Quelques minutes avant, c’est le temps des adultes, pour se saluer, pour se rassurer, pour recoller une affiche qui décidément ne tient pas. C’est la valse automatique des « bonjour ! » et des « comment ca va ? ». C’est le calme, le silence, et parfois la peur. Ca sent une drôle d’odeur qui mélange les produits ménagers des plus abrasifs, la café brulé et l’urine qui provient des toilettes que la mairie ne veut plus réparer
Le pôle d’attraction du matin, c’est la photocopieuse, elle avale les enseignants plus rapidement que les feuilles A4, éternels décors de l’éducation moderne. Il y a une politesse de la photocopieuse, ou pas… On peut établir tout un code sociologique : entre ceux qui s’organisent au mieux, bourrés de signets, et ceux qui arrivent toujours à 8 heures 24 avec une semaine de fiches à copier ; toujours perdus entre les tiroirs à remplir, les rouleaux à débourrer, et les photocopies bonnes à jeter parce qu’un coup de massicot mal placé sur les A3 a coupé l’exercice en deux. C’est là que se nouent des amitiés et des haines farouches. Mais le pire des crimes reste de ne pas laisser faire une copie au collègue pressé alors que toi, tu es en train d’en faire trois ramettes.
Petit à petit l’angoisse augmente, le fil de la journée se déroule en quelques secondes, et c’est là, alors que la file à la Machine augmente qu’on se rend compte qu’on a rien prévu de 11 heures 17 à 11 heures 29, qu’il faudra faire un choix à la récréation entre aller photocopier un coloriage magique, aller aux toilettes, où enfin trouver le temps d’appeler la librairie ; en même temps commander 3200 gommes au lieu de 32, ce n’était pas très malin…
C’est bientôt l’heure et les infos commencent à tomber.
« Mohamed ne mange pas à la cantine… » ; « Il ne faut pas laisser partir Dylan, sa grand-mère vient le chercher, elle sera en retard, elle a rendez-vous au tribunal… » ; Martine, la collègue d’à coté en a marre : « des élèves de ta classe ont écrit au tableau sale pute, faut absolument trouver qui c’est » ; « et au fait, il n’y a plus de toner dans la photocopieuse, l’imprimante est en panne, tu pourras jeter un coup d’œil, faut commander des cartouches, mais je ne sais pas lesquelles il faut… » ; « Tiens ! C’est la mère de Faysénaelle au téléphone, elle n’est pas contente que tu l’aies traitée de gros bébé… » ; « Tu sais aujourd’hui ils coupent les arbres tu ne pourras pas faire sport…» ; « Tu pourras me donner ton livre avec les séances d’art visuel ? » ; « Faut que je règle un problème avec Islème, tu pourras me l’envoyer -il a léché les feuilles de peinture, maintenant ça bave »… Le directeur qui passe : « Ah, fallait que je te vois, si la police vient pour Arménian, tu me l’envoies et tu dis qu’il n’est pas à l’école aujourd’hui. Sinon le psy pourra pas passer finalement cet après midi, il a une urgence à Victor Hugo, un collègue est gravement malade, l’inspectrice veut qu’il parle à l’équipe, il te rappelle » ; « Bonjour je suis la maman de Kenya, Je voulais vous dire qu’elle n’a pas fait ses devoirs parce qu’hier, sa grand-mère est rentrée du pays, on a fait la fête et elle s’est couchée tard». Le directeur qui repasse : « Vanessa n’est pas là, son petit est malade, tu auras quatre CM2 dans ta classe, non, évidement, y’aura pas d’remplaçant. »
Et puis c’est l’heure, ils arrivent. Il faut être prêt à débuter une nouvelle journée ne sachant jamais si elle va se passer comme prévu. Parce que ce qui commence, là, à 8 heures 30, ce n’est pas de la production, c’est juste l’éducation de petits humains qui arrivent avec leurs histoires, leurs envies, leurs peurs, leurs peines, et le plus souvent, de bon matin, un immense sourire de joie en entrant dans la classe.

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