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Christine, esthéticienne sociale aux Restos du coeur

En plus de la traditionnelle aide alimentaire, les Restos du Rhône ont inauguré cet hiver un « service pour les dames » : une esthéticienne offre bénévolement massages, gommages et séances de maquillage. Objectif : encourager les plus démunis à faire peau neuve, aux sens propre comme au figuré.

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« Est-ce que vous avez des problèmes de peau, des petits boutons, des choses comme ça ? Les sourcils, vous les épilez un petit peu? »

Allongée sur la table de soins, serviette rose sur la poitrine et charlotte transparente autour des cheveux, Pauline répond à peine aux questions que lui adresse Christine, l’esthéticienne des Restos du coeur. Au bout de quelques instants, la jeune femme finit par raconter qu’elle a quitté l’Angola il y a un an et demi. Que depuis qu’elle vit ici, elle est installée à l’hôtel à défaut de logement, ne travaille pas, et se nourrit grâce à l’association.

Christine recharge son pulvérisateur d’eau tiède, et tente une nouvelle fois d’amorcer la conversation : « Et sinon, vous avez des enfants ? Vous êtes venue en France avec votre mari ? » Pauline ferme les yeux, et laisse le bourdonnement de l’autoroute adjacente couvrir le silence.

Depuis cette année, les Restos du coeur ont ouvert un atelier d’esthétique dans leur antenne du 9ème arrondissement de Lyon. Chaque mardi matin, au milieu d’un salon de beauté improvisé, Christine procure massages, gommages, maquillage et soins du visage, aux bénéficiaires de l’association:

« Je demande aux dames d’où elles viennent, quel est leur parcours, et si elles veulent, on en profite pour discuter, explique Christine. Ces femmes sont souvent submergées par leurs problèmes. Certaines n’éprouvent pas le besoin de parler et profitent d’un instant privilégié pour se reposer.

D’autres me racontent leurs soucis, les enfants à élever, le mari qui souvent n’est plus là… Ce que je fais ici, c’est un peu de l’esthétique sociale : mon rôle n’est pas seulement de m’occuper de leur physique, mais aussi de permettre à ces femmes de vider leur sac. »

 

Sois belle et raconte-toi

La plupart des dames qui confient leur visage et leurs états d’âme à Christine ne sont jamais allées voir une esthéticienne de leur vie. Des femmes mûres, des plus jeunes, mères au foyer dans leur grande majorité, « et souvent d’origine maghrébine », précise Christine.

« Ces femmes ont besoin d’avoir un instant où on s’occupe d’elles, où elles pensent à elles et pas à autre chose, souligne l’esthéticienne. Une fois, j’ai eu une dame qui est venue avec son enfant. J’ai dit au petit qui commençait à solliciter sa maman : tu peux rester là, mais tu laisses ta mère tranquille, tu ne lui parles pas. »

Habiba a 49 ans. Lorsqu’elle vivait en Algérie, elle donnait des cours de philosophie. En attendant de trouver un travail en France, elle s’est inscrite en novembre pour bénéficier de l’aide alimentaire. Elle n’avait jamais envisagé de solliciter une esthéticienne, mais elle s’est laissée tenter lorsqu’elle a vu l’affichette dans le couloir, sur le chemin de la salle de distribution.

« J’ai tout laissé en Algérie, confie-t-elle pendant la pose de son masque de visage. Mais j’ai fini par divorcer et maintenant, il m’est impossible de rentrer au pays. Là-bas, tu ne peux pas être libre si tu n’es pas mariée : tu ne peux pas vivre seule à cause des traditions, de la religion. Alors je suis coincée : tant que je ne serai pas remariée, je ne pourrai pas repartir. »

 

Coluche-beauté institut

 

Copyright Houcine Haddouche

La séance terminée, Habiba jette un oeil au miroir, vérifie son maquillage, puis recoiffe son hijab avant de quitter la pièce. Vient le tour de Myriam, 34 ans. C’est son deuxième rendez-vous avec Christine.

« La première fois, j’appréhendais un peu, je ne savais pas comment il fallait se comporter, se rappelle la jeune femme. Mais après la séance, ça m’a fait un déclic. Je me suis dit : mais d’habitude, tu t’oublies ! Je me suis rendue compte que depuis que j’avais perdu mon emploi, je ne m’occupais que des autres : de mon mari, de mes enfants, du linge, des tâches de la maison… Mais jamais de moi !

Avant, j’étais une femme assez coquette, mais je me suis laissée aller… Psychologiquement, venir ici participe à ma reprise en main. Tous les dimanches, je prends une heure pour me faire couler un bain, m’appliquer un masque, m’occuper de moi. »

L’agenda de Christine affiche complet jusqu’au 23 mars, date de fin de la campagne d’hiver des Restos. Elle a même dû ouvrir une liste d’attente.

 

Matériel professionnel : crèmes, fonds de teint… et un bouquin

Les séances ne se déroulent pas toutes aussi bien. Le public de Christine ne paye pas, et s’accorde parfois les largesses qu’offre une prestation qui ne coûte rien. Une femme sur deux annule son rendez-vous sans prévenir, et Christine se retrouve souvent le bec dans l’eau (thermale).

« J’ai été un peu déçue de voir que beaucoup de bénéficiaires s’inscrivaient, mais finalement, ne venaient pas. Quant à la ponctualité, ce n’est vraiment pas un automatisme… L’ostéopathe ici a le même problème : les bénéficiaires des Restos ont beaucoup de soucis, et ils peuvent perdre le réflexe de prévenir de leur absence… Alors maintenant, plutôt que d’attendre bêtement, je prévois toujours un bouquin ! »

Sans compter les personnes parfois désagréables, ou celles qui prennent un service pour un dû :

« Il m’est arrivé de recevoir une bénéficiaire qui m’a demandé si j’avais bien mes diplômes d’esthéticienne ! »

Reprendre confiance en soi, réapprendre à honorer un rendez-vous, faire l’effort de se présenter soigné : c’est évidemment bien plus qu’une simple assistance à la coquetterie que proposent les Restos avec cet atelier. Au bureau national de l’association, l’attachée de presse, Agathe Revol, précise :

« L’activité des Restos, c’est 50% d’alimentaire, 50% d’activités d’insertion. On organise des ateliers coiffure, du soutien scolaire, un accès aux médecins… L’aide à la personne fait partie de notre mission. Pour retrouver un travail ou accéder à un logement, les bénéficiaires doivent aussi retrouver l’estime d’eux-mêmes. »

Lorsque Coluche fonde les Restos du coeur en 1985, il précise que cette « cantine gratuite » n’est pas faite pour durer. Sans doute était-il loin de s’imaginer que vingt-sept ans plus tard, non seulement l’association distribuerait 109 millions de repas à plus de 860 000 personnes en France, mais qu’il faudrait en plus faire une place sur les étals de nourriture pour ranger crèmes et pinces à épiler.


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