Il règne encore une atmosphère de chaos ce mercredi 14 décembre, minuit et demi, sur la rue de la République. Au niveau de la place de la République et des Cordeliers, les forces de l’ordre éteignent des feux de poubelle. L’odeur de la lacrymo infuse encore la grande artère piétonne de la presqu’île. Après la liesse qui a suivi la victoire de la France contre le Maroc, la situation a dérapé. L’élément déclencheur ? Une attaque particulièrement violente de l’extrême droite sur la place Bellecour, dans le centre-ville de Lyon.
La soirée avait pourtant bien commencé avec la victoire des Bleus, vers 22h. Dans une ambiance bon enfant, les voitures défilaient en klaxonnant sur l’avenue Maréchal de Saxe avec des drapeaux français, marocains… Parfois algériens. Parfois les trois en même temps. Dans un quartier de la Guillotière bouclé par les forces de l’ordre, la place Gabriel-Péri affichait un calme bien rare.
De l’autre côté du pont, place Bellecour, les supporters étaient partis pour célébrer un moment rare : une qualification en finale de la coupe du monde de football. Les festivités seront de courte durée. Quelques minutes après le coup de sifflet final, une dizaine d’individus viennent s’attaquer à des supporters marocains.
« Ils sont venus tenter de voler des drapeaux de supporters marocains »
Sur la place Bellecour au moment des faits, ce témoin de la scène est catégorique :
« C’était des fafs (acronyme de « la France aux Français », un des slogans affectionnés par les militants d’extrême droite, ndlr), ils sont venus tenter de voler des drapeaux de supporters marocains », raconte-t-il.
Rencontré durant la soirée, il reprend le cours des événements. D’abord, un premier groupe d’une dizaine de personnes cagoulées, avec des cache-nez, est venu s’en prendre aux supporters. Puis, dans un deuxième temps, ils sont venus à 30. Lors de leur dernière venue, ils étaient encore plus nombreux.
« En tout, ils devaient être une centaine », se souvient-il.
Même constat pour Greg, un supporter qui était à Bellecour au coup de sifflet final. Selon lui, les militants d’extrême droite étaient répartis en plusieurs petits groupes, tout autour de la place.
« Ils criaient « la France aux Français », c’est comme ça qu’on les a reconnus, raconte-t-il. Puis ils ont commencé à arracher les drapeaux marocains. Si les supporters ne se laissaient pas faire, ils tapaient. »
Pour lui, il n’y a pas de doute, ces attaques ont été préparées en amont. Tout était calme avant cet événement. « C’est clairement eux qui ont déclenché ce bordel [sic] », affirme le supporter.
Les vidéos attestent de la présence d’un groupe d’extrême droite à Lyon
Les différentes vidéos faites par nos confrères de Lyon Mag et tournées par des anonymes attestent de la présence d’un groupe d’au moins une soixantaine de personnes. Selon plusieurs témoins, ces derniers se seraient réfugiés place des Jacobins, entraînant un mouvement de foule. Une vidéo les montre notamment à l’abri, derrière les forces de l’ordre. Une situation qui a provoqué l’ire de beaucoup sur les réseaux sociaux.
« Comment les forces de l’ordre ont-elles fait pour ne pas voir un groupe cagoulé, tout habillé de noir, comme ça ? », s’agace Greg.
C’est après la fuite de ce groupe violent que des premiers tirs de lacrymos auraient été tirés. La bande ne s’est cependant pas dispersée immédiatement. Elle « chassait », rue Ampère notamment, des supporters marocains à l’aide de parapluies, de « tiges métallique » et de gazeuses lacrymogènes, selon un témoin.
Selon les vidéos de Lyonmag, une bande a finalement traversé la Saône, suivie par les forces de l’ordre. Une grande partie s’est aussi dispersée. En tout, ce jeu-là aura duré une heure.
À Lyon, une convergence de l’extrême droite locale
Contactée, la préfecture du Rhône nous a confirmé l’appartenance de ce groupe à l’extrême droite. Comme dans le reste du pays, cette dernière a frappé avec une violence rare mercredi soir. Contrairement au cas parisien, les leaders n’ont pas été arrêtés à temps.
Selon nos informations, cette bande était composée de membres de Lyon Populaire, groupuscule issu du Bastion social, et d’anciens de Génération identitaire, toujours très actifs. Certains assurent même avoir vu des proches des Remparts de Lyon. Des membres de plusieurs groupes de supporters de l’OL auraient aussi pris part aux affrontements. « Ils se battaient comme au stade », nous déclare à propos un témoin. Une attaque sans couleur, ni drapeau où tous les groupuscules semblaient unis, à l’image de ce qui a été déjà fait via le Guignol squad.
Une violence qui n’est pas nouvelle un soir de match. Une famille avait déjà été agressée en marge d’une rencontre de la coupe d’Afrique des nations en 2019. Plus vieux encore, une manifestation de l’extrême droite avait dégénéré lors d’un Algérie-Allemagne en 2015.
Cependant, la violence de l’attaque a de quoi marquer les esprits. L’action s’apparente à une véritable ratonnade organisée.
« Il n’y a pas de doutes pour nous, c’est bien l’extrême droite, ils étaient vraiment reconnaissables. On les avait vu tourner autour de la station de métro, raconte une supportrice rencontrée rue de la République. Ils n’étaient pas venus là pour fêter la victoire. C’était vraiment impressionnant. »
Cette charge organisée arrive dans un moment de recrudescence des frappes de l’extrême droite à Lyon. Depuis début octobre, on lui impute trois attaques, notamment, de syndicalistes et de politiques. Le 8 décembre, les Remparts avaient également défié un arrêté préfectoral en réalisant leur traditionnelle marche aux flambeaux en dépit de l’interdiction.
Sinisha Milinov, cadre des Remparts de Lyon, ancien de Génération identitaire et ex-porte-parole de la Cocarde, doit être jugé pour cela le 21 mars 2023.
Des jets de projectiles et une soirée qui part en lambeaux dans le centre de Lyon
Après cette attaque de l’extrême droite, la soirée a rapidement dégénéré dans le centre-ville de Lyon. À la suite de jets de projectiles, la place Bellecour a été évacuée à grand renforts de tirs de gaz lacrymogènes. Puis, la situation a semblé flottante entre la rue du Président Édouard-Herriot et la rue de la République.
Entre le passage de la bande d’extrême droite, les jets de projectiles de supporters sur les forces de l’ordre, quelques tirs de LBD dans les petites rues, les tirs de lacrymo… La confusion a très vite régné dans le centre-ville, le cri des festivités des bistrots se perdant dans les heurts avec la police. Après de nombreux tirs de feux d’artifice, un calme apparent est revenu. Les pompiers sont intervenus sur les coups de 23h30 pour des feux de poubelle, non loin du Pathé-Bellecour.
Puis, le centre-ville s’est vidé petit à petit. Ce mercredi soir, huit personnes ont été interpellées. Six sont accusées d’avoir envoyé des projectiles sur les forces de l’ordre. Les deux autres sont des militants d’extrême droite.
Jeudi matin, la préfecture faisait état de sept policiers blessés. Des témoignages sur les réseaux sociaux mettent en avant des blessures après des bagarres avec des membres de l’extrême droite radicale.
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