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À Rue89Lyon, les raisons de onze ans de travail sur les violences policières

Depuis plus de onze ans, Rue89Lyon documente les violences policières. Journalistes de la rédaction, Pierre Lemerle et Oriane Mollaret reviennent sur ce qui les a amenés à travailler cette thématique complexe.

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Lyon manifestation

« Violences policières ». Le terme, de plus en plus utilisé dans les milieux militants et dans la presse, renvoie aux violences commises par les forces de l’ordre. Ces violences peuvent découler d’une interpellation dite « musclée », d’un maintien de l’ordre trop zélé en manifestation, d’un tir de LBD « perdu »… Elles sont responsables de bleus, de fractures, de traumatismes et, parfois, de décès. Elles touchent tout le monde, les habitant·es des quartiers populaires depuis des décennies, et du centre-ville comme en témoigne, à Lyon, les blessés liés au mouvement des gilets jaunes.

Souvent criminalisées elles-mêmes, parfois présentées comme délinquantes, les victimes de violences policières peinent à se faire entendre. Devant la justice, leurs dossiers patinent et débouchent régulièrement sur des classements sans suite. Pourtant, les victimes et/ou leurs proches s’engagent souvent dans un combat de longue haleine pour obtenir vérité et justice. C’est le cas d’Arthur Naciri, de Naïm, de Frédéric, de la famille de Wissam El-Yamni, de celle de Mehdi Bouhouta…

À Rue89Lyon, nous travaillons sur ces dossiers complexes depuis longtemps. Nous estimons que médiatiser ces affaires permet d’accompagner ce combat et donner la parole à des personnes qui en sont souvent privées. 

Une manifestation « arrêtée » par les forces de l’ordre en janvier 2021.Photo : PL/Rue89Lyon.

Violences policières : des quartiers populaires au centre-ville de Lyon

Les problématiques de violences policières sont présentes dans les quartiers populaires depuis des décennies. Si certains noms sont gravés dans les mémoires, comme celui d’Adama Traoré, c’est loin d’être le cas de toutes les victimes. Des habitant·es de ces quartiers sont ainsi décédé·es à la suite d’une interpellation des forces de l’ordre, dans l’indifférence générale. Bien sûr, leurs proches ont sollicité la justice, mais les dossiers se sont souvent soldés par un classement sans suite. Trop souvent, seuls de rares articles de presse font mention d’une « course-poursuite mortelle » ou d’une « interpellation musclée », qui a « dérapé ». Trop souvent, il est impossible de mettre un nom et un visage sur les victimes. 

À Rue89Lyon, nous avons tenté de compiler 40 ans de morts, d’émeutes et de mobilisations dans la région lyonnaise, depuis les années 80 et le fameux « été chaud » des Minguettes. Pour que ne tombent pas dans l’oubli les noms de Mustapha Kacir, Ouassila Majri, Thomas Claudio, Fabrice Fernandez, Walid Houha, Tina Sebaa, Raouf Taïtaï, Mehdi Bouhouta… Ce dernier a été tué d’une balle dans la tête par un policier en 2015, à Sainte-Foy-lès-Lyon, alors qu’il tentait de forcer un barrage de police. Rue89Lyon suit depuis le combat de sa sœur, Myriam, pour connaître la vérité de l’affaire.

Progressivement, on a commencé à parler de violences policières dans les centre-villes. Notamment lors de l’arrivée de manifestations sur la place Bellecour, en 2010. À l’époque, une (première) réforme des retraites met Lyon en effervescence. Les cortèges sont bondés et la place Bellecour est nassée. Des manifestants sont entourés par les forces de l’ordre, une première en France.

Rue Victor-Hugo, les CRS chargent ce qu’ils jugent être des casseurs. Entre deux rues, difficile d’y voir clair dans cette cohue. Mais des questions commencent à s’immiscer sur le maintien de l’ordre fait par les policiers. 

Loi Travail, cortège de tête et violences policières à Lyon

Quelques années plus tard, en 2013, la mort de Clément Méric, un militant antifasciste tué par un militant d’extrême droite, déclenche de nombreuses manifestations dans toute la France. À Lyon, l’une d’elles, contre les violences policières en général, est nassée et sévèrement réprimée quand elle arrive place Gabriel-Péri, dans le quartier de la Guillotière (Lyon 7e).

Nous étions tous les deux étudiants durant cette période. Nous avons pu voir, ou être victimes, de la violence de certains membres des forces de l’ordre.

En 2016, la loi Travail portée par la ministre du Travail de l’époque, Myriam El Khomri, déclenche des mobilisations massives. Les manifestants les plus motivés, et les plus jeunes, lycéens et étudiants, se mettent en première ligne à Lyon. En groupe, vêtus de noir et cagoulés pour certains, ils remontent les cortèges et s’installent devant les syndicats. Le cortège de tête est né. 

Régulièrement, certains de ces manifestants forment un black bloc. En face, les forces de l’ordre les attendent au tournant. Entre mars et septembre 2016, il y a au moins une manifestation contre la loi Travail par semaine à Lyon. De nouveau, les coups de matraque pleuvent. Dès le 10 mars, un manifestant est blessé à Lyon, touché aux parties intimes par un tir de LBD. Le média en ligne Reporterre a tiré un bilan accablant du maintien de l’ordre pendant ces mobilisations contre la loi Travail. 

Les gilets jaunes et les violences policières sur le devant de la scène

Enfin, la période 2018 – 2020 est un moment clef. Apparus en novembre 2018, les gilets jaunes sont aussi confrontés à cette violence. À Lyon, plusieurs manifestants sont blessés par les forces de l’ordre : Mélodie, touchée à la jambe par un tir de LBD le 9 février 2019, Alix, blessé à la tête par un tir de LBD le 7 mars 2020, Frédéric, matraqué le même jour… Rue89Lyon récolte leurs témoignages, et suit encore actuellement le parcours chaotique de leurs dossiers devant la justice. 

Le mouvement des « GJ » rencontre les cortèges de manifestants contre la réforme des retraites. Peu traitée par la presse locale, la question des violences policières nous saute à la gueule, notamment avec le cas d’Arthur Naciri. Cette affaire, révélée par Rue89Lyon, met en avant les déviances d’un certain maintien de l’ordre. 

Avec le travail du journaliste David Dufresne, on commence à parler (vraiment) de « violences policières » dans les médias. De notre côté, nous poussons pour en parler le plus possible, pour aller voir plus loin que la version policière et le discours officiel de la préfecture lors de ces événéments. 

Et aujourd’hui ?

Comme tout sujet abordé à ses débuts, nous gardons toujours un œil sur les victimes de violences policières que nous avons rencontrées et leurs proches. Sans médiatisation, difficile pour elles de se faire entendre. L’affaire d’Arthur Naciri est, de ce point de vue, un exemple en la matière. Sans les images de son passage à tabac, sans la médiatisation de l’affaire, le jeune homme n’aurait sûrement pas eu le droit au procès de ses agresseurs. 

À travers les cas de Mehdi, Mélodie, Alix, Quentin ou Naïm, nous tentons de garder vivante la parole de ces personnes. Pour que leurs voix continuent d’être entendues, nous avons besoin de vous. C’est notamment pour ça que Rue89Lyon lance une grande campagne d’abonnement. Avec votre soutien, nous pourrons continuer à faire entendre une parole trop souvent oubliée.


#Violences policières

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