Les petites allées du Coteau de la Chaudane sont calmes ce lundi matin. Depuis une semaine, les vacances ont pris fin à Grézieu-la-Varenne, à l’ouest de Lyon, et les enfants ont repris le chemin de l’école. « Normalement, ça court dans tous les sens », sourit Michèle Cauletin.
À 68 ans, la jeune retraitée a l’habitude du contact avec les bambins. Dans cet habitat participatif XXL à l’air de mini-village, ils sont 15 enfants et adolescents à courir entre les maisons. En tout, les lieux comptent 19 adultes, dont dix seniors, parmi lesquels cinq femmes et deux hommes vivant seuls. Tous sont répartis sur treize logements. Une population dont l’âge va de 4 à 79 ans. Quand ils sont arrivés à Grézieu, certains enfants n’avaient que quelques mois.
Un habitat groupé à Grézieu-la-Varenne : les jeunes ont pu s’installer notamment grâce à l’apport des aînés
Avec ses maisons aux architectures diverses, l’endroit ressemblerait plus à un petit quartier qu’à l’image qu’on peut avoir d’un habitat participatif. Et pourtant. Sans le collectif et la solidarité entre générations, le projet du « Coteau » n’aurait pas pu voir le jour. Le montant du projet d’habitat participatif, à lui seul, se chiffre à 3,4 millions d’euros, en comptant le terrain viabilisé, les constructions des logements et les honoraires.
« Quelques foyers ont pu vendre leur logement rapidement, s’installer ici en location, et apporter des fonds qui ont permis aux jeunes de différer leurs demandes d’emprunts », reprend Michèle Cauletin.
Avec Odile Melot, 73 ans, elle nous accueille dans la « Maison commune », lieu central de cet habitat « groupé ». C’est là que se tiennent les réunions, mais aussi les cours de yogas, les ateliers coutures, etc. À l’étage, une chambre d’ami permet d’accueillir les voyageurs de passage. Chaque mois, ce lieu commun est géré par l’un des douze foyers. Il est un point central d’un projet parti de zéro.
Un habitat groupé près de Lyon : « Les personnes ont été unies par le projet »
Quand le collectif découvre ce terrain à Grézieu-la-Varenne, tout est à faire. Si le propriétaire, conquis par le projet, accepte de vendre, le terrain ne peut pas accueillir seulement de l’habitat participatif. En suivant le plan local d’urbanisme (PLU) qui demande une densité d’habitat obligatoire, il doit aussi se faire du logement social et de l’individuel. En tout pas moins de 36 logements doivent être réalisés. Seuls 13 seront de l’habitat participatif.
« Dès qu’on a mis le nez dans le concret, certains se sont un peu mis en retrait », se souvient Odile Melot.
À l’image d’autres, le collectif finit par adapter son projet au terrain et au PLU. Il est obligé de se mettre dans la peau d’un « promoteur » notamment pour trouver un bailleur social. « Ce sont les circonstances qui ont fait ça », relate Michèle.
Dans la recomposition du collectif, le noyau dur a cherché à ramener des jeunes familles pour trouver un équilibre intergénérationnel. Le groupe ne se connaissait pas à la base : « Les personnes ont été unies par le projet », indique Odile Melot.
« On parle souvent de bien vieillir avec l’habitat participatif, mais le soutien à la parentalité va de pair »
Fin 2013, l’équipe achète le terrain et engage les travaux. Trois ans plus tard, les premiers habitants arrivent sur des lieux, encore en chantier. Des logements en ossature bois, une chaudière collective aux granulés, 3 000 m² de terrain pour des jardins, une buanderie et un atelier mutualisés, un poulailler… Les toits des bâtiments ont aussi hébergé des panneaux solaires pour la centrale villageoise Cevival. Bref, l’intérêt environnemental et écologique de ce mini quartier saute aux yeux lors de la visite. Il n’est pas le seul.
« Le but était de recréer un quotidien solidaire de proximité entre générations », développe Michèle.
