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Des mobilisations en collèges et lycées pour récupérer des CPE à Lyon

Trois collèges et lycées se sont mobilisés dès la rentrée, pour dénoncer les suppressions de postes de CPE en temps partiels à Lyon.

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Rassemblement pour un CPE au collège Jean Macé de Villeurbanne. Photo par Lagertha Photographie

« On ne s’attendait pas à ce que le poste ait tout bonnement disparu à la rentrée », se désole Lilas Bigret-Combes, professeure d’histoire-géographie au collège Jean-Macé de Villeurbanne. Son établissement s’est mobilisé pendant toute la semaine de la rentrée pour tenter de récupérer le mi-temps de Conseiller Principal d’Éducation (CPE) dont l’équipe éducative a subitement appris la disparition. Plusieurs d’entre eux avaient pourtant été reçus en audience avec le rectorat en juillet dernier, raconte l’enseignante syndiquée au SNES :

« On voulait s’assurer qu’on n’aurait pas de mauvaise surprise à la rentrée, ça fait déjà quelques années qu’ils nous menacent de nous supprimer notre mi-temps de CPE. »

Un mi-temps durement gagné par une mobilisation globale de l’établissement en 2017. Cette année-là, les effectifs du collège avaient augmenté, notamment du fait d’une nouvelle sectorisation de la carte scolaire :

« Nous ne sommes pas un établissement d’éducation prioritaire mais une partie de nos élèves vient d’écoles en REP. Nous accueillons un public mixte et certains élèves ont besoin de plus d’accompagnement que d’autres. »

« Les CPE sont vitaux pour les établissements scolaires de Lyon »

L’équipe éducative a appris la fermeture de ce mi-temps de CPE quelques jours avant la rentrée. La majorité du personnel a souhaité se mettre en grève. Les enseignants ont donc accueilli les élèves pour la pré-rentrée avant de refermer les portes de l’établissement pour les premières jours de classe de l’année, les 5, 6 et 7 septembre 2022. Lilas Bigret-Combes considère que ce n’était pas forcément une situation idéale :

« Il a fallu expliquer aux parents des élèves de 6e pourquoi les CPE sont vitaux pour un établissement scolaire. C’est normal de ne pas comprendre quand on a connu que l’école primaire. »

Des explications qui ont visiblement fait leur chemin car ce sont les parents d’élèves qui ont organisé les « journées mortes » du jeudi et du vendredi suivant. Il s’agit de journées où seuls les parents qui n’ont pas d’alternative ont envoyé leurs enfants au collège.

Rassemblement pour un CPE au collège Jean Macé de Villeurbanne. Photo par Lagertha Photographie

Au lycée Condorcet, à Saint-Priest, c’est le 12 septembre que 60% de l’équipe enseignante s’est mis en grève. L’établissement qui compte 1600 élèves a fait face à une problématique similaire à celle du collège Jean-Macé. L’année dernière, il y avait deux postes de CPE titulaires à temps plein et une contractuelle à mi-temps. Cette année, il n’y aura plus qu’un seul poste à temps plein, deux postes à mi-temps et un tiers-temps en formation.

Des enseignants pris de court par la suppression des CPE à Lyon

Sabine Collardey est syndiquée à Sud éducation, elle enseigne la philosophie au lycée Condorcet depuis 2018. Elle rappelle que deux mi-temps ne sont pas égaux à un temps plein :

« Ce qui compte dans le métier de CPE, c’est le suivi des élèves, chaque jour. C’est pour ça que multiplier les mi-temps, ça n’a pas de sens. De même que des CPE en formation ne sont pas aussi utiles que des diplômés expérimentés. »

L’équipe pédagogique a appris la nouvelle de la suppression d’un poste à temps complet alors que deux des CPE sont en congé longue durée. C’est la stupeur générale qui aurait guidé la décision de faire grève :

« Contrairement à d’autres établissements de culture plus militante, ici, l’équipe enseignante ose moins faire grève. À chaque réforme, on essaye de bricoler en interne pour trouver des solutions. Là, on a été pris de court. On a du mal à voir une quelconque solution. »

« On n’attend plus rien d’une audience au rectorat »

À contrario, le collège Elsa-Triolet, d’ordinaire plus militant, n’a pas fait grève. Cet établissement d’éducation prioritaire situé dans le quartier des Minguettes, à Vénissieux, a du mal à cacher le sentiment d’abattement qui étreint ses équipes.

