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Juliette, esthéticienne au SMIC à Lyon : « J’ai toujours peur de devoir de l’argent »

Juliette, 23 ans, est esthéticienne à Lyon, en CDI, avec un salaire à peine plus élevé que le SMIC. Elle a vu son pouvoir d’achat dégringoler en raison de l’inflation généralisée. Depuis, elle vit dans le stress permanent de manquer d’argent. Témoignage.

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Juliette a 23 ans. Elle est originaire de la vallée d’Azergues, à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest de Lyon. La jeune femme raconte une enfance à l’abri du besoin, avec une mère responsable ressources humaines et un père dans l’informatique. Tout en ayant toujours une conscience aiguë de la valeur de l’argent.

« Nos parents nous ont toujours dit, à ma grande sœur et moi, qu’il fallait travailler pour avoir de l’argent. Ils nous ont appris que l’argent ne tombe pas du ciel. Mais même en travaillant, c’est pas simple… »

Il y a trois ans, Juliette a quitté sa campagne natale pour faire deux années d’apprentissage dans un institut de beauté à Lyon. Il y a un an, elle a été embauchée en CDI par ce même salon de Lyon, avec un salaire de 1358 euros nets par mois – à peine plus haut que le SMIC qui est de 1329 euros nets en 2022.

Installée dans un confortable deux-pièces de 40 m² à Villeurbanne, Juliette sort beaucoup, profite de la vie sans trop regarder la note.

« J’étais très dépensière, se souvient-elle. Dès qu’une influenceuse faisait la promotion de quelque chose sur les réseaux sociaux, il fallait que je l’achète. Il y avait tout le temps des colis qui arrivaient chez moi. »

Surtout, Juliette essaie de mettre chaque mois de côté pour réaliser un projet qui lui tient à cœur : s’acheter un appartement.

Tout ça, c’était avant la pandémie, et l’inflation qui a suivi, réduisant le pouvoir d’achat de Juliette à peau de chagrin.

« L’élément déclencheur, ça a été quand j’ai vu que mon plein d’essence m’avait coûté 80 euros ! »

La jeune femme se souvient parfaitement du jour où la montée des prix est devenue très concrète dans sa vie.

« L’élément déclencheur, ça a été quand j’ai vu que mon plein d’essence m’avait coûté 80 euros ! »

Tous les jours, Juliette se rend à son travail à la Croix-Rousse en voiture. « C’est un luxe », concède-t-elle, arguant du gain de temps par rapport au même trajet effectué avec les TCL. Un luxe que son nouveau pouvoir d’achat ne lui permet plus.

Dans le même temps, le loyer de son appartement augmente. Il faut rajouter désormais 12 euros par mois.

« Il y a trois ans, je payais 630 euros par mois de loyer, se rappelle-t-elle amèrement. Maintenant, c’est 700 euros auxquels je dois rajouter environ 50 euros de gaz… »

Esthéticienne en CDI à Lyon, Juliette a un salaire à peine plus haut que le SMIC. DR

Pour Juliette, hors de question de se passer de sa voiture, si pratique pour se déplacer et rendre visite à ses parents, dont la commune est mal desservie en transports en commun. Elle songe à changer d’appartement, vite découragée par les prix actuels de l’immobilier et la perspective de devoir débourser un premier mois de loyer d’avance, une caution et éventuellement des frais d’agence. Pour rentrer dans ses frais, la jeune femme décide de rogner sur la nourriture.

« J’ai préféré aller à Lidl et garder ma voiture ! » résume-t-elle en riant.

« C’est possible de vivre avec un SMIC à Lyon actuellement, mais en ne faisant rien du tout. »

Pendant la pandémie, Juliette a eu très peur de perdre son travail, ou que sa boîte ne rouvre pas. Manquer d’argent est devenu un stress permanent qui prend beaucoup de place dans sa vie.

« J’essaie de toujours garder un minimum d’argent pour ne pas être dans le rouge, confie-t-elle. J’ai toujours peur de devoir de l’argent. Je préfère garder mes arrières, on ne sait jamais ce qui peut nous arriver. »

Depuis le dernier déconfinement, l’insouciante jeune femme s’est transformée en véritable comptable, qui surveille la moindre dépense.

« Je ne fais plus rien, dit-elle d’un ton résigné. Tous les mois, je budgétise. C’est possible de vivre avec un SMIC à Lyon actuellement, mais en ne faisant rien du tout. »

Cette année par exemple, Juliette ne partira pas en vacances. A la place, elle essaie de travailler un maximum pour toucher quelques primes. Elle raconte notamment son malaise lorsque ses amis lui proposent de sortir, ou à l’anniversaire de cette amie, quand les autres ont proposé que chacun mette 30 euros pour lui acheter un cadeau commun.

« Maintenant, je me rends compte que 30 euros, c’est énorme. Je compare tout par rapport à ce que ça fait en essence. Et avec 30 euros d’essence, je ne vais pas aller bien loin ! »

Quant à son projet d’acheter un appartement, elle a dû y renoncer.

« Je n’arrive plus à mettre que 50 ou 100 euros de côté par mois, soupire-t-elle. Avant l’inflation, j’étais bien partie, j’arrivais à mettre 300 euros. Maintenant, entre l’inflation et les taux d’intérêt, j’ai mis tout ça en stand by. Je ne sais pas jusqu’à quand. »

« J’espère ne pas vivre sur les aides toute ma vie… »

Avec son CDI, même mal payé, la jeune femme pensait être à l’abri du besoin. Elle touche en plus quelques dizaines d’euros d’APL et de prime d’activité. Un système qu’elle trouve « ridicule ».

« L’État me verse de l’argent parce que lui-même trouve que mon salaire est insuffisant, s’indigne-t-elle. Malgré ça, je suis imposable. En août par exemple, j’ai reçu 130 euros d’aides. En septembre, on me réclame 170 euros d’impôts… C’est ridicule ! »

Juliette peine de plus en plus à joindre les deux bouts avec son salaire à peine plus haut que le SMIC à Lyon.

« Je suis responsable de vente. Avec un SMIC. Il faudrait augmenter les salaires au lieu de nous verser des aides ! J’espère ne pas vivre sur les aides toute ma vie… » lance-t-elle, consternée.

La jeune femme se retrouve face au même dilemme : comment augmenter son pouvoir d’achat ? Changer d’appartement ? Vendre sa voiture ? Elle a décidé cette fois-ci de s’attaquer à la source du problème : son travail mal payé.

« J’ai quitté mon travail pour un autre qui me permettra d’augmenter mon pouvoir d’achat, sourit-elle. Je serai payée 1450 euros nets, avec une voiture de fonction et une carte d’essence financée par mon employeur. »

À la perspective de ces nouvelles conditions de travail, Juliette rayonne :

« Je suis trop contente ! Je vais pouvoir sortir à nouveau, aller au restaurant et peut-être même partir en vacances l’année prochaine ! Bon, mon rêve serait de partir à New York mais déjà l’Italie, ce serait mieux que la vallée d’Azergues… »


« Le porte-monnaie au rayon X » est une rubrique qui avait été lancée par Rue89, le site qui a inspiré Rue89Lyon (lancé par des journalistes lyonnais et détenus par ces mêmes journalistes à 100%). Il s’agit de réaliser des portraits de lyonnais et de lyonnaises à partir de leur mode de consommation, de leurs revenus, leurs finances, etc.

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Photo : PL/Rue89Lyon.

Photo : OM/Rue89Lyon

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