Ancienne directrice dans un syndicat de communes, sa voisine, Odile, travaillait notamment sur la prise en charge des personnes âgées.
« J’ai réalisé qu’il y avait une vraie transition à opérer au niveau de la gérontologie ».
Avec ce projet, elle trouve une manière concrète d’avancer et de recréer une solidarité entre générations. Un texto, une demande de coup de main, des courses à transporter en cas de maladie… Quand les plus jeunes gardent un œil sur la santé des personnes âgées, ces dernières surveillent ou gardent les enfants en cas de besoin.
« On parle souvent de bien vieillir avec l’habitat participatif, mais le soutien à la parentalité va de pair », poursuit Michèle.
Le nécessaire travail pour permettre les échanges entre générations
Preuve de l’intérêt du modèle, les porteurs de projet ont eu une vraie demande, notamment du côté des personnes seules.
« Les femmes seules de plus de 50 ans représentent 70 % des personnes intéressées par de l’habitat participatif », commente à propos Audrey Gicquel, auteur du livre Les clés de l’habitat participatif.
Les constructeurs du projet ont cependant travailler à garder un certain équilibre. Pour quels résultats ?
« La vie telle qu’elle se déroule confirme bien notre présupposé de départ », sourit Michèle Cauletin.
L’échange entre générations ne va pourtant pas toujours de soi. Le rapport à l’informatique, notamment, a été un point sensible à une époque. « Je n’avais jamais entendu parler de Google Drive », se souvient Odile.
Elle insiste pour qu’une grande partie des échanges se fassent par écrit, à la maison commune. Une manière de pousser tout le monde à se voir physiquement, dans leur bien commun, mais aussi de pousser à l’échange et au dialogue direct.
Sans tomber dans la réunionite, l’équipe tient à un fonctionnement avec des rencontres régulières. Des « palabres » ont lieu tous les 15 jours, des points infos sur la vie des lieux sont fréquemment organisés en fin de journée, une fête a lieu chaque saison… À ceci s’ajoute des apéros réguliers entre habitants, sans obligation de participation.
Satisfait du fonctionnement, le collectif a donc décidé de sanctuariser cet équilibre avec des personnes âgées d’un côté, et des familles de l’autre. Si une famille part, elle doit ainsi être remplacée par une autre, idem pour les aînés. Grâce à un montage en SCIA (société civile d’attribution), le collectif choisit les nouveaux arrivants.
« On peut aussi prendre des vacances du collectif »
Particularité du projet : chaque foyer a pu demander une architecture particulière pour son logement, dans le cadre d’une structure plus générale. Malgré une dimension collective importante, les lieux s’éloignent d’un modèle communautaire tel qu’on peut le trouver dans certains habitats coopératifs ou participatifs.
« C’est une façon de rester vivante, de participer au monde. Quand on se lève le matin, on sait qu’il y aura toujours quelque chose à faire. Mais on peut aussi prendre des vacances du collectif », souligne Odile Melot.
La répartition des « tâches » en pôles permet plus facilement l’émergence de projets. Porté par une personne à la base, le poulailler a ainsi été vite adopté par tous. Grâce à une solidarité entre personnes, le jardin (3500 m2 d’espace verts) est toujours arrosé, malgré les absences.
« On a acquis le réflexe du collectif », notent les retraitées.
En cas de pépin, un habitant est plutôt connaisseur en chaudière, un autre aura plus de compétences en informatique, etc.
Un habitat collectif près de Lyon : « C’est à la portée de tous »
Un lieu de vie construit suivant le collectif qui ne relève pas d’un « idéal » inatteignable.
« C’est à la portée de tous. Je n’étais pas du métier, mais on a fait le chemin, peu à peu. La forme qu’a prise l’habitat au final est issue de ce chemin », conclut Odile.
Dans un souffle, elle regrette que la « propriété collective » ne soit pas plus dans les mentalités. Jusqu’à quand ? Dans le cadre des journées européennes de l’habitat participatif, l’équipe ouvre les portes de son habitat le 24 septembre. Un objectif : montrer que ce type de projets est possible. Le message a été transmis.
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