La fontaine Bartholdi qui fait aujourd’hui la majesté de la place des Terreaux, dans le 1er arrondissement de Lyon, s’est retrouvée là par un drôle de concours de circonstances. Initialement, cette fontaine avait été pensée pour la ville de Bordeaux. Frédéric Auguste Bartholdi, célèbre sculpteur alsacien et auteur de la statue de la Liberté, avait été désigné par le maire pour réaliser la décoration de la place des Quinconces. Un objectif : mettre en valeur la Garonne.
Ce joyau monumental n’a donc ni à voir avec la ville de Lyon, ni avec son fleuve, le Rhône. Elle y est pourtant installée depuis 1892 et est même devenue une des fiertés patrimoniales lyonnaises.
Une prouesse technique représentant la Garonne…
Regardons cette fontaine de plus près. L’eau qui s’écoule des cinq jets à son sommet et tombe sur la croupe des chevaux donne l’impression que le char glisse sur l’eau. Le travail ornemental rend chaque détail indispensable à la beauté de l’ensemble et lui donne des allures fantastiques : le coquillage en guise de plancher du char, les sabots griffus des chevaux, les rênes qui sont en fait des algues…
Côté technique, la fontaine suit les principes de construction de la célèbre statue de la Liberté ou Liberté éclairant le Monde à New York, dont Frédéric Auguste Bartholdi est aussi le créateur. Véritable prouesse technique, la sculpture au sommet de l’édifice pèse 21 tonnes et a été réalisée en plomb battu. Cela a permis de livrer la fontaine en pièces détachées. Lors du montage, les ouvriers ont soudé les feuilles de plomb sur une structure métallique pour que le monument prenne la forme voulue par l’artiste.
Le tout pèse 360 tonnes. Le bassin de 15 mètres de diamètre est surmonté de l’élément central de la fontaine, la statue, qui s’élève à presque 5 mètres de hauteur. La sculpture représentant un char antique (ou quadrige) aux caractéristiques marines sautent aux yeux de n’importe quel passant qui traverse la place. Aux rênes de ce char tiré par quatre puissants chevaux, une femme ou plutôt une déesse dont l’assurance et la sérénité contrastent avec l’énergie qui se dégage de la scène. L’allégorie est subtile : il s’agit de la Garonne menant ses quatre affluents vers l’océan. Elle n’a aucun rapport avec le Rhône.
Une fontaine destinée à Bordeaux… Mais qui n’y sera jamais
Pour savoir pourquoi, il faut revenir au 20 avril 1857. Ce jour-là, le Conseil municipal de Bordeaux lance un concours pour la création d’une fontaine monumentale qui viendrait magnifier la place des Quinconces. L’Esplanade des Quinconces située en bordure de la Garonne est la plus grande place d’Europe.
À seulement 23 ans, le jeune Frédéric Auguste Bartholdi obtient le premier prix du concours. Son œuvre est une allégorie du fleuve bordelais, la Garonne. Elle est inspirée du bassin d’Apollon à Versailles réalisé par Tuby. Mais ce premier projet est rapidement avorté.
Cependant, en 1887, soit trente ans après, la Mairie de Bordeaux décide de s’adresser à nouveau à Bartholdi pour un second projet du même ordre. L’objectif est (toujours) de réaliser la décoration de la place des Quinconces. Deuxième chance donc. Si le sculpteur reprend son oeuvre initiale, il l’étoffe en imaginant deux fontaines supplémentaires et identiques.
L’une d’entre elle est celle qui trône aujourd’hui sur la place des Terreaux. Initialement nommée Char triomphal de la Garonne elle en est donc aussi l’allégorie. Mais, le projet est encore une fois abandonné par la Mairie de Bordeaux qui juge son prix trop élevé : 474 062 francs. Bien que financièrement dédommagé, Bartholdi est déçu. Mais il n’abdique pas.
Revoyant son ambition à la baisse, il met au point un des éléments du projet monumental global : le Char triomphal de la Garonne (actuelle fontaine de la place des Terreaux). La Société Gaget et Gauthier exécute un exemplaire de la fontaine en 1888, qui est ensuite présentée à l’Exposition Universelle de 1889. C’est à ce moment-là que des personnalités lyonnaises remarquent la splendeur du monument.
Une fontaine en exil à Lyon
Après négociations, le Maire de Lyon, Antoine Gailleton, achète la fontaine pour la somme de 100 000 francs. C’est seulement après son acquisition que la question de l’emplacement est posée. Bartholdi se rend lui même sur place pour réfléchir au lieu idéal pour mettre en valeur son oeuvre monumentale.
Plusieurs emplacements sont envisagés : le Cours Perrache, la place de la République, au Parc de la Tête d’or… Finalement, c’est la place des Terreaux qui est retenue. L’une des raisons principales étant que la disposition de la place permet d’installer la fontaine à l’une de ses extrémités. Son premier emplacement était en effet en face de l’hôtel de ville. Axée de cette manière, elle est mise en valeur par l’espace libre devant elle, sans être absorbée par l’architecture de la place des Terreaux.
L’inauguration a lieu pour le centenaire de la proclamation de la première République, en septembre 1892. Depuis, la fontaine est devenue l’emblème de la place des Terreaux.
En 1992, elle est délogée. Son nouvel emplacement au Nord – celui qu’on lui connaît aujourd’hui – a été choisi pour donner l’illusion que l’eau suit le sens du Rhône et de la Saône en descendant des Pentes de La Croix-Rousse. En 1995, la fontaine est classée monument historique.
À la fois classique et baroque, elle a trouvé sa place et a su s’implanter à Lyon, tout en faisant oublier ses origines bordelaises.
À noter que Bordeaux n’a pas fait une croix sur la décoration de sa grande place. Malgré l’échec patent de la collaboration avec Bartholdi, l’actuelle fontaine du monument des Girondins – érigée en 1902 sur la place des Quinconces de Bordeaux – s’inspire fortement de l’œuvre du sculpteur. Il n’en est simplement pas l’auteur.
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