Rappel des faits
Dans le cadre de l’Israelian Apartheid week, une conférence intitulée « Israël un Etat d’apartheid » devait se tenir à l’IEP de Lyon le vendredi 2 mars à 18 heures. Déclarant des « risques avérés d’atteinte à l’ordre public en lien avec l’organisation », le directeur Gilles Pollet décide la fermeture de l’institut à 16 heures, annulant ainsi la tenue de la conférence au sein de l’IEP.
Un intervenant universitaire d’Afrique du Sud Mbuyiseni Quentin Ndlozi et Wasseem Ghantous, Palestinien de Haïfa avaient prévu de faire un parallèle entre l’apartheid en Afrique du Sud dans les années 1960-90 et l’apartheid en Israël aujourd’hui. Une centaine de personnes étant présentes pour la conférence, celle-ci a finalement eu lieu moins formellement dans la cour de l’Université Lyon 2, à 500 mètres de là.
Selon le directeur, des menaces par téléphones auraient été exprimées dès mardi, par des anonymes ainsi que des groupuscules sionistes revendiqués tels que la Ligue de Défense Juive. D’autres organisations plus institutionnalisées, Le CRIF et la LICRA, ont fait pression, considérant qu’il n’était pas normal que de tels propos soient tenus sur l’état d’Israël à quelques pas du CHRD (centre d’histoire de la résistance et de la déportation) et des anciens bureaux de la gestapo lyonnaise. Ne souhaitant pas en tenir compte dans un premier temps, le directeur aurait finalement cédé suite à des menaces plus violentes reçues le jour même. Sans le contraindre, la police lui aurait fortement recommandé de fermer l’IEP pour prévenir des risques d’affrontements réels.
Une semaine après l’annonce de la fermeture, aucune explication supplémentaire n’était encore apportée par le directeur sur le déroulement des évènements. Les étudiants prennent alors l’initiative d’organiser une assemblée générale afin de prendre des mesures collectivement, d’échanger des informations concernant l’évènement et de débattre plus largement sur les limites de posées à la libre organisation de conférences au sein de l’institut.
« Il ne s’agit pas de liberté d’expression »
L’Institut d’Etudes Politique de Lyon n’a subi la procédure de fermeture administrative que trois fois en huit ans. Une première fois au printemps 2009 pendant le mouvement LRU 2 ; une seconde fois en 2010, lors des émeutes urbaines de Lyon. Pour la première fois, l’Institut ferme ses portes à cause d’une conférence.
Pour le directeur de sciences-po Lyon, Gilles Pollet, il ne s’agit pas d’un problème de liberté d’expression, seulement de danger pour les biens et les personnes et de responsabilité pénale en tant que directeur de l’Institut. Comme il le précise, « l’objectif n’était pas de tenir une conférence protégée par un cordon de policiers ». L’idée était-elle plus fameuse d’envoyer les conférenciers seuls tenir l’évènement dans une cour, au risque d’agressions physiques ?
Nier le caractère d’entrave à la liberté d’expression d’une telle mesure, sur un sujet aussi sensible que la critique de la politique de l’Etat d’Israël, relève au mieux d’une certaine naïveté, au pire d’une réelle hypocrisie. Dans un contexte d’annulations récurrentes en milieu universitaire de ce type de conférence, nous nous demandons si nos lieux d’enseignements peuvent encore prétendre former des esprits critiques, et si nous pouvons réellement aborder aujourd’hui un débat sérieux sur la politique d’Israël.
Le rôle joué par les renseignements généraux dans la fermeture de l’établissement reste également un mystère. Le directeur, qui a seul le pouvoir de fermer l’établissement, parle une fois de « conseil », l’autre de « demande » ; pendant ce temps, le rectorat, la préfecture, jusqu’au ministère sont avertis. Dans ces conditions, peut-on imaginer cette décision prise en toute objectivité ?
A notre égard, le directeur, dans une réunion publique réclamée par l’Assemblée Générale à laquelle il a accepté de prendre part, a parlé plusieurs fois de « parano ». A une étudiante qui l’interpellait sur les dangers de la brèche ouverte pour les groupuscules, il répond : « vous fantasmez, ma chère ! ».
