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(A)ménager les rivières à l’heure de l’anthropocène

Cette semaine, l’équipage de Radio anthropocène part à la découverte des rivières et des cours d’eau urbains et proposer de les ménager. Un programme à contre-courant pour suivre le flot des imaginaires aquatiques à l’heure de l’anthropocène

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Radio anthropocène - Rivières urbaines - 17 janvier 2024
Radio anthropocène – Rivières urbaines – 17 janvier 2024

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Et au milieu coule une rivière 

Si l’on considérait la France comme un organisme, les rivières seraient assurément les artères et les veines qui irriguent et drainent son territoire. Les cartes de Robert Szucs brossent la physionomie d’un pays où l’eau contribue au découpage de régions naturelles, où les rivières dessinent des bassins versants et construisent ce faisant des paysages, des terroirs, et des arts de vivre.

Cette géographie fluviale contribue aussi à des dynamiques d’aménagements anciennes. Car les villes s’établissent bien souvent du fait d’une situation favorable, à la confluence de deux bras de fleuves (à Lyon), à une embouchure (Bordeaux), ou comme à Paris, qui est située dans un coude de la Seine – pour poursuivre la métaphore organique ! Mises en valeur, aménagées, les rivières accueillent des usages qui se multiplient : véritables vaisseaux sanguins elles reçoivent bateaux et marchandises pour assurer l’essor des activités humaines.

Les différents bassins versants français – Crédits : Robert Szucs

Dompter les eaux, canaliser les rivières

Symbole de la maîtrise de l’homme sur la nature, les rivières ont été canalisées, remblayées, récurées. On y a construit des barrages, leurs berges ont été bétonnées pour assurer des aménagements urbains de tout ordre, et leur cours a parfois même été redessiné. Mais ces grands travaux ne sont pas sans conséquences.

S’il ne faut pas réveiller l’eau qui dort, parfois la rivière sort de son lit… Les aléas naturels ont toujours existé. Mais le changement climatique contribue dorénavant à la multiplication des évènements climatiques extrêmes, et à leur plus violente intensité. Sous l’effet de ce dérèglement, le niveau des précipitions augmente dans certaines régions, comme c’est le cas depuis plusieurs semaines dans le Nord Pas de Calais. Là, les rivières, qui paraissaient jusqu’à peu paisibles et sereines, rendent la vie impossible à des milliers d’habitants dont les espaces de vie deviennent peu à peu inhabitables.

Une vue aérienne de Montcravel (Pas-de-Calais), le 10 novembre 2023. ANTHONY BRZESKI | Crédits : AFP

Ménager les rivières, déménager les hommes ?

La pluralité d’usages qui cohabitent autour des rivières et des cours d’eau urbains n’est pas sans causer de problème. Car sous l’effet du changement climatique, et dans un contexte d’urbanisation généralisée des territoires, les risques se multiplient. Les populations et les biens sont de plus en plus exposés à mesure que les aléas se renforcent comme l’explique justement la géographe Magali Reghezza Zit.

La problématique tient aussi au fait que les sociétés humaines ont fait le choix conscient de ne pas tenir comptes des risques. Un quart des Français vit aujourd’hui en zone inondable. Dans le Pas-de-Calais, la multiplication des constructions de plain-pied, à l’abri de digues mal entretenues, le vieillissement, la mobilité réduite ont joué un rôle aussi important dans les inondations que le processus physique de précipitations massives.

Car pour qu’il y ait catastrophe, il faut la conjonction d’un risque – soit l’exposition de personnes et de biens à un aléa – et d’une vulnérabilité. Aujourd’hui, cette impréparation justifie parfois même la nécessité d’un déménagement et l’expropriation de certaines populations comme ce fut le cas suite à la tempête Xynthia de 2010. Ne faudrait-il pas plutôt privilégier un ménagement des rivières et des sociétés ?

Sous les pavés, la plage ?

Ce sens du ménagement, appelle peut-être à un infléchissement dans la manière d’appréhender nos cours d’eau. Car ces rivières nous sont devenues en grande partie invisibles, au-delà de ces épisodes climatiques dramatiques. Sous l’effet de nos usages divers et variés, nous ne savons plus les observer, ni les comprendre. Cet infléchissement, c’est peut-être celui de voir littéralement l’eau couler sous les ponts, et ailleurs !

Débitumer, déconstruire pour mieux sentir le flot et le reflux. Recenser ces petits rus, ces ruisseaux et autres rivières. La dynamique est enclenchée : c’est le cas de la Bièvre, à Paris, qu’on retrouve sous le macadam ou de l’Yzeron, ici à Lyon. Ces cours d’eau qu’on restaure, c’est aussi la promesse d’une présence accrue de biodiversité.

Car la rivière charrie son lot de faune et de flore et sur ce point la situation est relativement préoccupante. Au-delà de la question des pollutions chimiques, le degré de préservation d’un cours d’eau découle de son état écologique : seulement la moitié des masses d’eau des cours d’eau français était, au moins, en bon état écologique en 2015.

Enchanter la rivière ?

Espace de logistique, enjeu de transport et de commerce, espace de flânerie, réserve de biodiversité, les rivières et leurs abords sont aujourd’hui soumis à des pressions nombreuses, et à des injonctions souvent contradictoires. Face à ce constat, certains font le pari d’une révolution d’ordre esthétique et éthique pour prendre soin de nos rivières et cours d’eau.

N’est-ce pas là le sens du travail de Pierre Suchet qui nous invite à retrouver ces espaces d’apparence ordinaire dans ces enquêtes géo-photographiques ? Il sera sur Radio Anthropocène, aux côtés de Jean-Louis Michelot qui racontera, lui, son expérience de géographe naturaliste à la découverte du Rhône. Nous reviendrons ensemble sur cette rencontre singulière à l’occasion de la visite des Kogis, peuple autochtone de Colombie Britannique. À contre-courant des hypothèses modernes et technicistes, la force de leurs savoirs vernaculaires ne pourrait elle contribuer à réenchanter nos rivières ?

C’est en tout cas leur pari, et peut être le nôtre aussi, sur Radio Anthropocène, puisque ce sont les petits ruisseaux font les grandes rivières…

Radio Anthropocène – (A)ménager les rivières urbaines – 17 janvier 2024

#Eau

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