Le 27 novembre 2010, deuxième partie de soirée sur France 2, c’est l’heure d’ « On n’est pas couché », l’émission de Laurent Ruquier. Entre l’humoriste Jean-Marie Bigard et le comédien Lorànt Deutsch, le socialiste Arnaud Montebourg tente de se frayer un chemin. Il vient parler de son nouvel livre programmatique, Des idées et des rêves, sensé porter sa (toute fraiche) candidature aux primaires. « On commence toujours par des rêves, et cela devient des réalités », lance d’emblée le député.
A Lyon, devant sa télé, Bertrand regarde avec curiosité. Il a 25 ans, originaire de Picardie, et il fait un master de Sciences-Po à Lyon. Dans sa famille, on ne parle pas de politique, pas plus que d’argent et de sentiments. Son grand frère a « flirté » avec le militantisme, mais très (très) à droite. Si Bertrand ne sait pas pour qui votent ses parents, il imagine que cela a pu aller de Le Pen à Besancenot, « en fonction des évènements ».
Sa mère est employée de poste, son père est ouvrier. Après la délocalisation de son usine dans les années 1990, son père a vécu l’intérim, jusqu’à ce que son corps dise « stop ». Le couple se prive matériellement pour payer les études de leur fils. « Moins de produits de marques, moins de sorties culturelles », constate le jeune homme.
Montebourg pour « contrer DSK »
Jusqu’ici, Bertrand n’a fait qu’effleurer l’engagement politique : un bref passage à l’Unef picarde, puis un engagement syndical étudiant plus abouti lors d’un échange universitaire au Québec. Et enfin, un détour par le PS lyonnais, sans lendemain.
« A l’Unef, j’étais trop immature politiquement. Plus tard au PS, j’ai assisté à quelques bons débats de section, mais je n’ai pas retrouvé l’objectivité que j’appréciais à la fac. Si je ne crois pas à tout ce qu’on raconte dans un tract, je ne peux pas le distribuer. »
A l’inverse, ce soir de novembre 2010, Montebourg lui semble « cohérent » sur toute la ligne. Bertrand découvre le concept de « démondialisation », inventé dans les années 70 par le penseur philippin Walden Bello. Rapidement, il achète le livre du Bressan et le dévore. Puis il décide de franchir le pas :
« Je n’ai pas choisi un homme mais ses idées. Je l’ai fait avec lucidité. Je me suis dit qu’il y avait une nécessité d’engagement pour les gens issus des classes moyennes. J’ai eu la chance de faire des études, je comprends un peu ce qu’il se passe en politique. Je crois, sans prétention, que c’était ma responsabilité sociale de m’investir. »
Sur Internet, il trouve un lien pour joindre l’équipe du candidat.
« Leur site proposait une carte de France sur GoogleMap, avec des post-it’ indiquant le nombre de militants à chaque endroit, se rappelle Bertrand. Ils étaient peu, et je me suis dit : “maintenant c’est parti, tu files ton adresse, ton nom, et tu fais le pari des primaires. »
Son but : porter Montebourg au second tour face à Strauss-Kahn, et rafler la mise.
Aubry et Hollande, « bonnet blanc ou blanc bonnet »
Très vite, Bertrand se retrouve dans un groupe de dix volontaires rhodaniens. Il doit ensuite gérer l’adresse mail du candidat dans le Rhône.
« Au niveau national, il y avait une équipe de campagne numérique (dirigée par Fabrice Berrahil,Ndlr). Je me suis proposé. Il fallait être présent sur le web, réagir sur Twitter, écrire des articles de blog, faire des liens… Sur certains sites comme Mediapart, l’équipe avait un compte. Pour le reste, je me suis fait une liste des médias où il était possible de poster des commentaires sans payer. Je n’avais pas une thune ! »
La campagne des primaires peine à démarrer. Pendant les cantonales de mars 2011, Bertrand ronge son frein. Idem lors des vacances d’été. Tout s’accélère finalement en septembre. Pour un café-débat qu’ils organisent (et qui sera un échec en terme d’affluence), les soutiens rhodaniens de Montebourg impriment des tracts à leurs frais. Ils sont peu nombreux, certains ont peu de temps. Insuffisant pour réaliser un porte-à-porte efficace. Le point culminant de la campagne à Lyon sera le passage d’Arnaud Montebourg à l’Astroballe de Villeurbanne, devant plusieurs centaines de personnes.
Arnaud Montebourg en pleine démonstration place des Terreaux, avant son meeting à Villeurbanne, le 1er octobre 2011. © IG
Le soir du premier tour, Montebourg fait 17%. Il est le troisième homme. Mais Bertrand est déçu :
« Les militants et sympathisants n’ont pas voulu de Montebourg, voilà tout. Après les résultats, je recevais plein de textos de félicitations. Moi j’en avais rien à carrer, on avait perdu, point. Et le choix, c’était désormais Aubry ou Hollande, bonnet blanc ou blanc bonnet. »
« Aux élections locales de 2014, la sanction tombera »
Bertrand relativise le poids des volontaires comme lui. Si Montebourg a percé, c’est grâce à ses « passages télé », considère-t-il. Ce qui ne l’empêche pas de garder un bon souvenir de cette expérience.