Non, nous ne pensons pas qu’il faille parler de fantasmes lorsqu’un établissement qui devrait former des esprits libres et critiques se laisse dicter sa politique sur des sujets aussi sensibles par des groupuscules réactionnaires. Nous ne pensons pas, lorsqu’un établissement ferme sur la base de menaces téléphoniques, qu’il s’agisse d’inquiétudes futiles.
Lors de la réunion publique, le directeur a rappelé que l’intitulé de la conférence était sujet à polémique. Nous rappelons qu’un rapport à l’Assemblée Nationale, sur la place de l’eau dans le conflit israélo-palestinien, évoquait le terme « apartheid ». Le débat est donc une cause nationale, qu’on ne peut considérer comme de la provocation.
Nous avons interrogé Gilles Pollet sur les suites qu’il comptait donner à ces menaces, et notamment sur la possibilité de rentrer en contact avec les autres établissements pour envisager des poursuites communes. Voici la réponse qu’il nous a donnée : «Faire un communiqué pour expliquer en interne, aucun problème. Porter plainte, même contre X, si on peut le faire, pas de problème. Mais partir en croisade avec les autres établissements, j’ai autre chose à faire. Ce n’est pas ma priorité. Vous, vous êtes engagés par = pour la cause ? Vous pouvez vous charger de cela. Je ne suis pas personnellement impliqué dans l’organisation de la conférence. Vous ne pouvez pas me demander plus que ce que je ne peux faire. Je ne peux pas être le chantre de tous les combats. »
De la liberté d’expression en milieu universitaire
Les évènements autour de cette conférence nous amènent à un problème bien plus large, celui de la simple liberté d’expression des étudiants au sein de leur lieu d’enseignement. Rappelons qu’à Sciences po, les conférences sont autorisées par un comité composé de professeurs et de personnels administratifs. Les étudiants, eux, n’ont que le pouvoir de proposer. Comme le dit Gilles Pollet : « Ne confondons pas les rôles entre étudiants et administration : l’IEP n’appartient pas qu’aux étudiants. ».
Certes. Mais face aux idéologies réactionnaires, aux comités administratifs, aux fermetures d’établissements, et au nom de la liberté d’expression et de la réflexion critique, nous demandons le droit de décider, à l’égal des enseignant, de ce que nous voulons voir, entendre, de ce à quoi nous souhaitons participer.
Un collectif d’étudiants
En complément :
Le communiqué des associations organisant la conférence.
Article de Rue 89 concernant la fermeture de Paris VIII.
En complément, le communiqué du directeur de l’IEP :
Mesdames, Messieurs, cher(e)s collègues,
Devant les risques avérés d’atteinte à l’ordre public en lien avec l’organisation, au sein de l’IEP, et par un collectif comprenant des étudiants de l’Institut, d’une « conférence » intitulée « Israël : un Etat d’apartheid ? », il a été décidé d’annuler cette conférence et de fermer les locaux ce jour à 17h30.
En vous priant de bien vouloir nous excuser pour les désagréments causés par cette fermeture contrainte et en urgence, veuillez croire, Mesdames, Messieurs, cher(e)s collègues en mes sentiments dévoués et cordiaux.
Gilles Pollet
Directeur de Sciences Po Lyon
Le communiqué du directeur de l’IEP :
Communiqué :
Le vendredi 2 mars devait se tenir à l’IEP une conférence intitulée « Israël : un état d’apartheid ? ».
Des menaces , allant crescendo, se sont multipliées jusqu’au jour de la conférence. Face à un faisceau concordant d’informations selon lesquelles il existait un risque avéré d’intervention violente d’opposants à la tenue de cette réunion, la Direction a été contrainte d’annuler la conférence et d’ordonner la fermeture de l’établissement. L’IEP, établissement public d’enseignement supérieur et de recherche, fondamentalement attaché à la liberté d’expression, ne peut que dénoncer et déplorer ces intimidations et ces menaces inacceptables qui empêchent tout débat démocratique.
Gilles Pollet
Directeur de Sciences Po Lyon
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