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Artistes russes en exil à Lyon : « Même si je le voulais, je ne pourrais pas rentrer »

Artem Arsenian et Nika Parkhomovskaya ont fui la Russie au printemps 2022, à la suite de l’invasion de l’Ukraine. À l’affiche d’une exposition dans les Ateliers du Théâtre nouvelle génération (Lyon 2e), ils racontent à Rue89Lyon leurs vies d’artistes en exil. Interview croisée.

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Exposition au TNG
Une parti de l’exposition d’artistes russes en exil, aux Ateliers du TNG, à Lyon. @Anastasia Korostelkina

L’exposition interactive Musée des histoires (non) imaginées du TNG, propose de multiples regards d’artistes d’origine russe anti-guerre ayant fui leur pays après l’invasion de l’Ukraine, le 24 février 2022. Artem Arsenian et Nika Parkhomovskaya sont les commissaires de cette exposition.

Une parti de l’exposition d’artistes russes en exil, aux Ateliers du TNG, à Lyon. @Anastasia Korostelkina

Rue89Lyon : Quand et pourquoi avez-vous quitté la Russie?

Artem Arsenian : Je suis parti en mars 2022. Je travaillais pour le festival Nouveau théâtre européen (NET). Nous avons reçu des menaces pour nos positions anti-guerre et on pensait qu’il pouvait nous arriver des choses, à moi et à l’équipe du festival. J’ai d’abord fui à Erevan, en Arménie, car j’ai des origines arméniennes. Ensuite le projet avec le TNG a démarré. On m’a proposé la résidence d’artiste à Lyon. J’y suis arrivé en octobre. J’ai retrouvé pas mal de personnes avec qui j’avais travaillé auparavant.

Nika Parkhomovskaya : J’ai pris la décision de partir dès l’invasion, mais je ne suis partie qu’en juin. Je ne savais pas où aller, même si j’ai beaucoup d’amis et de projets en Europe. Comme j’avais étudié le français à l’école, j’ai déménagé en juin en Bretagne. Je n’ai rien trouvé avant qu’on me propose la résidence à Lyon.

En exil à Lyon : « Ceux qui sont restés là-bas sont dans une forme de résistance »

Partir ou rester, le dilemme s’est posé pour de nombreux artistes russes. Comment vivez-vous le fait de vivre loin de vos proches?

Artem : Ma famille est restée en Russie, mais nous nous sommes revus plusieurs fois en Arménie et en Géorgie, où mon père est né. Malheureusement, je ne peux pas retourner au pays. J’ai encore aussi beaucoup d’amis la bas, même si beaucoup d’autres sont partis.

Nika : Ma mère vit toujours à Saint-Petersbourg où je suis née. Elle pourrait voyager, mais il n’y a plus de vols directs et l’ensemble dure près de 40 heures. Je me dis que je ne la reverrai pas avant longtemps, car j’ai pris la décision de ne pas revenir.

D’une part, je ne le souhaite pas et d’autre part, je continue à écrire des articles anti-guerre pour la presse européenne. Même si je le voulais, je ne pourrais pas rentrer. On connaît des gens qui sont retournés en Russie pour voir leurs parents et qui ont été arrêtés à la frontière. On sait que ça peut arriver.

Nika Parkhomovskaya et Artem Arsenian, deux artistes russes en exil à Lyon.Photo : Photo Elian Delacôte/Rue89Lyon

Vous comprenez ceux qui sont restés?

Nika : Certains sont restés en se disant que qu’il y avait quelque chose à faire là-bas, aider les gens en difficulté… Beaucoup de mes amis sont restés pour ces raisons. Je les comprends.

Artem : Ils essayent de rendre les choses meilleures, pour les personnes handicapées, les réfugiés, les déplacés d’Ukraine : ces groupes sont en danger là-bas. C’est un travail impressionnant. C’est une forme de résistance.

« J’ai compris que le monde que je connaissais s’effondrait sous mes yeux »

Comment avez-vous vécu vos premiers mois d’exil en tant qu’artistes?

