L’étude est rhône-alpine mais le phénomène étudié est valable pour l’ensemble de la France. Pour 2012, la Fondation Abbé Pierre donne des éléments d’explication pour comprendre pourquoi, même avec l’augmentation du nombre de places dans les centres d’hébergement d’urgence pour SDF, il y a toujours des personnes à la rue.
Au début de l’hiver, on dénombrait ainsi à Lyon près de 400 personnes sans solution d’hébergement alors qu’elles avaient appelé le 115. Un chiffre jamais atteint. Et pour cause, nous dit la Fondation, en plus des difficultés économiques qui s’amplifient, l’Etat produit « administrativement » des personnes privées de droits sociaux et qui n’ont pour se loger que l’hébergement d’urgence inconditionnel :
« Les difficultés repérées par les acteurs sont les produits de la restriction dans l’accès au droits de certaines catégories de population. La misère n’est pas seulement le produit de défaillances individuelles, elle n’est pas non plus le produit de dominations économiques, elle est aussi produite par le fonctionnement institutionnel ».
Ce sont les jeunes, les personnes en souffrances psychiques et les étrangers qui occupent quasiment toutes les places de foyers alors qu’initialement, elles sont destinées aux accidentés de la vie et aux clochards. Pour le directeur régional, Marc Uhry, « ces trois groupes sont sur-représentés dans l’hébergement et « embolisent le système ».
1/ Les jeunes mis à la porte à 18 ans et privés de RSA
« Les politiques de soutien à la jeunesse s’étiolent », constate la Fondation Abbé Pierre en prenant l’exemple de la Politique de la Ville ou de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
« Depuis trois ans, avec la Réforme Générale des Politiques Publiques (RGPP), des dispositifs sont interrompus et du coup ils doivent recourir aux dispositifs d’urgence. Par exemple, en un an, les financements ont diminué de 1 million d’euros entre 2009 et 2011 », explique Marc Uhry.
Surtout, pour les jeunes les plus fragiles, la période entre leurs 18 ans (fin de prise en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance – ASE) et leurs 25 ans (le début du RSA), est une « véritable traversée du désert du soutien public » :
« Les professionnels de l’urgence sociale déplorent notamment l’absence d’accompagnement et un désintérêt soudain du département (qui gère l’ASE, ndlr) une fois l’âge fatidique atteint, en particulier au niveau des enfants placés par les autorités publiques en maison d’accueil. (…) C’est parmi ces jeunes que le sans-abrisme recrute en masse ».
Et quand ces jeunes ont trouvé un emploi, il est souvent précaire. Ce qui ne leur permet pas d’accéder au logement.
Mais la tension est telle sur le marché du logement, que la dynamique entre emploi et logement est en train de s’inverser :
« De plus en plus de jeunes sont contraints de refuser un emploi parce qu’ils n’ont pas trouvé de logement ».
2/ Les personnes en souffrance psychiques privées de lits d’hôpitaux
La psychiatrie a pris de plein fouet la fermeture des lits d’hôpitaux et la réduction de la durée de séjour dans les HP.
Problème, les fermetures de lits sont allées beaucoup plus vite que la création de solutions d’hébergements par l’ouverture de structures d’accompagnement disséminées dans la ville :
« La Psychiatrie a connu un grand mouvement de « désinstitutionnalisation » avec la fermeture d’environ 5 000 lits en hôpitaux psychiatriques dans les années 90, en Rhône-Alpes, au nom d’un droit à la ville qui s’est avéré un droit à la rue, faute de solutions alternatives ».
Malgré les récents efforts de l’actuel préfet de Région, Jean-François Carenco, pour ouvrir des maisons relais, seulement 500 places (chiffre de la Fondation Abbé Pierre) ont été ouvertes.
Il suffit de tendre le micro, est-il écrit dans le rapport, pour entendre les professionnels de l’hébergement d’urgence déplorer que l’utilisation de leur secteur comme « déversoir » et « cache-misère de la déliquescence des politiques de santé mentale » :
« Selon les estimations des acteurs de terrain, un SDF sur deux souffrirait de troubles mentaux nécessitant un prise en charge sur la durée. Mais faute de moyens et de lieux spécialisés pour les prendre en charge, ils doivent se contenter des quelques équipes mobiles de psychiatrie, qui, à l’instar d’Interface SDF (première équipe créé à Lyon, ndlr) tentent de pallier les manques de moyens (…). Certaines personnes accumulent les séjours de courte durée en institutions spécialisées avant de retourner à la rue faute de places ».
Pour le directeur régional de la Fondation Abbé Pierre, c’est une question de moyens autant que de droits :
« Auparavant, il y avait un volet habitat dans le droit à la santé. On pouvait demander à entrer à l’hôpital et y rester longtemps. C’était une protection. Désormais, la prise en charge ne se fait que durant la période de crise. C’est cette restriction du droit sanitaire qui renvoie les personnes à l’urgence sociale ».
3/ Les étrangers : une fabrique administrative et kafkaïenne de la misère
Deux publics d’étrangers ont vu leurs droits sociaux particulièrement régresser. Il s’agit des demandeurs d’asile et des ressortissants européens :
« Les demandeurs d’asile bénéficiaient jusqu’au début des années 1990 du droit au travail et de la possibilité de percevoir des allocations logement. Ces droits leur ont été retirés, sans qu’on ouvre pour autant suffisamment de places dans les centres d’accueils spécilisés pour les accueillir ».
Concernant le ressortissants européens, « pour être clair, les Roms », nous dit la Fondation Abbé Pierre, en tant que Roumains ou Bulgares, leur accès au marché du travail est restreint à une liste de 150 métiers alors même qu’ils bénéficient de la liberté de circulation. C’est ce que l’on nomme les mesures transitoires que la France a décidé de mettre en place lors de l’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l’Union européenne en 2007. A cela s’ajoute toute une série de « chicanes admnistratives » qui confine à Kafka. Exemple :
« Une liste des métiers est accessibles aux ressortissants roumains et bulgares, mais la Direction du Travail (qui dépend de la Préfecture) exige un titre de séjour que la Direction de la réglementation (qui dépend de la même Préfecture) refuse de distribuer ».
En novembre, la France s’est faite taper sur les doigts par le Parlement et de la Commission européenne afin qu’elle mette fin à ces mesures transitoires. Mais elles ont été prolongées jusqu’au 31 décembre 2013. Comme de nombreuses associations, la Fondation Abbé Pierre demande la levée de ses mesures, par la voix de son directeur régional Marc Uhry :
« Ce n’est plus seulement des associations de gauchistes qui le disent. Cette recommandation affirme que cette période transitoire d’intégration de la Roumanie et de la Bulgarie n’a aucun intérêt car elle ne permet que d’empêcher les gens de travailler. D’un côté, on reproche au Roms de profiter du système ou de faire la manche et d’un autre côté, ils connaissent des chicanes administratives plus fortes que les autres pour accéder à l’emploi. Il faut être cohérent ».
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