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Miss Rondes : la guerre des concours

Beauty / La guerre fait rage dans l’univers pas feutré du tout de « la size » (comprendre de la « grande taille »). Deux concours de beauté dédiés aux femmes rondes s’opposent, Miss Curvy et Miss Ronde. Le premier comité de Miss étant un dissident du second. Ce soir a lieu la grande finale de Miss Ronde France, dans un climat sulfureux.

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L’histoire rappelle étonnamment la séparation sanglante d’Endemol et de Geneviève de Fontenay, à croire que les élections de Miss que l’on pourrait voir comme une question légère rendent particulièrement vindicatifs. Chez les rondes, la guerre a éclaté, alimentée par des va-et-vient indécis de la part des candidates régionales dans leur choix entre les deux organisations qui s’affrontent désormais, Miss Ronde France et Becurvy (qui élit Miss Curvy + Size).

Au départ, Miss Ronde France est un concours de beauté dédiées aux femmes plantureuses, organisé uniquement sur Internet dès 2006, par un psychothérapeute habitant Calais, Thierry Frézard. La formule prend rapidement et il parvient à monter des comités dans presque chacune des régions de France. Les premières élections nationales « en vrai » et en public ont lieu en 2010, à Calais.

Cette année, c’est à Paris que la Miss Ronde France 2012 sera élue en grande pompe, le 21 janvier, pour donner un caractère plus « national » au concours. Mais avant cette date, une autre dame « en chair »,  Miss Curvy, sera désignée par un comité tout juste né, celui de l’association Becurvy. Crée à l’automne 2010, elle est présidée par Yoann S.*, fiscaliste et ancien vice-président de Miss Ronde France.

Insatisfaits, déçus ou encore méfiants vis-à-vis de Thierry Frézard, dont ils jugent la communication mauvaise et la gestion hasardeuse, plusieurs transfuges de Miss Ronde France ont en effet monté en moins de temps qu’il ne faut pour le dire leur propre structure associative et leur finale nationale. Elle se tiendra elle aussi à Paris, ce 7 janvier.

 

Fat guerilla

On s’envoie des coups vifs tout en feignant l’indifférence, Yoann S., président de Becurvy, donne sa vision :

« Thierry Frézard a eu le mérite de lancer l’idée, qu’il continue de son côté, il y a de la place pour tout le monde. Nous voulons développer d’autres choses à côté du concours, comme des ateliers beauté pour les rondes, et militer pour que la confection grande taille soit plus adaptée à la mode. »

Le président de Miss Ronde France est à peu près d’accord :

« Ils ont mis dans leurs statuts toutes mes idées. Je me serais bien fichu de ce qu’ils montent un nouveau concours s’ils n’avaient pas essayé de me voler et de me diffamer. »

Ambiance. Thierry Frézard assure être en cours de procédure contre Becurvy, qu’il veut poursuivre pour « concurrence déloyale » et « vols de fichiers ». Timothée, trésorier de Becurvy, affirme entendre cette rengaine depuis huit mois, mais n’avoir pour l’heure aucun courrier d’avocat sur son bureau.

 

« On ne peut pas forcer une fille de 110 kilos à se déplacer ! »

En tête de la fronde qui a failli rendre Miss Ronde France exsangue, la présidente du comité de Rhône-Alpes, Cécile Moland, qui a amené avec elle Sheva, la gagnante de la finale régionale, pour en faire la candidate rhonalpine de Miss Curvy + Size. Thierry Frézard l’accuse d’avoir fait un travail de sape auprès des filles pour les emmener avec elle. Ce à quoi Cécile Moland répond :

« Pour plaisanter entre nous, on tourne en dérision ce que raconte Thierry Frézard : on ne peut pas forcer une fille de 110 kilos à se déplacer ! »

Mais tout ne semble pas si simple car la scission n’a pas installé deux camps définitifs. Marion Bogaert, grande gagnante de Miss Ronde France 2010, avait elle aussi opté pour Becurvy, et elle avait été désignée présidente du comité de sa région, la Bretagne. Seulement, l’élection de Miss Curvy Bretagne se serait déroulée de façon dérangeante. En tout cas pour Cécile Moland :

« Elle a fait défiler ses filles en string, et c’est typiquement ce qu’on ne veut pas faire à Becurvy. Pas de vulgarité, les filles rondes n’en ont pas besoin ! »

Aussi Marion Bogaert a-t-elle été remerciée. Et serait en train de revenir chez Miss Ronde France.

