C’est un passage très rapide en ville, le temps de préparer sa résidence. En cet après-midi de fin octobre, l’artiste afghane Kubra Khademi a fait une pause par les locaux des Ateliers, une salle du Théâtre Nouvelle génération sur la presqu’île (Lyon 2e). Durant le mois de novembre, elle travaille à une nouvelle œuvre à Lyon. Pour celle-ci, elle mobilise des textes religieux, historiques et la poésie du VIIe siècle de son pays : l’Afghanistan. Un pays qu’elle a dû quitter il y a sept ans déjà.
À 33 ans seulement, Kubra Khademi prend rapidement le visage sévère d’une personne ayant déjà vécu plusieurs vie. Honnie par le régime taliban, la plasticienne a dû quitter son pays bien avant leur arrivée, en 2015. Pour cause, son art a toujours dérangé.
À Lyon, une artiste afghane connue pour ses dessins de corps de femmes
Depuis toute petite, cette artiste militante dessine des corps de femme nues. Une passion qu’elle ne « s’explique pas » si ce n’est, par son aspect politique.
« Le corps des femmes a toujours été très politisé, en Afghanistan comme ailleurs », lâche-t-elle seulement en explication.
Son art croise deux grandes problématiques qui traversent la société afghane : le patriarcat et la guerre. Longtemps, ses performances en Afghanistan ont cherché à mobiliser sur ces questions. En 2013, elle a ainsi bloqué une autoroute à l’entrée de Kaboul avec un camion, dans lequel elle avait créé une chambre. Son but : donner à voir une scène de la vie quotidienne. Un simple « stop » de 40 minutes ans la vie des automobilistes afghans, pour les ramener au quotidien, et les sortir du conflit armé.
« La guerre prend la vie des citoyens, commente-t-elle. L’idée était d’interrompre ça. »
« Il n’y a pas eu de grands changements. Le pays a changé, mais pas moi »
Réalisées à côté de ses dessins, ses performances vont participer à sa célébrité. Elles vont aussi précipiter son départ. En 2015, elle est filmée dans les rues de Kaboul, habillée d’une armure en acier modelant des fesses et des seins pour une performance intitulée Armor. Dans une société où la femme est cantonnée à la maison, la vidéo mettant en avant son corps, fait polémique. Son objectif : dénoncer le harcèlement de rue et la pression connue par les femmes afghanes. Face aux huées de la foule, elle est obligé d’écourter sa marche de moitié. Sous pression, elle doit quitter le pays. Elle n’a alors que 26 ans.
Depuis, elle poursuit son travail en exil contre la « guerre du patriarcat ».
« Il n’y a pas eu de grand changement. Le pays a changé, mais pas moi », commente-t-elle.
Depuis son départ, elle reste connectée en permanence à l’actualité afghane. Elle se renseigne via les réseaux sociaux ou des proches restés sur place. C’est comme ça qu’elle a suivi l’arrivée au pouvoir « horrifique, inhumaine » des talibans l’année dernière. Sa famille les avait déjà fui dans les années 80. Faisant parti des hazaras, elle et les siens ont toujours été une cible privilégiée pour les talibans. Comme il y a 30 ans, ils ont dû s’exiler.
« La guerre reste dans nos psychés. De fait, elle reste dans notre expression artistique »
Tout le long de notre entretien, le conflit revient en permanence dans ses mots. Il fait parti intégrante de son oeuvre :
« La guerre reste dans nos psychés. De fait, elle reste dans notre expression artistique »
Profondément féministe, l’artiste considère avoir une responsabilité : celle de dire et de montrer ce qui se passe dans son pays. Là-bas, les femmes sont les premières victimes des talibans, mais aussi leurs premières adversaires.
Pour elle, il ne fait pas de doute que les femmes sont la solution aux multiples conflits connus par l’Afghanistan. Elle ne croit pas dans l’ancien gouvernement afghan « responsable à 50 % de la situation » ni dans les États-Unis, venus sur place pour « servir leurs intérêts ». D’après elle, la bonne réponse viendra des « filles » qui se font massacrer par le régime en place.
« Il y a une résistance de femmes sur place. Mais, sans armes, elles ne peuvent rien faire », soupire-t-elle.
Artiste afghane à Lyon : les femmes comme solution au conflit
À son échelle, l’artiste tente de faire intervenir des femmes politiques. Elle avait notamment écrit à Angela Merkel pour la sensibiliser sur la situation.
« Je lui ai demandé de venir en féministe, pour sauver des milliers de femmes et d’enfants qui vivent sur notre territoire », raconte-t-elle.
En France, elle se bat pour que des avenues soient renommées par des noms de femme. En janvier, elle a ainsi remplacé quatre plaques de l’allée du commandant Massoud – une icône médiatisée de la résistance afghane à la fin des années 90 – par des pancartes portant le nom de militantes féministes oubliées.
« Dans ce pays [la France], on parle toujours de Massoud, grince celle qui vit généralement à Paris. Mais où sont les femmes ? »
Frozan Saafi (tuée par les talibans), Fowzia Wahdat, Hoda Khamooch, Rokhshana Rezai… Ces héroïnes ont des noms. Certaines ont été assassinées, d’autre mènent encore le combat de l’intérieur. Pour Kubra, il s’agit de faire entendre leurs voix, comme celles des femmes en lutte en Iran. Une révolution chez les voisins iraniens « forte et inspirante » pour la militante, qui attend que ces combats soient reconnus à leur juste valeur. Au moins symboliquement.
Pourquoi, par exemple, ne pas donner un nom de combattante afghane à une rue de Lyon ? Dans la capitale des gaules, où moins d’une rue sur 15 porte le nom d’une femme, il y aurait de place. À l’heure où la majorité écologiste a promis de corriger cette erreur, l’idée pourrait faire son chemin.
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