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Mais pourquoi boit-on son vin dans un « pot lyonnais » à Lyon ?

[Série – Mais pourquoi ?] C’est peut-être un détail pour vous, mais… pas pour des ouvriers tisserands comme les Voraces. À Lyon, le pot de vin, dit lyonnais, ne fait pas 50, mais 46 cl. Une différence qui a son importance et qui s’explique historiquement. Rue89Lyon vous explique pourquoi.

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pot lyonnais

C’est un élément qui peut paraître anecdotique, et pourtant… Dans les bouchons de Lyon, le Beaujolais est servi dans une bouteille avec un fond en verre épais. Dans cette bouteille de 29 cm de hauteur et de 7 cm de diamètre, ce « gros cul », comme il est appelé par certains, de 35 millimètres, réduit la contenance à 46 cl. Une arnaque historique qui a pris, un temps, les allures d’un scandale.

Car le « pot lyonnais » n’a pas toujours été de cette taille. En 1564, il avait une contenance de 2,08 litres. Une mesure faite, à l’usage, pour la vente au détail dans les tavernes. Selon Gérard Truchet, président de la Société des Amis de Lyon et de Guignol, on peut remonter jusqu’en 1338 pour expliquer cette spécificité lyonnaise. Dans un article consacré au pot lyonnais, il explique :

« En 1338, les mesures qui, à Lyon, servent à vendre le vin au détail dans les tavernes sont : le quarteron, le demi-quarteron (représentant alors le pot) et la feuillette ou quart de quarteron. »

À cette époque, les mesures sont liées à l’utilisation qu’on a des produits. Ainsi, à Lyon, on parle de « l’ânée » comme mesure pour le vin en gros – « son nom lui venait du fait qu’elle correspondait à la charge d’un âne », précise le passionné d’histoires lyonnaises. Une ânée représente 88 pots, soit l’équivalent de 93 litres et 21 cl.

À Lyon, on boit du vin dans un plus petit contenant : le pot lyonnais.Photo : PL/Rue89Lyon.

Les Voraces et l’arnaque du pot lyonnais

Au fût et à mesure, le pot de Lyon évolue. Au début du XIXe siècle, il est de 104 cl. Une contenance encore tout à fait acceptable alors que des vents contraires viennent de Paris. Depuis plusieurs siècles, une tentative d’homogénéisation d’un système de mesure a lieu sous tous les régimes. En 1527, François 1er, après avoir imposé le Français comme langue nationale, par l’ordonnance de Villers-Cotterêts, tente d’imposer une métrique commune à toute la France, sans grand succès. En 1793, la toute jeune République cherche également à mettre en place une manière de fonctionner sur tout le territoire. Cela entraînera la naissance des mètres et des grammes, diffusés dans le reste du pays à partir de 1799.

Sauf que, à l’échelle locale, les « pots » sont toujours là. En 1840, la Croix-Rousse, la Guillotière et Vaise, qui sont encore des communes indépendantes de Lyon, proposent des pots de 104 cl. À Lyon, la contenance est légèrement plus faible (93 cl) en raison de l’octroi, une taxe prise lors de l’entrée dans une ville. Mais cela va changer.

Entre 1840 et 1846, le pot passe par décret de 104 cl à… 46 cl, sans changer de prix. Un sacré coup d’inflation pour les ouvriers tisserands de l’époque, les fameux Canuts. Ceux dont la devise était « vivre en travaillant, ou mourir en combattant » se sont déjà fait entendre deux fois lors de révoltes en 1831 et 1834. Vivre sans boire ne semble pas non dans leurs aspirations.

Le pot lyonnais n’est pas qu’un contenant, il raconte aussi une histoire.Photo : PL/Rue89Lyon.

Le pot lyonnais, une histoire de boisson qui recoupe la Révolution

« Ces Canuts, assagis après les émeutes que l’on sait, firent à l’époque surtout parler d’eux sur un plan vineux… Leurs revendications essentielles consistaient à obtenir des cafetiers le service du vin dans des « pots » d’une capacité d’un litre, au lieu des pots de 46 cl, qu’une réglementation stupide venait d’imposer ! D’où cette appellation de Voraces », écrit à propos Félix Benoit.

