C’était censé être la « voie royale » devant ouvrir grand toutes les portes après des études supérieures. Raté. Ils sont plusieurs à Lyon à revenir dépités de leur expérience dans le conseil.
« Un consultant, c’est une tique. Il suce le sang de ses clients », lâche l’un d’eux.
À Lyon, des consultants au bord du départ, ou ayant déjà quitté leur emploi, font état d’un réel mal-être dans leur profession.
Parmi eux, Mathieu (le prénom a été modifié) a quitté son cabinet de conseil cet été. Originaire du sud de Lyon, il est arrivé dans le milieu après une formation dans un Sciences Po de province et un passage dans le secteur public. Ses mots, pour décrire son utilité au travail, sont particulièrement violents :
« J’ai été vendu très cher, mais je n’ai jamais su ce qu’était ma plus-value. »
Autre profil, mais même problématique, Bruno a travaillé durant trois ans dans une entreprise de services numériques, basée à Vaise. Comme Mathieu, il a quitté sa boite cet été, totalement désabusé. Comme lui, il évoque un véritable « bullshit job », selon la définition de l’anthropologue David Graeber.
« Pour moi, travailler pour ce type de boite, c’est de l’avilissement. »
Les consultants à Lyon : quand la forme prime sur le fond
Pour expliquer ce désenchantement, les deux, à différents niveaux, décrivent un secteur où la présentation, et, plus généralement, la forme prime sur le fond.
« Je n’ai jamais vu des PowerPoints aussi beaux que dans le conseil. Franchement, c’est magnifique ! », ironise Mathieu.
Durant ses missions, celui-ci était en charge de conseiller des collectivités publiques. Des missions « externalisées » afin d’éviter des recrutements dans l’administration, selon lui.
Il fait d’abord un point sur les prix. Pour le client, le coût d’une mission d’un consultant « junior » revient à 700 – 1100 euros par jour. Un prix qui monte à 1300 – 1500 euros pour un consultant classique.
Objectif pour la collectivité : avoir une « expertise », un avis éclairé sur son budget, les types de contrats à choisir, les orientations à prendre, etc. Le hic ? La plupart du temps, le consultant n’a pas le temps de traiter le dossier en profondeur, selon Mathieu. D’ailleurs, il estime n’avoir même pas les compétences requises pour ça. Présenté comme un « expert », il n’est, en réalité, expert en rien. Résultat : dans son cabinet, les dossiers en attente s’empilaient. « Et pendant ce temps, nous, on facturait », se souvient le jeune homme.
« Dans le conseil, il est plus rentable d’envoyer un dossier « à peu près terminé ». Dans le meilleur des cas, on se dit « ça va passer ». Au pire, on a un retour avec le client », détaille-t-il.
A Lyon : « Les consultants sont une machine à banalités »
Pour cela, tout est bon pour épater le client. Les employés font leur l’expression anglo-saxonne « Fake it until you make it » (fais semblant jusqu’à ce que tu arrives à le faire, en français). Optimiser ses revenus, diversifier ses actifs, avoir un budget équilibré… Quelques grands principes économiques appris en école de commerce ou à Sciences Po permettent d’enrober de beaux discours. Mais, derrière, la rigueur, la précision et plus généralement le fond ne suivent pas.
« Le consultant est une machine à banalités », grince Mathieu.
Il enchaîne :
« Le conseil, c’est aller chez des clients en chemise bien repassée et montrer que tu sais tenir une fourchette au restaurant. C’est un milieu de mâles alpha où tu ne dois pas montrer à ton client quand tu te plantes, pour ne pas paraître faible. »
Il souligne l’importance de prendre une position de supériorité sur son client, voire de le « mépriser ». Une façade pour conserver un ascendant fragile.
« Difficile de voir la différence entre quelqu’un qui travaille et un qui ne travaille pas »
Pour parfaire cette impression de connaissance, les équipes sont invitées à s’exprimer à grand renfort d’anglicismes ou de néologismes. « Adresser » une problématique (de l’anglais « to adress »), faire un « process »… Cette logique, appliquée au client, se retrouve, selon Bruno, jusque dans le fonctionnement des entreprises.
Diplômé d’une école de commerce à Bordeaux, ce dernier est arrivé plutôt confiant dans sa boite installée à Vaise. Grands bureaux, « grands sièges en cuir », équipe « très sympathique »… Tout semblait présager d’un futur rayonnant où il pourrait avoir des « responsabilités ».