Alors que ses effectifs ont augmenté, un tiers-temps de CPE a été supprimé en cette rentrée 2022, raconte Myriam Laval, professeure d’histoire-géographie syndiquée à Sud éducation :

« On craignait que ça arrive. Il y a trois ans déjà, un poste de CPE nous avait été retiré. Nous nous étions mobilisés et le rectorat avait décidé de le rétablir. À partir de ce moment, ils ont menacé de nous retirer notre mi-temps tous les ans. L’année dernière, le rectorat a proposé de ne plus menacer le poste si nous acceptions le remplacement de notre mi-temps par un tiers-temps. »

Rassemblement pour un CPE au collège Elsa Triolet de Vénissieux. Photo Pascal Favrioux

Un marché dont il ne reste aucune trace, mais qui, si il a existé, n’aura pas fait long feu. Les équipes ont tracté et organisé un rassemblement devant le rectorat ce jeudi 15 septembre alors qu’une délégation rencontrait le recteur d’académie. Pascal Favrioux, enseignant et délégué syndical CGT au collège Elsa Triolet, commente :

« On n’attend plus rien d’une audience au rectorat. On espérait vraiment des changements il y a dix ans. Aujourd’hui on y va pour la forme, on connaît déjà tous leurs arguments, ils donnent les mêmes à tout le monde de toute façon. »

Au collège Jean-Macé, on compte 645 élèves pour une CPE

Il précise aussi que ses collègues ont de plus en plus de difficultés à se mettre en grève, à perdre des journées de salaire dans le contexte d’inflation actuel. Il déclare tout de même malicieusement :

« On se réserve pour l’interpro’ ! [la manifestation interprofessionnelle du 29 septembre 2022 ndlr] »

Les justifications données par le rectorat à Rue89Lyon sont les mêmes que celles offertes aux trois établissements : budget limité et volonté de répartir plus équitablement les forces.

« L’académie a bénéficié cette rentrée de la création de 13 postes supplémentaires de CPE, précise le rectorat. La répartition s’appuie sur un principe d’équité entre les établissements et sur des critères comme les effectifs, mais également la difficulté scolaire ou sociale. Les établissements que vous mentionnez disposent d’une dotation en CPE conforme à celle d’autres établissements aux caractéristiques identiques.  »

Les pancartes du rassemblement pour un CPE au collège Elsa-Triolet de Vénissieux. DR

Difficile d’avoir plus de détails sur les critères d’attribution ou de retrait d’un poste de CPE. Le collège Jean-Macé par exemple a vu son effectif baisser d’une quinzaine d’élèves seulement. Lilas Bigret-Combes aurait interrogé le rectorat à ce sujet :

« Le rectorat a justifié la fermeture du poste de CPE car selon leurs estimations, en 2026 nous n’aurons plus que 540 élèves. En attendant, pour cette année, nous avons plus de 645 inscrits. »

Suppressions de postes de CPE à Lyon, pourquoi ça fait si mal ?

Michelle et Camille (les prénoms ont été modifiés) sont CPE. Elles travaillent dans un établissement de Lyon concerné par la suppression d’un temps partiel de CPE. Pour elles, la décision de supprimer les temps partiels montre une méconnaissance de leurs rôles sur le terrain.