« A la fin, j’ai réalisé qu’il s’agissait de ma première campagne. J’avais vraiment eu envie de ça, je rêvais de l’aspect romanesque d’une campagne. Une fois, j’ai assisté à une réunion dans une auberge de Saône-et-Loire. Il y avait toute l’équipe numérique de Montebourg. C’était électrisant, je me retrouvais au côté de trentenaires capés et d’un gars qui avait posé son nom sur un bouquin auquel j’adhérais pleinement. Ce mec là, qui me tutoyais et reconnaissait mon travail dans l’équipe, il pouvait devenir président de la République ! »
Reste désormais la course sur la dernière ligne droite de la présidentielle, qui incombe à l’ancien premier secrétaire du PS, celui du « oui » au Traité européen de 2005. Autrement dit François Hollande. Bertrand ne le cache pas, il est amer. « Dès la première réunion des volontaires de Lyon, des socialistes encartés précisaient qu’en cas de victoire de Strauss-Kahn, il faudrait le soutenir à fond. Moi j’avais un problème avec cette logique. En terme de politique économique, Montebourg et Strauss-Kahn, ce n’est pas la même chose. Pour moi, Hollande reste lui aussi un social-démocrate, voire même un social-libéral. »
Traduction : il n’est pas assez « radical » à son goût.
« On verra si Hollande y arrive. Il a fait un beau discours au Bourget, mais c’est pas gagné. Et s’il accède vraiment au pouvoir, vu les impératifs financiers, j’ai peur qu’il n’ait finalement pas assez de courage pour dire non à la finance et à la financiarisation. L’union avec le reste de la gauche aurait été facile avec Montebourg. Alors que là, il y aura des arbitrages particulièrement compliqués en cas de coalition gouvernementale avec le Front de gauche. Le pouvoir risque de s’user rapidement. Et aux élections locales de 2014, la sanction tombera. »
« Mélenchon occupe l’espace »
Bertrand l’assure, il sera au rendez-vous de la « structuration » du mouvement politique d’Arnaud Montebourg, annoncé dans le Journal de Saône-et-Loire en octobre. Baptisé « La Rose et le réséda », il sera lancé le 4 février à Paris.
« Montebourguiste, montebourgeois, montebour-rien, je ne sais toujours pas comment dire, mais oui je le reste ».
En attendant, il redevient simple électeur pour la présidentielle. Et comme d’autres montebourguistes, il ne cache pas sa préférence pour le Front de gauche.
« Quand Mélenchon débat avec Copé, il y a deux positions, deux programmes opposés. C’est ce débat là qu’on doit avoir: d’un côté un libéralisme assumé, la mondialisation, la compétitivité, en clair des mots très jolis mais qui ont comme traduction sociale des fermetures d’usines et le chômage pour des mères de famille ; et de l’autre coté l’économie sociale et solidaire, le partage du capital, l’identification des problèmes structurels en politique économique, et les propositions de réforme de celui-ci. Mélenchon en a fini avec le bruit et la fureur : il est apaisé et déballe proposition sur proposition. »
A titre d’exemple, il cite la prestation du jeudi 12 janvier 2012 sur France 2, dans l’émission « Des paroles et des actes ». « La meilleure émission politique de la campagne pour l’instant », selon lui.
J.-L. Mélenchon «Des paroles et des actes» par lepartidegauche
Reste que la menace lepéniste est tenace. « Le Front national est un symptôme, c’est ça qui est triste,considère Bertrand. Le socialiste Vincent Peillon a parlé « d’acteur de l’abaissement national ». Je suis d’accord avec lui: 20% des sondés n’ont plus honte. Ca révèle l’état réel de la curiosité, de la tolérance, de l’ouverture des individus dans notre société. N’oublions pas que le Front national « new age », c’est une héritière devant, avec un beau discours sur la laïcité, et les vieux groupuscules intégristes catholiques cachés derrière. » (notre dernier article sur les groupuscules lyonnais d’extrême droite).
La question s’impose: en avril, Bertrand votera-t-il utile, ou fera-t-il le choix du cœur ? Il reste sur la seconde option, mais il reste plus de deux mois avant le premier tour de l’élection présidentielle. C’est dans ce laps de temps que les intentions de vote deviennent des certitudes.
Jean-Luc Mélenchon au Remue-Méninge du Front de gauche, à Grenoble, le 27 août 2011 (derrière lui à droite, l’un de ses amis du Petit journal de Canal Plus). © IG
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