Quelque chose de politique est advenu, samedi 12 novembre, un peu après 16h, sur le parvis du Centre chorégraphique national de Rillieux la Pape. Il faisait bon alors, les tours du quartier n’étaient pas assez hautes pour empêcher le soleil de réchauffer la petite foule amassée là. Soudain, les premières notes d’une chanson bien connue résonnent entre le bois qui caractérise l’architecture du CCN et le béton alentour. La voix de Jim Morrison dans The End des Doors, rythme et donne sa gravité à la performance Les Sisyphes, orchestrée par Julie Nioche. Une vingtaine de jeunes gens se mettent à sautiller, à courir sur place, comme pour un échauffement. L’échauffement dure longtemps, vingt minutes environ, pendant lesquelles chacun s’épuise à son rythme, observant quelques règles chorégraphiques simples (chercher la verticalité en bondissant pendant un temps, avancer et reculer pendant un autre, etc.) tout en développant une énergie singulière. Les postures sont plus ou moins fières, le maintien plus ou moins droit. On comprendra par la suite cette diversité : le groupe est composé pour moitié d’élèves du Conservatoire national supérieur de musique et de danse (CNSMD), pour moitié de danseurs de hip hop de Rillieux. Mais quelles que soient la technique et l’endurance des participants, tous terminent en sueur. Tous font preuve d’un entêtement héroïque, d’une rage qui devient grâce par l’effet du groupe. Ils donnent le sentiment que si un seul s’arrêtait, tous s’effondreraient. Soleil, bois, béton, ados d’origines diverses et public souriant : pouvait-on imaginer plus belle carte postale pour la réouverture du Centre chorégraphique national de Rillieux ?
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Yuval Pick a également invité deux compagnies pour des spectacles gratuits. La bonne surprise est venue du groupe Entorse avec la pièce Accidens. Si l’imaginaire de départ pouvait sembler relativement pauvre (tapis et costume blancs, atmosphère post-apocalyptique, tentative de lutter contre une gravité plaquant l’interprète au sol), la qualité du traitement chorégraphique, sonore et visuel de l’ensemble a hypnotisé plus d’un spectateur. Samuel Lefeuvre, l’interprète, est complètement disloqué, prostré, il essaie peu à peu de s’affranchir de cet environnement, de se déplier. Avec des airs, parfois, de Jean-Baptiste André, dans le solo que lui a composé Christian Rizzo, Comme crâne, comme culte, dans lequel il tentait, en combinaison de motard, de se mouvoir après un accident. Il est désormais peu fréquent d’être surpris par des manières de bouger, de réinventer le mouvement ; Samuel Lefeuvre travaille l’espace autant que son corps et se fige parfois, comme pour ce tableau stupéfiant où il se transforme en statue recroquevillée sous un nuage de fumée menaçant. Finalement, malgré les doutes du début et quelques tics (passages au noir nombreux, ambiance « dark » très appuyée), Accidens est une pièce saisissante qui plonge le spectateur dans un espace et un temps suspendus, nous montrant un homme seul face à la catastrophe.
Si cette oeuvre était très sombre et parfois très lente, de nombreux enfants présents semblent avoir été scotchés par la performance du groupe Entorse et l’on a même surpris, à la sortie, une petite fille qui pleurait en regardant sa grande soeur ; « pourquoi on ne va pas voir un autre spectacle ? ». Car aussi bien sur le parvis pour Les Sisyphes que dans les studios du CCN pour Accidens ou pour Quai du sujet de Foofwa d’imobilité (dont nous n’avons par ailleurs pas grand chose à dire), les habitants du quartier étaient nombreux parmi les spectateurs. Une membre de l’équipe du CCN nous confiait : « ça fait plaisir de voir aujourd’hui des familles avec lesquelles nous entretenons des relations depuis des années ». En effet, si nous étions des touristes à Rillieux pour l’après-midi, nous en revenons avec la conviction renforcée qu’installer des équipements publics de création et de culture dans des territoires de la périphérie génère nécessairement des rencontres, du désir et pourquoi pas des vocations.
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