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Du marché aux bestiaux à la salle de concert, l’histoire alambiquée de la Halle Tony Garnier à Lyon

Chaque année à la rentrée, la plus grande salle de Lyon, la Halle Tony Garnier, révèle ses nouveaux projets et sa programmation de l’année. Du marché aux bestiaux à Peter Gabriel, en passant par une période militaire, retour sur l’histoire d’un bâtiment marquant du XXe siècle.

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La Halle Tony Garnier (Lyon 7e) pendant l'exposition universelle de 1914. Photo d'archive.

« Toutes les architectures dites « de style » comportent une ornementation : cette ornementation n’est qu’une mode et ne répond à aucun besoin (…) Pour être vraie, une architecture doit n’avoir besoin d’aucun ornement et se suffire à elle-même. »

Quand on passe devant la Halle Tony Garnier, cette maxime de son concepteur semble totalement à propos. Sobre, efficace, carrée (ou du moins rectangulaire), ce bâtiment impressionne par son aspect monumental avec sa toiture à redans (en forme d’escalier).

Longue de 210 mètres, haute de 24 et large de 80, « la halle » est capable d’accueillir de 3 000 à 17 000 personnes. Cela n’a pas toujours été le cas. En plus d’un siècle d’existence, la halle a accueilli des carcasses d’animaux, des blessés et des obus.

A l’origine de la Halle Tony Garnier : la construction d’un abattoir géant pour Lyon

Pour comprendre cette drôle d’histoire, il faut revenir au début du XXe siècle. Depuis le milieu du XIXe siècle, traîne à Lyon l’idée de faire un véritable abattoir « moderne » où l’abattage des bêtes se ferait de façon centralisée. Fut un temps où l’abattage des animaux s’effectuait dans des « tueries », dans les arrière-cours des étals de bouchers ou dans de grandes boucheries.

En 1887, il y a encore 80 « tueries privées » dans le 3e arrondissement de Lyon de l’époque, qui englobe le 7e arrondissement d’aujourd’hui. Pour les limiter, Lyon va compter deux premiers abattoirs à Perrache et à Vaise. Mais la ville a besoin de voir plus gros et d’éloigner les carcasses de viande du centre-ville.

Pour ce projet mastodonte, plusieurs secteurs sont envisagés comme Perrache, Vaise, ou encore la Villette. La municipalité choisit finalement Gerland et le quartier « de la Mouche » pour centraliser les abattoirs. Le secteur dispose à l’époque de bâtiments réservés aux services militaires, d’un entrepôt d’habillement ou encore d’un hôpital complémentaire. C’est là que seront posées les premières pierres de la Halle Tony Garnier.

Plus excentrés, les lieux ont l’avantage d’être éloignés du cœur de ville. Une nécessité à l’époque où les questions d’hygiène deviennent primordiales.

Tony Garnier, un architecte prodige attaché à Lyon

Le 15 juin 1904, Victor Augagneur, alors maire de Lyon, fait appel à Tony Garnier. Le jeune homme, vainqueur du prestigieux Prix de Rome, voit dans ce projet une manière de rester auprès de sa famille.

Avec le successeur d’Augagneur, Édouard Herriot, il participera fortement à l’évolution de sa ville natale. Élu en 1905, Herriot se charge de finaliser la commande. Le devis est alors chiffré à 13 428 400 de francs anciens.

C’est sous son très long règne que Garnier va entreprendre des travaux s’étendant également sur une (très) longue période. Le gros œuvre commence en 1909. La grande halle du marché est la plus impressionnante par ses dimensions (80 m x 210 m) et par son système de construction. C’est elle qui est toujours en place aujourd’hui.

Initialement, les bâtiments devaient être entièrement faits en béton. Mais, soumis à des difficultés techniques, Tony Garnier dut recourir à l’acier. Qu’importe. Après quelques retards liés à des inondations, les lieux ouvrent en 1914. Après son inauguration, la halle accueille l’exposition universelle. Il faudra attendre la fin des années 1920 pour que les lieux servent d’abattoir. 

La Halle Tony Garnier (Lyon 7e) pendant l’exposition universelle de 1914. Photo d’archive/Halle Tony Garnier.

La Halle Tony Garnier : une usine d’armement avant d’être un abattoir

À l’heure de la Première Guerre mondiale, les lieux sont réquisitionnés pour servir d’usine d’armement. Puis, une fois la guerre terminée, ils accueilleront des blessés. La halle est alors une sorte « d’hôpital » temporaire. Une histoire qui se répétera. Durant la Seconde Guerre mondiale, les Allemands s’en serviront également comme fabrique d’armements.

La Halle Tony Garnier (Lyon 7e) a servi de fabrique d’armement pendant la première guerre mondiale. Photo d’archive/Halle Tony Garnier.

En 1920, des travaux de rénovation et une mise aux normes sont entrepris. La « cité de la viande » est officiellement inaugurée en 1928, presque 20 ans après le début du chantier. Les lieux sont alors beaucoup plus grand que la halle actuelle. 

