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Love à Lyon : le polyamour, une invitation à repenser le couple

Depuis quelques années, les rangs de la communauté du polyamour ne cessent de grossir à Lyon.

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love à Lyon_expériences de polyamour_une photo Pexels par Cottonbro 2

Cela fait au moins depuis 2017 que se tiennent régulièrement des « café poly » à Lyon. En témoigne de vieux sites web qui organisaient les événements à Lyon. Ceux-ci ont peu à peu été abandonnés au profit d’un groupe Facebook qui comptabilise aujourd’hui 900 personnes. Difficile de trouver quelqu’un qui peut retracer la genèse de ces cafés, car le confinement a clairsemé les rangs des habitué·es.

Dans ce groupe, beaucoup de membres inactifs, mais aussi un noyau dur d’une cinquantaine de personnes qui organise chaque mois des cafés ou des pique-niques pour échanger autour du polyamour. Roxanne* (son nom a été changé pour préserver son anonymat) participe à des cafés depuis deux ans, et a commencé à en animer récemment :

« Quand j’ai eu besoin d’échanger, d’être écoutée, ces cafés m’ont offert une véritable respiration. Je veux rendre la pareille. »

Après avoir cru fermement en la monogamie et avoir été mariée douze ans, Roxanne, habitante de 8è arrondissement de Lyon a adopté le polyamour il y a trois ans. C’est au contact d’un de ses partenaires qu’elle s’est ouverte à ce modèle affectif, en lequel elle ne croyait pas beaucoup auparavant.

Alors que ce changement a brutalement bouleversé sa vie, elle a ressenti le besoin d’analyser en profondeur ses angoisses et leurs origines afin de mieux les supporter. Elle raconte notamment que ce sont les réflexions qui lui ont été apportées durant les « cafés poly » qui lui ont permis de mieux se comprendre. Ceux-ci ont lieu dans des bars de Lyon comme le Patchwork Café, ou la Mezzanine (7è arrondissement) :

« Il y a un certain nombre de règles à respecter pour participer, comme s’engager à ne pas couper la parole, porter des jugements, ou répéter ce qui a été dit », précise Roxanne.

À Lyon, « quand on parle de polyamour, les gens s’imaginent des partouzes »

Chaque session dure trois heures, la première heure est donc consacrée à poser le cadre de parole, les deux heures d’après, les participant·es s’éparpillent en petits groupes pour discuter de la thématique du jour. Il peut s’agir de comment ressentir de la compersion (le bonheur ressenti lorsqu’un être aimé aime quelqu’un d’autre, par opposition à la jalousie), comment entretenir des relations avec les « métamours » (autres compagnes ou compagnons de sa compagne ou de son compagnon) ou encore comment supporter ses propres insécurités dans ce type de relation.

Roxanne déclare s’être toujours sentie en sécurité dans ces réunions. Un sentiment partagé par tous les habitué·es interrogé·es par Rue89Lyon, qui ont pour la plupart hésité à parler. Le motif invoqué reste le plus souvent la crainte d’une médiatisation néfaste, qui renforcerait les clichés déjà existants sur le polyamour.

« Quand on parle de polyamour, les gens s’imaginent tout de suite une communauté de sérial partouzeurs. Si c’était ça, on serait dans la polypartouze, pas dans le polyamour », tacle d’entrée Aurélie, 24 ans, habitante d’Oullins.

« Ça les émascule que de plus en plus de femmes refusent d’appartenir à un homme »

Aurélie, serveuse dans le centre de Lyon, ne compte plus le nombre de remarques scabreuses qui lui ont été adressées lorsqu’elle se décidait à aborder son modèle relationnel. Elle incrimine donc la médiatisation mais aussi la pop culture.

Elle évoque notamment la récente série à succès « Architecte du désir », sortie sur Netflix à l’été 2022. Un concept américain dans lequel une Valérie Damido très british débarque chez des familles états-uniennes pour les aider à bâtir la « Sex Room » -pièce consacrée au sexe- de leurs rêves. La plupart des épisodes sont dédiés à des couples plus ou moins fantasques, mais l’un des plus surprenants est définitivement celui qui documente un groupe polyamoureux de sept personnes :

« Jusqu’à cet épisode, la série te montre des coussins moelleux, d’adorables sextoys et des menottes en fourrure. Puis arrive « la famille » (le groupe polyamoureux de sept personnes, ndlr) qui demande un donjon du cul géant, option gros plug anal et golden shower (acte d’uriner sur un partenaire sexuel, ndlr). »

Un discours cru, qui témoigne d’une certaine lassitude partagée par tous les polyamoureux·ses interrogé·es.

Aurélie parle d’un « réflexe pavlovien du patriarcat ». Militante féministe, elle a remarqué que la plupart des pourfendeurs du polyamour sont souvent des hommes revendiquant une idéologie masculiniste. Elle donne l’exemple de plusieurs pages Facebook incel qui compilent des captures d’écran de profils Tinder de femmes, dans le but de les insulter en commentaires :

« Ils nous appellent les « Chloé » : un concentré de tout ce que les masculinistes détestent le plus. Des féministes bien à gauche, rondes, arborant tatouages, piercings et cheveux colorés, qui ne s’épilent pas, qui revendiquent le droit à une sexualité libre, et évidemment, certaines, le polyamour. »

Elle conclut :

« Ça les émascule que de plus en plus de femmes refusent d’appartenir à un homme. »

« On s’est aventurés dans le polyamour à Lyon et je m’y suis épanoui »

