Six ans après l’exécution de Louis XVI, la France s’offrait un premier « homme providentiel » en Napoléon Bonaparte. Ce fut le début d’une longue série, pour le meilleur et pour le pire : Louis XVIII, Louis-Philippe, Louis-Napoléon Bonaparte, Clémenceau, Poincaré, Pétain, Mendes-France, de Gaulle… D’autres auraient bien aimé revêtir cet habit de lumière, comme le général Boulanger, Pierre Poujade ou Jean-Marie Le Pen…
Cette tendance a toujours existé, quel que soit le régime en place. A croire qu’après avoir tué le père, physiquement et psychologiquement, le 21 janvier 1793, les Français refoulaient sans cesse cet acte oedipien en se cherchant un père (ou une mère) de substitution.
Cela se manifeste surtout lors des déchirements nationaux, comme la perte de l’Alsace-Moselle, la défaite de 1940 ou la guerre d’Algérie.
Le régime actuel, la Ve République, née justement lors de ce dernier conflit, a même eu tendance à l’institutionnaliser, avec son élection présidentielle au suffrage universel direct, « rencontre entre un pays et un homme »…
Dynastie, le feuilleton…
Poser la question de la légitimité démocratique de ce scrutin s’avère risqué. Les taux de participation de 2007 (83,8 % des inscrits au premier tour, 84 % au second tour) semblent attester que les Français sont attachés à cette élection. Ce serait oublier un peu vite que, tout découlant de la présidentielle, il est normal que les citoyens s’investissent davantage dans ce rendez-vous électoral qui rythme la vie démocratique du pays.
Mais désigner une femme ou un homme pour en représenter 65 millions d’autres, est-ce encore totalement démocratique ? Surtout avec de tels pouvoirs. Car contrairement à une idée répandue, le président de la République français détient davantage de prérogatives que celui des Etats-Unis d’Amérique, qui doit sans cesse composer avec la majorité au Congrès. Sans oublier que, si cette dernière peut déclencher une procédure de destitution à son encontre, il lui est en revanche impossible de la dissoudre.
En France, c’est le contraire, et le fameux article 16 sur les pleins pouvoirs en cas de crise, même atténué par la réforme constitutionnelle de 2008, reste sujet à caution.
Certains détracteurs de la Ve République parlent même de « monarchie élective »… Ce qui fait dire à d’autres détracteurs, louchant vers certains de nos voisins européens, que l’idéal serait une monarchie parlementaire, avec un chef de la majorité, un chef de l’opposition et un arbitre au-dessus de la mêlée. La plupart oublie de préciser quelle famille tiendrait ce rôle, forcément dynastique : Capet, Capet de la maison d’Orléans, Bonaparte ?
« Mitterrand-Chirac », les couples infertiles
Plus sérieusement, une solution réellement républicaine est envisageable. Dans l’Histoire de France, le président n’a pas toujours été omnipotent. Le problème de la IIIe, et surtout de la IVe République, n’était pas tant que ce président « inaugurait les chrysanthèmes », que les partis se décrédibilisaient et s’épuisaient dans des combinaisons électorales et politiciennes bien loin des préoccupations des citoyens. Une tambouille réchauffée par des modes de scrutin peinant à imposer une majorité stable.
Le Chef de l’Etat, s’il doit endosser le maillot d’arbitre, ne pourra le faire que si au moins une des chambres du Parlement, celle qui a le dernier mot, dégage une majorité, ou à défaut une coalition claire. Autre condition : si le chef du gouvernement détient l’essentiel des pouvoirs, par le truchement du suffrage universel, il ne peut entrer en concurrence avec un Chef de l’Etat légitimé par le même suffrage.
Sous la Ve République, cela s’est produit trois fois, lorsque François Mitterrand, puis Jacques Chirac, ont perdu leur majorité parlementaire et ont du composer avec un Premier ministre issu du camp opposé… Loin de constituer un contre-pouvoir, cette concurrence de légitimité instaure un exécutif conflictuel.
Un président arbitre de la Nation, garant de la Constitution, des valeurs de la République, véritable modérateur du débat public, détenant l’autorité sans le pouvoir, pourrait être élu par le Congrès, ou par un collège de grands électeurs, pour un mandat d’un an renouvelable cinq ou sept fois, mais sans discontinuité. Il (ou elle) serait choisi(e) sur une liste d’anciens élus.
Mais comme tout bon patient en analyse, pour évacuer une bonne fois pour toutes son complexe d’Oedipe, le pays devra effectuer un important travail sur lui-même. A savoir réformer sa gouvernance de fond en comble : instiller une dose de majoritaire dans la proportionnelle (et non le contraire…), élire deux chambres au suffrage universel direct mais selon deux modes différents, mettre fin au cumul des mandats dans l’espace et le temps, instaurer des mécanismes de participation et de contrôle citoyens, réfléchir à un nouveau statut de l’élu…
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