Le terrain réservé pour cette mini-ville est limité, au nord, par le prolongement de l’avenue Debourg, à l’est, par le chemin des Culattes et, à l’ouest, par le chemin de la Vitriolerie, à Saint-Fons. L’ensemble mesure approximativement 20 hectares.

Outre la halle, grande d’1,7 ha, les lieux comptent également des porcheries, écuries, et d’autres types de bâtiments. Interdits de tuer dans leur magasin, les bouchers devaient amener leurs bêtes aux halles. En 1955, les « Abattoirs de La Mouche », du nom du quartier, traitent annuellement 34 000 tonnes de viande. Bon appétit.

L’évolution du quartier de Gerland sonne la fin des abattoirs

Leur activité va commencer à décroître courant des années 60. En 1967, la décision est prise de les fermer. Plus aux normes, la cité de la viande souffre également du développement de la ville. Installée loin du centre-ville pour des raisons d’hygiène, elle se trouve désormais englobée par l’agglomération lyonnaise qui n’a cessé de grandir. 

Il est décidé de transférer cette question plus loin, à Corbas. Encore aujourd’hui, le « pôle agroalimentaire » de Cibevial traite 18 500 tonnes de viande de façon annuelle. Il reste l’un des plus grands abattoirs de France.

La Halle Tony Garnier (Lyon 7e) a aussi servi de marché aux bestiaux. Photo d’archive/halle Tony Garnier.

La Halle tony Garnier sauvée par Régis Neyret

Sous le mandat de Louis Pradel, la fin des abattoirs de la Mouche est actée. Le maire, surnommé « zizi béton » par ses détracteurs, habitué aux grands projets et aux démolitions, s’attaque aux bâtiments des abattoirs, puis au marché aux bestiaux, situé dans la halle. Certains bâtiments sont conservés dont ceux, à gauche de la halle, qui abritent les laboratoires Mérieux. Pour le reste, les cheminées disparaissent, explosées à la dynamite.

En 1975, les terrains aux alentours de la halle sont libérés. Elle ne doit sa survie qu’à l’action vigoureuse du journaliste Régis Neyret, très actif également dans le classement du Vieux Lyon au patrimoine mondial de l’Unesco.

Grâce à une intense campagne de presse, ce dernier parvient à sauver le bâtiment de la halle, les deux portes des lieux au nord et l’arche au sud. Elle est classée au titre des monuments historiques le 16 mai 1975.

Quand la halle est devenue « La Halle Tony Garnier »

Et après ? La « halle » devra attendre dix ans pour prendre le nom de « Halle Tony Garnier ». La ville de Lyon va investir 104 millions de francs pour réhabiliter les lieux.

Parmi les travaux réalisés : la disposition d’un « décor » architectural, de ventilation, d’équipements de sécurité, d’éclairage… Tout est mis en place pour accueillir de potentiels exposants sur 17 000 m² de surface. Des sanitaires sont aussi installées en sous-sol pour des visiteurs. L’acoustique des lieux est traitée pour accueillir des événements.

Le maire de l’époque, Francisque Collomb (aucun rapport avec Gérard) inaugure les lieux le 8 décembre 1988 pour respecter la tradition lyonnaise et bien tomber dans le calendrier des élections municipales, prévues en 1989.  Le 5 novembre 1989, sir Paul MacCartney monte sur sa scène.

C’est le début du fonctionnement de la halle telle que nous la connaissons aujourd’hui. Cette dernière accueille, comme en 1914, des expositions, mais aussi des concerts, des salons, des spectacles, des conventions d’entreprises, des colloques, etc.

2000 : une dernière rénovation pour rentrer dans le XXIe siècle

Pour parfaire ce fonctionnement, une nouvelle rénovation est entrepris en 1999-2000 par l’architecte lyonnais Albert Constantin. Il convainc le maire de l’époque, Raymond Barre, qu’une structure est nécessaire pour pouvoir plonger dans le noir la halle, les soirs de spectacle. 

Il révolutionne également le fonctionnement des immenses gradins. Finis le système du « montage-démontage », des structures mobiles de 210 m2 peuvent être déplacées grâce à une machine de levage hydraulique et au fonctionnement d’un rail. Grâce à cela, les lieux peuvent s’adapter suivant le nombre de personnes accueillies. L’acoustique est encore renforcée.

Rescapée, symbole des constructions de l’architecte Tony Garnier, la halle voit défiler les têtes d’affiche. Pour ses 100 ans, elle accueille en 2014 les Black Keys, Shaka Ponk ou encore Peter Gabriel. Au cœur du marché aux bestiaux, où jusqu’à 34 000 « tonnes » de bêtes étaient abattues chaque jour en 1965, près de 17 000 spectateurs, peuvent à présent se presser.

Une reconversion singulière qui n’étonnera certainement pas nos voisins berjalliens. Leur salle de concert a gardé un nom bien plus explicite : Les Abattoirs.

Le 9 juin, des militaires stationnent devant la Halle Tony Garnier pour le concert d’Ariana Grande à Lyon.Photo : LB/Rue89Lyon

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Photo : Isabelle Aubert

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