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Mais pourquoi y’a t-il des traboules à Lyon ?

[Série – Mais pourquoi c’est lyonnais ? ] Impossible de passer à côté des traboules quand on est de Lyon ou simplement de passage dans la capitale des Gaules. Elles sont l’un des éléments de patrimoine les plus connus de la ville. Mais d’où viennent-elles ?

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traboule cour des Voraces
La Cour des Voraces, dans les pentes de la Croix-Rousse (Lyon 4e)

Les Lyonnais·es le savent, ce qui attire chaque année des milliers de touristes dans leur ville, c’est sa richesse patrimoniale. Parmi les nombreuses renommées de Lyon, les traboules – aussi connues que mystérieuses – font partie d’un ensemble architectural reconnu par l’Unesco. Au coeur des quartiers du Vieux-Lyon et de la Croix-Rousse, elles sont inscrites au patrimoine mondial depuis 1998.

Rien de tel que de revenir à l’étymologie du mot pour comprendre leur fonction. Du latin trans ambulare, qui signifie « circuler à travers », les traboules sont des passages couverts pour circuler d’une rue à l’autre, d’une maison à l’autre, en passant par des escaliers sous les habitations ou à travers des cours d’immeuble.

Sur les 500 traboules que compte encore la ville de Lyon, seule certaines sont accessibles au public. Car oui, les traboules sont avant tout des propriétés privées. Et parmi celles qui sont encore visitables, la surfréquentation pèse sur les locaux.

Les traboules pour circuler à travers le passé de Lyon

Les traboules sont décrites par Corinne Poirieux, dans le guide Lyon et ses traboules, comme « l’un des aspects les plus originaux de l’architecture et de l’identité de Lyon ». S’intéresser à leur histoire c’est aussi s’intéresser au riche passé de la ville. Car les traboules ne se cantonnent pas à une époque en particulier.

Leur origine exacte est difficile à déterminer. Certains chercheurs les font remonter à la fin de l’époque romaine, et au début du Moyen Âge quand les habitants du pied de la colline de Fourvière manquaient d’eau. D’où le besoin d’accéder aux « 2 000 puits supposés » de la ville via l’aménagement de ces passages couverts.

D’autres scientifiques se focalisent sur les contraintes spatiales de Lyon qui s’accroissent durant la période de la Renaissance et son explosion démographique. « À partir des années 1500-1550 la ville atteint 50 000 habitants sur un site très restreint et si on enlève tous les couvents et les espaces religieux il n’y avait pas beaucoup d’espace pour urbaniser », relate l’historien Nicolas Bruno-Jacquet.

C’est en tous cas dans le Vieux-Lyon d’aujourd’hui que les traboules apparaissent. Puis la construction de traboule devient ensuite comme une « habitude prise ». Elles finissent par franchir la Saône pour se développer à Croix-Rousse et sur la Presqu’île. Un lieu où il en subsiste peu. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, le préfet Vaisse remodèle complètement le tissu urbain, faisant disparaître les derniers ateliers de tissage et passages qui les reliaient.

À Lyon, les traboules ont de multiples visages

Pour beaucoup, l’histoire des traboules est intimement liée à celle d’une autre spécialité lyonnaise, la soie, dont le négoce prend de l’ampleur au XIXe siècle. Une activité pour laquelle se déplacer rapidement entre les lieux de production et d’affaires est bien utile.

Passage touristique obligé, et architecture typique des canuts, la traboule de la Cour des Voraces dans les pentes de la Croix-Rousse (Lyon 4e) est intimement liée à l’histoire de la soie.

L’immeuble date de 1840, alors qu’il fallait construire toujours plus de logements pour les ouvriers de la soie, les canuts. Dans cette cour, une plaque commémorative a été installée par la mairie du 1er arrondissement et l’association d’aide à l’accès au logement Habitat et humanisme, qui gère aujourd’hui l’immeuble. La plaque explique qu’au rez-de-chaussée était installé l’un des derniers ateliers de canuts en activité sur les pentes et que dans cette cour s’était établi le Devoir mutuel, un groupe mutualiste de canuts.

Pour autant, l’historien Nicolas-Bruno Jacquet veut remettre les pendules à l’heure. Il ne faudrait, selon lui, pas associer systématiquement les traboules au transport de la soie. Certains passages ne sont pas vraiment pratiques, pas abrités (ce qui ne permet donc pas de protéger la soie comme l’affirme certaines hypothèses). D’après lui, les traboules construites à Lyon le sont avant tout par contrainte d’espace.

Les traboules sont nimbées de mystères, associées au secret à la pénombre. Des qualités prisées pendant la Résistance. Certains ont utilisé ce réseau pour s’échapper facilement ou communiquer plus rapidement.

D’après Nicolas-Bruno Jacquet, « la traboule est intemporelle » et l’on a tendance à lui coller une histoire a posteriori. Elles évoluent dans le temps, sont utilisées de diverses manières selon les contextes et besoins en vigueur. Une constante dans l’imaginaire reste que les traboules permettent « d’aller plus vite ». Là encore, l’historien émet quelques réserves.

« Pour accéder à certaines traboules aujourd’hui il y a des codes et quand on regarde les portes dans le Vieux-Lyon il y a des clés. Historiquement on ne rentrait pas comme ça chez les gens. Les traboules c’était pour les habitants des immeubles, pour faciliter leur accès dans la ville par rapport à leur propriété. Ça n’a jamais été public », nuance l’historien.

Les traboules à Lyon des espaces privés prisés des touristes

Là repose toute l’ambiguïté de ce patrimoine. Pour la plupart, les traboules sont des lieux privés. Les visiter implique d’entrer chez quelqu’un. Ce qui n’est pas sans créer quelques conflits. Certain·es habitant·es sont de plus en plus excédé·es des va-et-vient des touristes, du bruit causé par les visites de groupes de plusieurs dizaines de personnes dans des cours où les voix résonnent.

Dans les traboules les plus visitées, comme la « longue traboule » située rue Saint-Jean dans le Vieux-Lyon, les habitant·es décrivent même une situation « infernale ».

Son accès est autorisé grâce à une convention signée en 1990 entre la Ville, les bailleurs sociaux et les copropriétaires. Ces conventions « Cour-Traboule » devaient permettre de garantir l’accès à ce patrimoine tout en assurant « propreté et tranquillité » aux habitant·es.

Elles stipulent que « la Ville et la Communauté urbaine [ancien statut de la Métropole de Lyon, ndlr] participent aux charges d’entretien, nettoyage et éclairage des lieux en contrepartie d’un droit de passage public piéton dans ces traboules et cours privées, 365 jours par an entre 7h et 19h. »

Un accord tripartite aujourd’hui de plus en plus remis en cause. Les propriétaires ferment les portes des traboules et installent des digicodes.

La porte pour accéder à la longue traboule de la rue Saint-Jean (Vieux-Lyon) est verrouillée ce jeudi 1er août.Photo : MP/Rue89Lyon

Une réaction compréhensible pour l’historien et guide Nicolas Bruno-Jacquet, qui tient tout de même à souligner « la gentillesse de certains propriétaires Lyonnais » qui tolèrent encore ces passages et permettent de visiter ces traces de l’histoire. Une condition, toutefois, pour continuer à les apprécier selon lui : s’assurer d’être respectueux des lieux et des gens qui y résident toute l’année.

Une cohabitation qu’avait tenté d’assurer Only Lyon Tourisme avec sa charte des bonnes pratiques de visites. En somme, pour continuer de trabouler, traboulez en paix!


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