille garde du parti reste intimement liée au PS, pour le reste c’est assez mélangé. Il y a plus de jeunes désormais, et pour eux le clivage gauche-droite est dépassé. Eux, il comprennent mieux ma démarche. »
Son ambition à long terme ? Créer des ponts en vue d’un grand rassemblement des souverainistes républicains, Front national exclu. Pour sa part, Dupont-Aignan ne rejette pas complètement Marine Le Pen, se contentant de dénoncer sa xénophobie. Mais selon Soël, il faut s’adresser aux électeurs du FN et non à ses membres. Et pour le reste, il existe selon lui une communauté de valeurs entre Chevènement, opposant farouche de l’euro dès sa création, et feu Philippe Séguin, grand pourfendeur du traité de Maastricht en 1992.
Discours de Philippe Séguin à l’assemblée nationale, en 1992 lors du débat sur le traité de Maastricht
Débat opposant Jean-Pierre Chevènement et François Bayrou sur l’euro, en 1997
« Je rêve que Dupont-Aignan appelle à voter Hollande »
Pour Soël, l’UE est un « système mafieux », « un bras armé », « un outil au service de la mondialisation libérale, comme l’OMC ». Omettant les contre-exemples comme la PAC, dont la France a bénéficiés, il considère que les politiques européennes se construisent toujours « contre les peuples ».
Soël n’a jamais cru à la transposition du fédéralisme américain sur le vieux continent : « Nous sommes une superposition de nations avec des cultures, des langues, des fonctionnements économiques complètement différentes, analyse-t-il. Quelqu’un qui perd son boulot à Berlin, il ne va pas aller en chercher un autre à Cracovie. Il faut que la France puisse conserver son histoire, son destin, et surtout son pouvoir d’agir au service de son peuple en répondant aux besoins de son économie sans qu’on lui tape sur les doigts. »
Il considère que la puissance nucléaire et le siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU offrent à la France une voix suffisamment forte, comme en 2003 dans le conflit irakien. Il imagine aussi, comme Dupont-Aignan, une sortie de l’euro en tant que monnaie unique, mais pas en tant que monnaie commune (c’est le modèle imaginé par l’économiste Jacques Sapir). Il prône enfin une ré-industrialisation du pays, envisageant comme Dupont-Aignan un refinancement auprès de la Banque de France.
Tout part donc du postulat que les maux français sont imputables à l’UE. Or, les deux possibles qualifiés du second tour sont tous les deux européens, même si leur conception diverge. Donc, sauf surprise, il faudra choisir par défaut. Abordant ce débat, Soël ne se défile pas :
« Normalement, je devrais dire qu’on verra en fonction des qualifiés. Mais en même temps, je ne vais pas me cacher… En cas de duel Hollande-Sarkozy, je voterai Hollande pour faire tomber Sarkozy, qui a été un véritable problème pour la France. »
De son côté, Dupont-Aignan ne cesse de lancer des indices sur son choix de second tour. Et leur accumulation laissent penser qu’il pourrait voter Hollande. Ca n’a pas échappé à Soël, qui entretient un espoir à ce sujet :
« Mon rêve, confie le militant, c’est que Nicolas Dupont-Aignan crée la surprise en appelant à battre Sarkozy, ce qui enverrait un vrai signal aux républicains de gauche. Mais j’en doute, parce qu’en faisant cela, il terroriserait sa base politique. »
Discours de Nicolas Dupont-Aignan sur le Mécanisme européen de stabilité, le 21 février 2012 à l’Assemblée nationale.
Chargement des commentaires…