Sexualité en baisse, solitude : des amours en crise à l’heure de l’urgence écologique
Et si nous vivions une crise de l’amour ? Et si notre impuissance à inverser le changement climatique, l’érosion de la biodiversité et les bouleversements systémiques à l’œuvre était le fait de notre incapacité à nous relier, à nous aimer, et ce dans tous les sens du terme ? C’est cette hypothèse que nous discuterons pour ce nouveau mercredi sur Radio Anthropocène.
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Cité Anthropocène
Publié le ·
Imprimé le 4 décembre 2024 à 08h49 ·
Modifié le ·
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« Faites l’amour, pas la guerre ». Tout le monde connaît ce fameux slogan anti-guerre issu de la contre-culture des années 1960 aux États-Unis. Pourtant, à en croire nos dirigeants, il faudrait faire la guerre… en faisant davantage l’amour : car l’heure est au « réarmement démographique », comme l’a affirmé le président Emmanuel Macron lors d’un discours courant janvier.
S’il faut bien sûr relativiser le lien entre sexualité et procréation dans un pays à forte prévalence contraceptive, il est opportun de se pencher sur la place donnée à l’amour dans nos sociétés contemporaines. Du moins à sa forme canonique, celle qu’on associe au dieu grec, celle de l’Eros. Les Français font moins l’amour.
Le phénomène a même reçu un nom : nous connaissons une « récession sexuelle ». C’est le constat posé par une récente enquête de l’IFOP, commandée par l’entreprise de sextoys LELO. En 2023, près d’un quart de la population française n’a pas eu de rapport sexuel au cours des douze derniers mois ; un chiffre qui n’a jamais été aussi fort depuis près de 50 ans.
Ce phénomène concerne particulièrement les plus jeunes. Plus d’un quart des 18-24 ans confient ne pas avoir eu de rapports sur l’année écoulée, soit cinq fois plus qu’en 2006. Des phénomènes conjoncturels expliquent pour partie ces tendances. Les écrans sont pointés du doigt : d’après la même enquête, 50 % des hommes de moins de 35 ans et 41 % des femmes reconnaissent en effet avoir déjà renoncé à un rapport sexuel pour regarder une série ou un film.
Sexualité en berne : un mal pour un bien?
Les pratiques sexuelles diminuent sous l’effet conjugué de plusieurs phénomènes. D’abord, il faut rappeler que l’abstinence reste majoritairement un phénomène subi. Mais cette récession sexuelle s’inscrit aussi dans un contexte plus large de désintérêt pour le sexe. Des tendances lourdes affectent ainsi la place des rapports sexuels dans la vie sociale ; elles n’ont en réalité rien d’inquiétant.
S’il y a bien récession sexuelle, celle-ci est compensée par une amélioration qualitative de nos rapports. Celle-ci s’explique notamment par la dissociation croissante entre conjugalité et sexualité et par la place accrue donnée au consentement, essentiellement portée par l’émancipation féminine au cours des cinquante dernières années. L’asexualité connait également une progression croissante : elle concerne 15% des femmes françaises.
Mettre l’amour en crise
Si l’amour semble battre de l’aile, c’est en réalité sa vision hétéro-patriarcale qui est de plus en plus questionnée. Nous assistons à l’érosion du « devoir conjugal » : en 1981, 76% des femmes de 18-49 ans confiaient faire l’amour « sans en avoir envie », elles sont 52% aujourd’hui. Et puis le sexe perd de ses charmes : 54% des femmes et 42% des hommes pourraient continuer à vivre avec quelqu’un sans rapports sexuels.
Comme l’explique François Krauss, directeur du pôle politique et actualités de l’Ifop, les Français « ne sont plus obligés d’avoir une vie sexuelle intense ou trépidante pour réussir (leur) couple ». Au-delà de ce modèle hétérosexuel, l’amour se pense de plus en plus au pluriel ; les modèles de conjugalité et de sexualité évoluent de pair.
Réinventer l’amour pour soigner la nature
Une certaine critique dresse aussi des ponts entre la crise écologique et les formes traditionnelles d’amour et de conjugalité. L’écoféminisme, notamment, met en lumière la responsabilité de la figure occidentale du male breadwinner (l’homme qui subvient seul aux besoins du foyer) dans la colonisation des terres, des esprits, des corps et des cœurs. Porteuse d’une vision spécifique d’un amour fait de domination et d’extraction, cette colonisation jetterait les bases de l’Anthropocène.
Pour en parler, on a même forgé le terme d’Androcène. Silvia Federici voit ainsi dans le travail reproductif féminin – via le travail du care et la natalité – la condition de possibilité de la reproduction sociale et du capitalisme.
Cara New Daggett, professeure en sciences politiques à l’université Virginia Tech montre également dans son ouvrage Pétromasculinités comment le système énergétique contemporain a produit un style de vie, une culture et des récits qui structurent nos sociétés patriarcales.
L’anthropocène, une crise de l’amour ?
Les Grecs distinguaient quatre termes pour penser l’amour. L’eros mais aussi la philia – amitié –, l’agapé – l’amour divin -, et le storgê – le souci, l’attention. Plus qu’une crise amoureuse entendue au singulier, on pourrait faire l’hypothèse que l’Anthropocène met précisément en scène la question amoureuse sous toutes ses coutures.
Car on peut lire cette période comme une crise éthique. Une crise du lien. Nous ne savons plus prendre soin de nos relations, du collectif, ni porter attention au monde environnant. Pour y remédier, l’heure n’est-elle pas de revenir à la « génération », pour paraphraser Émilie Hache ? Et réinventer ainsi de nouvelles formes d’amour ?
C’est de tous ces enjeux que nous discuterons ce mercredi 14 février sur les antennes de Radio Anthropocène. Un programme tout à propos en cette journée de Saint Valentin pour questionner et célébrer l’amour sous toutes ses coutures !
L’association Cité Anthropocène prend la suite des activités de l’Ecole Urbaine de Lyon et travaille à la mobilisation conjointe des sociétés et des sciences pour faire face à l’urgence des enjeux soulevés par le changement global.
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