Au boulot, il voyait ses collègues derrière leurs ordinateurs, qui semblaient travailler. Près de trois ans plus tard, il se pose plus de questions.
« En réalité, difficile de voir la différence entre quelqu’un qui est au travail et quelqu’un qui ne l’est pas », grince-t-il.
Dans le conseil à Lyon : 2300 euros par mois pour trier des badges
Après deux missions, sa boîte lui confie un poste de « service level manager ». Le titre semble présager d’un poste où il est nécessaire de coordonner une équipe ou encore de diriger des projets. Il va vite le trouver très ronflant. Pour pas grand-chose.
« Je gérais l’accès à l’open space des gens qui venaient travailler », résume-t-il.
Rapidement, pour lui, le tout vire à l’absurde. Un jour, sa supérieure lui demande de venir au bureau pour ouvrir la porte à un employé venu réparer la machine à café. Il se retrouve en charge de distribuer les badges à l’entrée. Dépité, il observe ses collègues qui semblent se prêter au jeu.
« On arrivait à faire des réunions à quatre ou cinq pour parler du nombre de badges à distribuer dans le local », se souvient-il.
Aberrant. Pendant un an, il va se demander comment des personnes diplômés de divers masters pouvaient se retrouver à faire ça. Il retourne la question dans son crâne : pourquoi il n’y a-t-il pas de « vraies » choses à faire ?
« Franchement, ça sert à quoi de payer quelqu’un 2300 euros nets par mois pour trier des badges ? », s’énerve-t-il.
« Le travail de consultant est quelque chose de nuisible »
Un an après le début de cette mission, il démissionne de son poste en juin 2022. Comme Mathieu, il en sort cassé et profondément changé. Ancré sociologiquement et politiquement à droite, le trentenaire raconte s’être mis à lire Le Capital de Karl Marx. Et s’y retrouver. Classe préparatoire, école de commerce… Il avait toujours suivi la « bonne voie » jusqu’à présent et « sacralisé » le travail. Aujourd’hui, il s’interroge sur son sens.
« Qu’est-ce que ça veut dire le travail ? Comment ça se fait que des personnes qui ne créent pas de valeur puissent être considérées comme de grands travailleurs ? J’avoue qu’après ça, cette notion me perturbe. »
Mathieu va plus loin :
« Je pense que le travail de consultant peut-être quelque chose de nuisible. »
Il inscrit sa réflexion dans une démarche globale, dans le rapport avec les collectivités publiques. Ces dernières prennent le risque de perdre de l’argent sur des recherches qu’elles pourraient faire en interne, si les embauches suivaient, selon lui. « C’est une facilité de l’esprit d’imaginer qu’un cabinet est indépendant parce qu’extérieur », renâcle-t-il.
Selon son expérience, les consultants travaillent souvent plus de 60 heures par semaine, en empilant dossier sur dossier. A chaque fois, ils sont présentés comme des « experts » dans des domaines qui peut leur être inconnus. Alors, forcément, difficile d’abattre un travail de qualité dans ces conditions. Logiquement, le tout pousse à aller dans le sens de demandes politiques.
Syndrome de l’imposteur chez les consultants à Lyon
Aujourd’hui, le « syndrome de l’imposteur » le poursuit comme l’impression d’avoir, quelque part, perdu.
« Tu ne peux pas t’empêcher de te dire que tu n’es pas « un gagnant » quand tu quittes ce métier. »
A la recherche d’une nouvelle voie, il songe à se réorienter vers l’enseignement. Au moins, il se dit qu’il pourra « transmettre » un savoir rigoureux. Bruno, de son côté, commence à faire des expériences à droite, à gauche dans des travaux plus manuels comme la plomberie ou la boucherie.
« Je veux revenir à un métier qui sert les gens plutôt que les intérêts d’une entreprise », estime-t-il.
En attendant, il a quitté son entreprise actuelle pour aller chez la concurrence, également spécialisée dans le conseil, près de Lyon.
Ils ne sont pas les seuls à être dans cette problématique. En février 2020, des géants du conseil, Mazars et EY, se sont lancés dans des opérations séduction pour garder leurs jeunes talents. En cause ? Ces entreprises connaissaient alors un turn-over de 20 % de leurs effectifs chaque année. Deux ans après le premier confinement et les réflexions nées de la crise sanitaire, pas certain que ce chiffre se soit réellement amélioré.
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