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Fin du squat officiel de la Métropole à Lyon 3e : les habitants dans l’impasse

Sur le cours Lafayette, dans le 3e arrondissement de Lyon, se trouve un squat « officiel ». En 2021, les habitants du squat ont signé une convention avec la Métropole de Lyon pour y rester de manière temporaire légalement. Un dispositif inédit à Lyon. Au 15 septembre, ils devront quitter les lieux et n’ont pour l’heure pas de solution de relogement. Un « retour à la case départ » pour les militants et habitants.

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Lyon squat Lafayette habitat précaire

Devant les grandes portes en bois du squat Lafayette, on peine à imaginer un squat. Une fois entrée, la nature du lieu ne fait pas de doutes. De petites chambres fermées à clé s’ouvrent à intervalle régulier, et alors que l’on passe dans les couloirs dénués de meubles, on discerne des matelas et couvertures posés à même le sol.

Dans ce lieu vivent une cinquantaine de personnes migrantes venues d’Afrique subsaharienne. Il s’agit pour la plupart d’hommes seuls âgés d’une vingtaine ou trentaine d’années, en cours de demande d’asile ou sans papiers.

Au squat Lafayette, conventionné par la Métropole de Lyon, les conditions de vie sont précaires.Photo : MA/Rue89Lyon

Installés là depuis octobre 2019, avec l’aide du collectif Intersquat qui a ouvert le lieu, les habitants avaient obtenu un répit en 2021. La Métropole de Lyon, propriétaire du bâtiment, avait signé une convention les autorisant à rester dans la bâtiment pour une année et demi.

Une signature qui s’ancrait dans une politique « accueillante » et « hospitalière » mise en avant par la majorité de gauche arrivée à la tête de la Métropole en 2020, menée par les écologistes.

Mais dans moins d’un mois, la convention va prendre fin, et les habitants n’ont aucune solution de relogement.

Au squat Lafayette à Lyon, pas de solution de relogement

Alors qu’ils devaient quitter le bâtiment en juin 2022, les habitants ont d’abord obtenu un sursis jusqu’au 15 septembre.

Au mois de mai, les exilés avaient sollicité la Métropole pour en savoir plus sur leur sort. Deux réunions se sont tenues entre les habitants et la collectivité, où Renaud Payre, vice-président chargé de l’Habitat à la Métropole de Lyon leur a fait part du délai supplémentaire jusqu’au 15 septembre. Ensuite, la Métropole souhaite récupérer le bâtiment pour réaliser des travaux de réhabilitation.

Aujourd’hui, l’élu reconnait que pour le squat Lafayette, « il n’y a pas de solution de relogement ». À contrario, au squat Arloing à Vaise, dont le conventionnement arrive aussi à son terme, des solutions sont en train d’être trouvées entre la Métropole et les habitants.

Renaud Payre, vice-président délégué à l’Habitat, au Logement et à la Politique de la ville à la Métropole de Lyon.Photo : HH/Rue89Lyon

Une réunion doit avoir lieu le 26 août entre la Métropole et les habitants, soutenus par l’Intersquat, Médecins du monde et le Droit au logement (DAL).

Djibril, venu de Guinée et habitant des lieux reste dubitatif sur l’issue de cette réunion :

« Entre le 26 aout et le 15 septembre, il y a combien de jours d’intervalle ? On est déjà dans la galère »

Un squat conventionné moins « fonctionnel »

Renaud Payre tire le bilan et explique cette différence entre ces les deux squats conventionnés. Sans vouloir « rejeter la faute sur les occupants » de Lafayette, il explique que le squat d’Arloing était beaucoup plus organisé, avec un collectif d’habitants défini et des référents investis :

« Les deux conventionnements sont incomparables, Arloing est une vraie réussite, on a un vrai collectif, très soudé avant le conventionnement. (…) C’est beaucoup plus compliqué sur Lafayette, on le savait dès le début. Il n’y a jamais eu de collectif. Les personnes ont des trajectoires très différentes les unes des autres, avec des situations de souffrance et le collectif ne fonctionnait pas. »