« Elle n’est pas la seule », assure Thierry Frézard. « Il y a une fille en Normandie, une autre dans le Nord, qui reviennent taper à ma porte. Ils se rendent compte qu’ils se sont tous bien trompés. Moi je tire des leçons de tout ça, je m’entourerai mieux dorénavant. »

 

Dallas et lingerie fine

Le psychothérapeute ne veut toutefois pas jeter la pierre aux indécis, même s’il accueille certains retours avec « méfiance ». Et notamment celui d’un ancien cadre de Miss Ronde France, qui a suivi la vague de l’automne 2011 en direction de Becurvy, où il avait pris le rôle de vice-président. Ce propriétaire d’un site de vente en ligne de lingerie sexy grande taille (malingeriexl.com) a vite été mis sur la sellette. Plusieurs forums de consommatrices évoquent des dysfonctionnements dans ce commerce en ligne et parlent même d’une « arnaque ». Timothée, l’actuel trésorier de Becurvy, arrivé tout frais dans cette association sans jamais être passé par la case Miss Ronde France, explique :

« Nous ne voulions pas que son image négative rejaillisse sur nous, aussi est-il parti et nous sommes bien contents. »

Sauf que le commerçant de soutiens-gorges bonnet G était aussi le webmaster de Becurvy, et qu’il est parti avec la propriété du nom du site becurvy.fr. Histoire de marquer son mécontentement. Becurvy a dû créer une page de secours à la veille de sa finale (d’ailleurs gagnée par la candidate de Rhône-Alpes).

Les rebondissements de cette séparation à rallonge pourraient alimenter un feuilleton, comme en convient Timothée :

« C’est un peu Dallas, c’est vrai ! Mais ce sont les aléas des structures qui se montent ».

D’un côté comme de l’autre, on accuse le concurrent de viser de vils objectifs, tels que « l’argent, la notoriété » (pour Cécile Moland quand elle parle de Thierry Frézard), ou encore « la promotion personnelle » (Thierry Frézard quand il évoque une ancienne candidate, Marie Baux), « la satisfaction d’être un Pygmalion » (quand cette dernière répond au président de Miss Ronde France), mais aussi « les strass et les paillettes » (pour Thierry Frézard en direction de Yoann S.).

Chacun s’attribue le monopole du respect et de l’amour pour la femme ronde. Ils auraient tous pu le dire en chœur, estimant que le camp adverse est, lui, dénué de ces intentions : « l’idée est de changer le regard que la société porte sur les personnes rondes ».

 

Taille 58, santé et bonheur

Thierry Frézard est bien d’accord avec l’idée de modifier l’image que la société peut avoir des gens enveloppés, mais souhaite avant tout que « les filles se sentent bien dans leur peau, qu’elles s’acceptent telles qu’elles sont. » Cécile Moland, à Becurvy, a pour sa part envie de montrer des filles « qui sont déjà très bien dans leur peau. » Pas question pour elle de risquer d’aller vers l’image de la pauvre fille qui ne peut rien faire avec ses nombreux kilos. Sa candidate en Rhône-Alpes, Sheva, qui a gagné l’élection régionale dans le cadre de Miss Ronde France, mais qui concourra pour la finale nationale de Becurvy, porte bien le message :

« Je ne vais pas faire d’émissions de téléréalité pour dire que je fais 100 kilos et que j’en souffre ! J’ai un enfant. Je suis mariée. Je travaille. Je suis très heureuse dans ma vie. »