Artem : Les premiers temps à Erevan [capital de l’Arménin, ndlr] ont été très difficiles. J’étais incapable de produire. Je regardais le infos et je comprenais que le monde que je connaissais s’effondrait sous mes yeux. Puis, petit à petit, une communauté s’est organisée à Erevan, avec des locaux. L’Arménie a une histoire traumatique avec l’Azerbaïdjan. On sait comment ce pays peut se sentir et on en parlait beaucoup avec les habitants.

J’ai compris que je voulais faire de nouveaux projets contre le colonialisme et le projet impérialiste russe. On a travaillé avec des amis rapatriés en Arménie, on a créé un festival à Erevan. J’ai eu envie d’agir… C’est comme ça que j’ai trouvé le moyen de me remettre au travail.

Nika: J’ai beaucoup perdu quand j’ai quitté la Russie. Je travaillais comme journaliste à la télé. Je travaillais avec des personnes handicapées, des prisonniers. Quand je suis arrivée ici, je savais que ça allait prendre du temps de me remettre au travail, d’autant que mon français n’est pas parfait.

Les premiers mois ont été compliqués. Je devais démarrer quelque chose de plus personnel. J’ai créé un groupe d’artistes russes exilés en France. Ça a commencé avec un petit groupe de quelques personnes sur Telegram. Aujourd’hui on est plus de 1500.

« En Russie, le manque de confiance est un problème »

Comment vous-êtes vous adaptés au contexte artistique français?

Nika : Les façons de fonctionner sont très différentes ici, c’est une autre approche à assimiler. On était connus en Russie. Ici, nous ne sommes personne. Peu importe ton âge ici, il faut toujours se renouveler. Pour moi c’était dur d’avoir encore des choses à prouver.

En Russie l’approche du travail est différente, il y a un gros manque de confiance entre les gens, ce qui nous amène à tout vouloir contrôler. Ici, on n’a pas à surveiller le travail des autres.

Ce manque de confiance est un problème. On ne croit pas en notre gouvernement, on ne croit pas les autres, on ne croit pas en nous même… La confiance est la chose la plus difficile à apprendre.

Artem : En Russie , c’est moins réglementé, tu peux travailler 12 heures par jour, les week-ends… Ici au TNG avec ce projet, les conditions de travail comptent. Mon univers de travail est respecté. C’était une belle découverte.

Nika : Oui, ici, les gens se respectent. On a appris à faire une pause déjeuner entre midi et deux (rires), c’est une manière de se respecter nous même ! En Russie, on peut oublier de manger pendant des jours quand on est concentré sur un projet. Ce sont des petites choses, ça nous plait, même si c’est parfois dur de s’ajuster.

À Lyon : « J’aimerais pouvoir parler d’autre chose que de l’exil et la guerre »

En tant que personnes ayant fui la Russie, vous sentez-vous forcés de n’exprimer votre art qu’au travers des thématiques de l’exil et de la guerre?

Artem : Je ne me sens pas prisonnier de la situation. C’est notre premier projet en France, les gens ne nous connaissent pas encore, l’idée c’est de parler de nous. Et ce qui nous concerne le plus en ce moment, c’est l’exil et la guerre. C’est important pour nous de faire connaître aux Français notre position la dessus. Mais j’aimerais aussi parler d’autre chose que de la Russie, et par exemple travailler autour du théâtre arménien, que j’aimerais faire connaître en France. Le théâtre occidental s’intéresse beaucoup à la Russie, mais moins aux anciens pays du bloc de l’est.

Nika : C’est une excellente question. Je continue mon travail de journaliste dans des médias suisses, et on me demande énormément de travailler sur des russes en exil, ou des opposants restés au pays. Ce n’est pas mon objectif de me concentrer sur ce sujet. Mais je suis en exil, j’ai besoin d’argent. C’est dur de refuser d’écrire sur la Russie. J’aimerais pouvoir parler d’autre chose, par exemple, travailler sur la question des migrations, partout dans le monde. Mais cette exposition reste très importante pour moi.

Musée des histoires (non) imaginées, jusqu’au 19 octobre aux Ateliers Presqu’île, 5 Rue Petit David, 69002 Lyon.


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