Dans Lyon Secret et gastronomique, cet historien d’un style particulier nous propose un tour des traboules des Pentes de la Croix-Rousse qui éclaire ce moment charnière en tentant l’humour. Mais, au-delà de la boutade, cette augmentation est une sacrée perte de pouvoir d’achat pour ces ouvriers. Ils décident de s’organiser en société. 

Ces derniers se bagarrant aussi avec les fabricants de tissus pour un tarif minimum à la pièce de soie et avec les boulangers pour une pesée honnête du pain. Cet ensemble de luttes expliquerait leur surnom de « Voraces », donné par leurs détracteurs. À noter qu’une autre hypothèse ramènerait ce nom au terme « dévoirant » (compagnon du Devoir).

Les lundis et samedis, ces Républicains et admirateurs de Robespierre trouvent refuge chez la mère Maréchal, un bistrot à l’angle de la rue d’Austerltiz et de la rue du Mail (Lyon 4e). Bien évidemment, cette dernière vend le vin dans un pot de 104 cl. Des rencontres ont aussi lieu dans la Cour des Voraces, en dessous de la place Colbert (Lyon 1er).

En 1848, la révolution renverse le pouvoir du roi Louis-Philippe. Son élément déclencheur ? L’interdiction de « banquets » où les Républicains avaient l’habitude de se retrouver pour boire, et parler politique. Finalement, à Lyon, le vin joue aussi un rôle dans cet événement historique. Même si, selon Félix Benoit, la révolte prend une autre tournure. Aimant la formule, cette personnalité mi-humoriste, mi-historien de l’insolite se risque à écrire :

« Malheureusement, « le pot de papa » était bien mort et c’est la mort dans l’âme que les Voraces, ulcérés, descendirent de la Croix-Rousse en 1848 en s’imaginant que la République allait leur payer à boire ! Or, cette révolution s’accomplit sans violence et les Voraces en furent pour leurs frais de transport. »

À voir. Ces derniers occuperont tout de même l’Hôtel de ville pendant plusieurs mois et créeront une véritable force de maintien de l’ordre indépendante de la Garde Nationale. Leur dernière révolte, en juillet 1849, sera durement réprimée.

Et oui, « boire un canon » vient de Lyon

Reste que le pot leur survivra. Toujours prisé des bouchons, il est, selon une conférence de Gérard Truchet tenue en 2016, fabriqué par les établissements Minjard, à Belleville-en-Beaujoais. Il en sortirait 80 000 exemplaires par an.

« Il ne peut être commercialisé que plein et bouché. S’il est cacheté, c’est un faux pot lyonnais qui contient 50 cl », précise-t-il.

Les 35 mm d’épaisseurs sont loin d’être inutiles pour M. Truchet. Il s’agit de stabiliser la bouteille lorsqu’une bourrasque traverse un jeu de boules. À ce propos, il note que, dans le clos de ces terrains de jeu, il y avait historiquement 13 places pour 13 pots lyonnais.

« Ce qui correspond à une commande « d’un mètre », développe-t-il. Soit douze pots payés par les joueurs, le treizième étant offert par le patron. »

À chaque compétiteur de s’envoyer à intervalle régulier un « canon », une autre mesure historique. « Lors de la venue de Charles VI (1368 – 1422) à Lyon, on installa à l’entrée de la ville des fontaines à vin qui prenaient la forme de quatre canons, relate-t-il. D’où l’expression « boire un canon ». »

Dans un pot, il est ainsi possible de boire quatre canons. On vous laisse faire le calcul pour 13 pots.

Un pot vaut bien un concours

Pour ceux qui trouveraient dans cette histoire sujet à gaudriole, méfiez-vous. L’affaire est sérieuse. En 1951, le syndicat général de boissons et restaurateurs de Lyon crée le prix du meilleur pot de Beaujolais. En 1964, le prix Gnafron, compagnon de la marionnette Guignol, récompensait les établissements représentatifs de la tradition lyonnaise, à coup de cochonnaille et de pots lyonnais. Le gagnant repartait avec son poids en vin.

Bref, dans cette histoire de métrique, il est nécessaire de garder bonne mesure, au risque de manquer de pot. Pour le reste, comme dirait un Alfred Musset adapté façon lyonnais : qu’importe le pot, tant qu’on a l’ivresse.

À Lyon, on boit du vin dans un plus petit contenant : le pot lyonnais.Photo : PL/Rue89Lyon.

#Beaujolais

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