Aurélie ne représente cependant pas la génération présente en majorité aux cafés poly. La plupart des personnes qui viennent y participer ne sont ni particulièrement jeunes, ni militantes. D’après Roxanne, il y a à peu près autant d’hommes que de femmes, oscillant majoritairement entre les 30 et les 40 ans :

« Souvent, les polyamoureux ont vécu en monogamie un petit moment avant de se poser des questions, un peu comme moi. »

Romain par exemple, a 34 ans. Il habite avec sa conjointe -ou plutôt sa « relation socle » dans le terminologie polyamoureuse- dans le nord-est de Lyon. Responsable marketing dans une entreprise internationale et père d’un bébé, difficile d’imaginer qu’il est en relation polyamoureuse depuis sept ans. Une « ouverture » de son couple souhaitée par sa conjointe après six ans de monogamie :

« Elle est tombée amoureuse de son collègue de boulot, mais elle m’aimait toujours. Elle se rendait malade à essayer d’étouffer ses sentiments pour lui. On s’est aventurés dans le polyamour. Au final je m’y suis beaucoup épanoui. »

Romain a même créé une chaîne youtube intitulée « Relation Libre » dédiée. Il y aborde les bénéfices mais aussi les coûts représentés par une telle relation sous le prisme du développement personnel. Un angle un peu moins militant qu’Aurélie, même si il rejoint sa critique du patriarcat :

« C’est impossible d’être heureux en polyamour sans se déconstruire. Pour que ça se passe bien, il faut communiquer correctement, se débarrasser des mécanismes de domination sinon on a tôt fait de se blesser. Je me suis rendu compte que j’ai été un homme égoïste et peu expressif tout le début de notre relation avec ma conjointe. »

Il met en parallèle ses propres remises en question avec le travail qu’a dû accomplir sa conjointe pour vivre au mieux le polyamour :

« Le polyamour a fait affleurer toutes ses insécurités, sa dépendance affective. Je pense que les femmes ont plus encore à se déconstruire pour entrer dans le polyamour. On éduque les femmes à s’occuper d’un homme. On éduque les hommes à s’occuper d’eux-mêmes. »

« On fait ressentir aux personnes dans le polyamour qu’ils sont discordants avec la société »

Aujourd’hui, Romain se rend toujours de temps en temps aux « cafés poly ». Cela lui permet d’échanger honnêtement avec des personnes qui ne le jugeront pas. Roxanne abonde en ce sens. Elle a subi les nombreuses critiques de ses amis quand elle a décidé d’entrer dans le polyamour. Elle précise :

« Ça ne veut pas dire qu’on partage tous la même expérience des choses. Il y a les polyamoureux avec des relations socles comme Romain, d’autres qu’on appelle anarchiques. On est tout sauf une secte, je pense d’ailleurs qu’aucun de nous ne donnerait la même définition du polyamour. »

Galaad* (il s’agit d’un nom d’emprunt), 29 ans, est en anarchie relationnelle depuis deux ans. C’est-à-dire qu’il vit plusieurs relations au même moment sans que l’une d’entre elles soit plus importante qu’une autre. Professeur de philosophie dans un lycée de la métropole de Lyon, il témoigne lui aussi de son changement de mode relationnel comme d’une véritable libération.

« En couple monogame, j’oubliais ma relation avec moi même, pour satisfaire l’autre. Je crois que c’est parce que j’avais peur de la perdre. J’ai été décrit comme collant. »

Aujourd’hui, Galaad se considère à la fois comme beaucoup plus indépendant mais aussi plus aimant. Il fustige la « monogamie mal réfléchie », un modèle implicite suivi par la majorité où on ne prendrait pas le temps de penser aux besoins de chacun.

« Il y a quand même beaucoup de personnes qui se mettent en couple pour entrer dans la norme, ne pas être seul. Ce sont les pires raisons non ? Pourtant, c’est aux polyamoureux qu’on fait ressentir qu’ils sont discordants avec la société. »

Tous les polyamoureux·ses interrogé·es ont abondé dans ce sens : ils et elles traversent régulièrement des phases de doute, car ils et elles ressentent la société comme calibrée pour les relations monogames. C’est l’une des raisons pour lesquelles les cafés poly sont « nécessaires » selon Galaad :

« J’ai l’impression que beaucoup viennent d’abord pour entendre la phrase libératrice : vous n’êtes pas seuls. »

Pour un polyamoureux de Lyon : « il existe très peu de vrais monogames »

Les polyamoureux·ses débutant·es viennent d’ailleurs en nombres croissants aux cafés poly de Lyon. D’ordinaire, ces rencontres regroupaient une vingtaine de personnes. Lors des deux derniers évènements, les participant·es étaient plus d’une quarantaine selon Roxanne :

« Ça pose un petit problème d’organisation, les bars dans lesquels nous nous retrouvons ne sont pas extensibles. Il va falloir aviser. Mais c’est bien, ça veut dire que la société change. »

Pour Galaad, c’est une évolution prédictible des choses :

« Ce devrait être le polyamour la norme. D’un point de vue anthropologique, la monogamie au sens d’un partenaire toute sa vie, ça n’est pas la norme. Il y en a finalement très peu. »

Il conclut, taquin :

« La plupart des monogames sont des monogames en série, des polyamoureux séquentiels. On est tous polyamoureux. »

Une affirmation que Roxanne temporise. Elle considère que le polyamour ne convient pas à tout le monde, et qu’il peut exister de merveilleuses et sincères relations monogames. D’ailleurs, elle s’interroge toujours au sujet de sa relation : est-elle faite pour le polyamour ? Un témoignage à lire dans un second volet.


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