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2012 : Pierre, électeur pied-rouge puis pied-vert

« Parcours d’électeurs » est une nouvelle série à suivre sur Rue89Lyon, qui devrait nous mener jusqu’aux prochaines élections, présidentielles puis législatives. Le principe : des portraits d’individus réalisés à travers le prisme de leurs votes, des virages qu’ils ont pris pour certains et de leurs intentions, claires ou encore floues, pour 2012. On commence par Pierre, 67 ans, retraité de l’éducation nationale, passé du rouge au vert.

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Parcours d'électeur
Crédit photo : Mickaël Draï

 

Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes

Son premier souvenir politique remonte à ses 9 ans. Pierre, d’origine italo-maltaise vit alors à Bône, une ville à l’Est de l’Algérie (qui deviendra Annaba à l’indépendance). Ce jour là, il suit son syndicaliste de père dans un petit cabanon en bord de mer. Il assiste alors, ingénu, à la scission locale entre la CGT et l’Union Générale des Travailleurs Algériens. Aussi loin qu’il se souvienne, ses parents ont toujours voté pour le parti communiste, sans être pour autant staliniens.

« Le problème quand tu vis dans le tiers-monde, c’est que tu n’as pas beaucoup de choix, explique Pierre. Le parti de gauche, internationaliste, révolutionnaire, pour l’autonomie des peuples contre l’impérialisme, c’était le parti communiste. Les autres étaient inexistants ».

Une anecdote lui revient dans un sourire. La devinette d’un copain de famille qui commentait, en 1957, la mise en orbite de Spoutnik, le premier satellite artificiel de la planète :

« Tu sais pourquoi les fusées soviétiques montent plus haut que les fusées américaines ? Parce qu’elles sont justes idéologiquement… Ça m’a beaucoup marqué ».

Pour lui, il n’est pas si évident qu’un enfant marche sur les traces de ses parents. Pourtant, dès l’âge de 14 ans, il se revoit collant des affiches pour son père, opposé au projet d’élire le président de la République au suffrage universel porté par le Général De Gaulle. Quelques années plus tard, départ pour la France avec, en tête, l’idée de rentrer un jour au pays. Pierre poursuit ses études en Normandie. Proche des jeunesses étudiantes communistes, il participe un peu en retrait aux grèves de 1968, regrettant que le milieu étudiant se soit approprié un mouvement à l’origine ouvrier.

En 1969, il décide de ne pas voter.

« Élection, piège à con, scande-t-il amusé. Je n’ai pas été triste à la mort de De Gaulle. Je l’ai été, par contre, quand Pompidou a pris le pouvoir ».

Rentré un peu plus tôt en Algérie, il devient un « pied-rouge », un militant Français d’extrême gauche pour l’indépendance qui se rend au pays après la guerre pour œuvrer à la reconstruction. Un nom en opposition au terme « pied-noir », qui désignait les Français installés en Afrique du Nord avant l’indépendance.

« L’Algérie a été notre Cuba. On rêvait d’un pays autogestionnaire et laïc ».

 

La révolution par la conciliation ?

Malgré ce parcours et ses idées, Pierre n’a jamais pour autant adhéré ni même voté pour le parti communiste. Dès 1965, malgré le passif de François Mitterrand et ses propos d’antan, il décide de lui offrir son vote contre le Général. Pierre perçoit une ouverture, un programme commun fédérateur qui prendra petit à petit l’ampleur nécessaire à l’élection du candidat du futur Parti Socialiste en 1981.

« Il a dit quelques conneries comme « l’Algérie, c’est la France ». Tout le monde peut se tromper. Des gens de droite qui ont des convictions et, à un moment, basculent à gauche, je trouve ça très bien. L’important, ce n’était pas l’homme, mais la dynamique qu’il créait à gauche ».

Car Pierre ne croit pas dans la lutte armée, mais bien dans les urnes, même s’il ne se reconnaît pas dans cette Ve République qui, pour lui, présidentialise à l’extrême.

« On le sait depuis Lénine. Une position révolutionnaire, c’est bien beau, mais il faut des transitions. Il faut d’abord voter pour le candidat le plus réformiste susceptible de prendre le pouvoir. Car la masse est toujours au centre et les idées très tranchées, ça peut faire peur. Et puis après, par une stratégie de débordement, il faut que les forces les plus radicales fassent pression, via l’union de la gauche, pour, graduellement, faire passer des réformes progressistes ».

Cette philosophie, Pierre l’a acquise dans le milieu syndical.

« Quand on parle d’extrême, moi, ça m’emmerde. LO, le PC, la Ligue Communiste…On a tous la même base. Nous sommes radicaux. Mais comment définir cette radicalité ? Comment la mettre en œuvre « stratégiquement », politiquement ? C’est là qu’on a des problèmes. Le pouvoir ne tombe pas par une manifestation. Ça n’existe plus dans les démocraties. Mais les partis d’extrême gauche semblent toujours y croire. Ils tombent dans une espèce de sectarisme et on ne peut plus parler avec eux. Dès qu’on essaie, on devient des traîtres. La formation syndicale m’a appris qu’on n’avançait que par les compromis. Quand un délégué syndical se retrouve face à un patron, il y a une négociation, il faut bien avancer, donc on cède à tour de rôle. C’est comme ça qu’on peut changer le système, mais il ne faut pas se laisser entraîner et devenir des notables dans ce propre système. C’est le danger chez les verts actuellement, il faut s’en prémunir. Parce qu’on veut faire de la politique autrement (rires) ».

 

De « pied-rouge » à « pied-vert »

Car Pierre vote aujourd’hui pour les Verts et ce, depuis Antoine Waechter en 1988, premier candidat du parti écologiste en lice pour des présidentielles. Pourtant, sa conscience écologique ne date pas d’hier. Plutôt de l’après-guerre d’Algérie, quand il retourne dans le pays qui l’a vu naître pour enseigner dans une école agricole de Sidi Bel Abbès, très influencé par les idées de l’agronome économiste René Dumont, prêchant contre l’agriculture intensive.

Début des années 2000, jeunes retraités, Pierre et son épouse, très impliqués dans le milieu syndical, décident de militer pour les Verts. « Pour passer de la lutte syndicale, à la lutte politique ».

« Chez les Verts, on est fédéraliste, on est radicaux, on est européen et on a une vision systémique. L’écologie, c’est une vision globale. On ne défend pas la nature pour la nature, les oiseaux pour les oiseaux. On n’en a rien à foutre. C’est l’homme qui doit être au centre. L’homme comme un être social et biologique. Il faut penser globalement. C’est très difficile à expliquer avec un slogan. Et à trop en faire des slogans, à trop simplifier les discours, tu mens aux gens ».

Aujourd’hui, le couple milite un peu moins qu’avant. Il leur est un peu plus difficile de gravir, avec le temps, les pentes ardues de la Croix-Rousse pour atteindre la permanence lyonnaise d’Europe écologie les verts. De légers soucis de santé qui ne devraient pas les empêcher de prendre tous deux le chemin des bureaux de votes pour soutenir Eva Joly, le 22 avril prochain.


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