C’est surtout un désaccord structurel qui sépare définitivement les deux associations, celui des critères de recrutement des candidates. Chez Miss Ronde France, aucune limite d’âge n’a été fixée ; et les filles doivent faire au moins six kilos de plus que leur taille. Chez Becurvy, les filles doivent avoir entre 18 et 35 ans, et elles doivent se situer dans des tailles de confection allant du 44 au 58. Thierry Frézard ne démord pas de ses convictions, au risque de donner raison à ses détracteurs sur la dimension professionnelle de son concours :

« Je trouve que c’est dommage, ce concours n’existait pas en France avant, une femme ronde de 50 ans peut avoir envie de le faire maintenant ! Je ne vais pas lui fermer les portes. On baissera peut-être cette limite d’âge, mais pas tout de suite, là il faut faire ce travail. Nous on a Maryline, notre miss Rhône-Alpes, qui a 53 ans, on lui en donne 35, c’est sûr, eh bien elle est super. »

 

L’œil de TF1… et d’Endemol

Thierry Frézard semble avoir cristallisé la plupart des griefs. Cet homme qui a su le premier s’organiser autour de la question des « rondes », peut en effet avoir des idées originales. Psychothérapeute de formation, il a pendant une courte période proposé à ses patients de mener leurs consultations en ligne, par webcam. Un temps révolu :

« J’ai abandonné l’activité sur Internet. Mais c’était intéressant j’utilisais un logiciel qui me permettait de voir ce qu’écrivait la personne en temps réel, je pouvais donc constater ce qu’elle décidait d’enlever dans son texte. Et puis avec la webcam c’est simple. Mais bon, plus assez de temps, j’ai assez à faire avec mes patients dans mon cabinet. »

Tous n’apprécient pas ce style. Marie Baux n’a pas de mots assez durs pour qualifier son expérience de candidate au sein de Miss Ronde France 2011. Une équipe de télé de l’émission Sept à huit sur TF1 avait suivi le déroulement du concours en 2010.

« Ils voulaient nous filmer en train de nous changer, ils se marraient et cherchaient à trouver les postures les moins avantageuses des filles ».

Elle reproche ainsi à Thierry Frézard de ne pas avoir empêché cela, mais aussi d’avoir traité les candidates « comme du bétail », ne leur proposant ni de nourriture ni d’espaces coulisses pour se changer. Elle se souvient aussi de la consternation (partagée par elle et par l’équipe de télé de TF1) de découvrir au sein du jury un chauffagiste, « qui n’avait rien à voir avec la choucroute », et dont la présence « décrédibilisait totalement le concours ».

« Cela n’a servi qu’à en rajouter sur l’image de la ronde qui serait une fille facile parce que, de toutes façons, elle ne peut pas se trouver de mec. »

Elle a abandonné le concours sous l’œil des caméras. Thierry Frézard estime que Marie Baux a réussi un coup de pub car elle a vendu un livre racontant sa mésaventure, a monté un blog très consulté et s’est fait connaître pour poser en tant que modèle. Lui n’a « aucun souci » avec l’émission de télé de Sept à huit ni avec TF1 qu’il espère même voir de nouveau venir à l’occasion de la finale 2012.

Pas question de se froisser avec la chaîne collaboratrice d’Endemol, qui organise les élections de Miss France « traditionnelles ». La finale de Miss Ronde France ne doit pas coûter plus de 20 000 euros, et chez Becurvy, toute l’organisation doit se faire avec un budget encore plus mince, de 10 000 euros. Ici, de la même façon, des prises de contacts avec le producteur de programmes télé seraient donc « vues d’un bon œil ». Mais pour le moment, Endemol n’a fait que demander à Becurvy de modifier le  nom de son titre, qui fût d’abord Miss Curvy France, transformé en Miss Curvy + Size, pour ne pas créer de confusion avec la marque déposée de Miss France.

> Mis à jour le 17 mai 2013 : *Le nom de l’ex-président de Becurvy a été enlevé à sa demande, l’affiliation de son nom à cette ancienne activité lui portant préjudice aujourd’hui professionnellement, selon lui. Il est donc présenté comme Yoann S.


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