« Fais-y voir », « donnes-y moi ». Des « y » se glissent régulièrement dans la bouche des Lyonnais·es. Un petit mot qui déclenche la surprise chez les nouveaux débarqués à Lyon, mais que l’on ne remarque plus après quelques années passées dans la capitale des Gaules. Certain·es finissent même par l’adopter !
Ce « y » est en réalité utilisé dans toute la grande région lyonnaise et jusqu’au centre-est. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, il n’est pas employé au hasard et à toutes les sauces. Il remplace toujours le pronom « le » et est issu d’une ancienne langue régionale.
Le francoprovençal : une langue née à Lyon
Entre le latin et le français, la région lyonnaise a connu une autre langue : le francoprovençal. Elle a donné la plupart des mots et expressions qui constituent ce qu’on appelle aujourd’hui le « parler lyonnais ». Les mots comme « gâche », « bugner », « débarouler » en sont les vestiges. Il en va de même pour certains accents et tournures particulières comme « c’est quelle heure ? » ou « c’est cher bien », sans oublier le fameux « y », lui aussi dérivé de cette ancienne langue régionale.
Jean-Baptiste Martin, linguiste et auteur de Le parler lyonnais et beaujolais : les 200 mots les plus typiques expliqués et illustrés, publié en 2020, explique :
« Le francoprovençal est une langue née du latin, un latin populaire parlé par les soldats et les marchands, et qui a rayonné depuis Lugdunum (Lyon en latin, ndlr). Cette langue latine parlée à Lyon s’est développée le long des routes qui allaient jusqu’à Augusta en Italie (aujourd’hui Aoste, ndlr). »
L’une de ces routes passait au nord du lac Léman, suivait le cours du Rhône et franchissait les Alpes. L’autre suivait le cours de l’Isère, plus au sud et franchissait aussi les Alpes. Une diffusion géographique qui explique que le « y » lyonnais n’est pas seulement utilisé à Lyon, mais plutôt dans la grande région lyonnaise.
Selon Jean-Baptiste Martin, le parler lyonnais reste malgré tout plus prégnant à Lyon et ses alentours. Il en donne d’ailleurs des cours avec l’association Les Amis de Lyon et de Guignol pour continuer à faire vivre cette langue et l’enseigner aux curieux.
Si bon nombre de mots de ce dialecte n’existent plus, « car ils désignaient des réalités ou des objets qui ont disparu », les locutions et structures grammaticales sont celles qui se sont le mieux transmises. Plus spécifiquement, le « y » qui est encore largement utilisé.
« Il n’est pas en perdition, soutient Jean-Baptiste Martin. Selon des enquêtes que des linguistes ont menées, des enfants qui ne sont pas issus de familles lyonnaises l’apprennent à l’école. C’est le meilleur signe de vitalité. »
Le « y » lyonnais : un pronom neutre
Bonne nouvelle pour les aficionados de l’écriture inclusive ou épicène : le « y » est un pronom neutre ! Il vient du pronom neutre latin « hoc », qui a donné « ou » en francoprovençal puis « y » en français. Dans le livre Le parler lyonnais et beaujolais, Jean-Baptiste Martin détaille :
« Ce qui apparaît à beaucoup comme un affreuse faute de grammaire constitue en fait un enrichissement par rapport au français standard, puisque cet emploi permet de distinguer le neutre du masculin singulier. Le français n’opère plus cette distinction. (…) Le pronom « le » remplit à la fois la fonction de masculin singulier et de neutre (on dit, par exemple : « je le regarde passer dans la rue » et « ça, je le sais »). »
Pour les bilingues anglophones, le « y », correspond au « it » qui permet de désigner des objets, des animaux ou des concepts abstraits. « Dans notre région, ce besoin d’avoir un neutre différent du masculin est resté. Cela s’est fait involontairement, comme tous les faits populaires », précise le linguiste.
Selon lui, ce pronom est toujours utilisé dans toutes les classes sociales à Lyon, bien qu’il reste un tic de langage populaire. Y saviez-vous ?
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