« La mission basique d’un CPE est d’assurer la sécurité des élèves, explique Michelle. Le B-A BA est d’appeler les parents pour signaler les absences par exemple. Quand on est en sous-effectif comme ça, il suffit qu’il y ait eu un événement le matin, comme une bagarre et on peut avoir deux, trois heures de retard pour prévenir les parents. »

Les deux CPE interrogées estiment que les collègues dont les postes à temps partiel ont été supprimés étaient trop peu présents ou trop peu expérimentés pour être considérés comme de véritables CPE. Mais ils allégeaient la charge de travail de celles et ceux à temps plein, leur permettant de mieux accompagner les élèves, reprend Michelle :

« Le rôle d’une CPE est avant tout de connaître tous les élèves, et d’être attentive aux problématiques de chacun : est-ce qu’il y en a un qui est toujours tout seul, est-ce qu’il y en a un qui est toujours dans les bagarres ? »

Camille insiste :

« À partir du moment ou il y a moins de présence, on va moins bien médiatiser les conflits et ça suscitera un sentiment d’injustice chez certains. On ne prendra plus en compte la parole des élèves. C’est comme ça qu’on favorise le décrochage scolaire. »

La hantise d’un accompagnement bâclé auprès des élèves

Une crainte partagée par tous les enseignants interrogés : un délitement de l’accompagnement hors du temps de classe aura forcément un impact sur les moments d’apprentissage. Au collège Elsa-Triolet de Vénissieux, Myriam Laval est inquiète :

« Nos élèves se rendent bien compte qu’il y a un problème. L’institution ne veut plus se rendre capable de les prendre au sérieux en leur offrant un encadrement réel. Ils ont déjà du mal à croire en l’école, ils vont finir par penser que l’école ne croit pas en eux. »

Les CPE Michelle et Camille le rappellent, leur travail ne consiste pas seulement à « faire la police » et à sanctionner. Elles s’impliquent aussi dans de nombreuses missions périphériques, comme les animations écocitoyennes, ou le conseil de vie citoyenne. D’après les deux CPE, cela participe grandement à un climat scolaire apaisé.

C’est la raison pour laquelle chaque établissement essaie de mettre en œuvre des projets extra-scolaires, encouragés par toute l’équipe pédagogique mais factuellement mis en œuvre par les CPE.

Justine Wagner est CPE au collège Jean-Macé de Villeurbanne depuis 3 ans et syndiquée à la CNT. Tous les ans, elle coordonne la venue du Planning familial pour les 4e, et celle d’associations luttant contre le sexisme et la LGBTphobie pour les 3e. Il n’est pas obligatoire de faire venir des acteurs extérieurs pour enseigner l’éducation sexuelle dans les établissements. Pourtant, l’équipe pédagogique du collège Jean-Macé a souhaité faire l’effort de décloisonner ces moments là, explique Justine Wagner :

« Je travaille avec l’infirmière scolaire pour organiser ça, mais ça demande du temps, de la logistique, d’être présente au moment de l’intervention. Je ne sais pas si l’année prochaine je ne vais pas manquer de temps pour le faire, ça m’angoisse car je crois que ça ouvre vraiment les yeux aux jeunes. »

« Les CPE sont le premier rempart contre le harcèlement »

Justine Wagner est catégorique, comme toutes les autres CPE interrogées, elle considère dépasser chaque semaine les 35 heures de son contrat de travail. D’après elle, l’Éducation nationale compte sur l’éthique de ses fonctionnaires pour pallier à ses propres manques de moyens :

« Aujourd’hui je ne vois pas comment il est possible de regarder la feuille de route de l’Éducation nationale, avec toutes les missions qui nous sont assignées, en se disant que c’est possible de faire ça avec aussi peu d’effectifs par établissement. »

Justine Wagner ne cache pas ressentir une certaine fatigue psychologique, qui s’accompagne à l’occasion de colère devant les discours de l’exécutif :

« Emmanuel Macron a répété maintes et maintes fois qu’il luttait contre le harcèlement scolaire. Factuellement, le vrai rempart contre le harcèlement à l’école, c’est le personnel de vie scolaire. C’est-à-dire nous, ainsi que les AED [assistants d’éducation ou surveillants, ndlr]. »

Justine Wagner en a conscience, les parents d’élèves s’inquiètent beaucoup de la suppression de postes de CPE dans les établissements de la métropole de Lyon. Tant et si bien que certains lui auraient déjà déclaré lorgner sur les collèges privés pour la rentrée prochaine. Un constat qui coïncide avec nos enquêtes sur les stratégies d’évitement de la carte scolaire.


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Photo : LB/Rue89Lyon

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