Colette, militante de l’Intersquat et soutien des habitants, fait un constat quasi similaire. À Lafayette, « il n’y avait pas de groupe constitué comme à Arloing, avec une organisation entre les occupants et des liens de solidarité ». Une situation qui s’explique car les occupants n’avaient pas créé de liens avant d’habiter ensemble. Djibril regrette :

« La Métropole n’a pas accepté qu’on puisse être aidés par l’Intersquat lors de la signature. »

Renaud Payre l’explique :

« Les premières relations avec l’Intersquat n’étaient pas hyper bonnes, mais ça peut évoluer. Je pense qu’il y avait une forme de défiance par rapport à la Métropole mais je pense qu’on avance depuis juillet 2020 et qu’on fait bouger les lignes. »

Un manque d’accompagnement social au squat Lafayette

Surtout, les habitants et les militants auraient souhaité un accompagnement social plus poussé. L’association « Action pour l’insertion par le logement (Alpil) est venue dans le squat en juin et juillet 2022 seulement, missionnée par la Métropole. L’objectif était de tenir des permanences et d’informer les habitants sur leurs droits et l’accès au logement.

La convention signée entre les habitants et la Métropole mentionne outre l’Alpil, le passage d’un travailleur social, et de la maraude mixte de la Métropole de Lyon, sans précision sur la fréquence de cet accompagnement.

Les habitants disent avoir eu seulement une amorce d’accompagnement social vers le travail en début de conventionnement, sans suites. Seul un médiateur de la Métropole entretenait des liens avec les habitants.

Dans la convention signée entre les parties, des réunions devaient également aussi avoir lieu « au moins toutes les six semaines », composées des habitants, des service de la Métropole de Lyon, du médiateur et des intervenants sociaux. Colette, une militante de l’Intersquat tranche :

« Ces réunions qui devaient se tenir avec la Métropole n’ont pas eu lieu. Les habitants se sont retrouvés sans structuration. »

Selon Renaud Payre, la réalité est tout autre. Il défend l’accompagnement réalisé à Lafayette :

« L’engagement du médiateur a été entier. Il est venu régulièrement et a fait un travail considérable. (…) Il y a eu du passage très régulier des services et de l’amélioration des situations matérielles. »

« J’aimerai que la Métropole de Lyon essaie d’évaluer nos situations individuellement, et nous trouve une solution de logement »

Signataire de la convention, Paul (le nom a été changé), un Camerounais de 30 ans, se disait « plutôt content » du conventionnement en juin 2021, même s’il aurait aimé être accompagné des militants de l’Intersquat lors de la signature pour mieux comprendre les enjeux. Aujourd’hui, il se considère « à la rue » et se montre pessimiste. Il formule quelques demandes :

« On vit dans la précarité et des fois les gens deviennent fous. On a des droits comme tout le monde. Il faut qu’on se loge d’abord. On peut pas nous dire ‘la convention est finie, allez dehors’. On a signé parce qu’on avait besoin d’un endroit pour dormir. J’aimerai que la Métropole essaie d’évaluer nos situations individuellement, et nous trouve une solution de logement. »

La cuisine du squat Lafayette, infestée de cafards, sert pour la cinquantaine d’habitants.Photo : MA/Rue89Lyon

Alors que Paul nous amène dans la cuisine et se poste à la fenêtre, Colette nous met en garde : « attention à ne pas ramener de cafards chez vous ». Sur le plan de travail, une dizaine de blattes s’enfuient à peine à notre approche. Malgré une désinsectisation menée par la Métropole au début du conventionnement, les nuisibles sont revenus. Dans le coin opposé de la pièce, un lit de fortune et deux tapis ont été installés, signe de la présence de nouveaux arrivants.

Vélos et trottinettes électriques encombrent les couloirs, accompagnés de sacs floqués Deliveroo ou Uber Eats, autre signes de la précarité de ces hommes pour la plupart sans papiers. Une douche, réalisée par la Métropole de Lyon, suite à des travaux convenus dans la convention, est à l’abandon, inutilisée parce que l’eau fuit de partout, selon les habitants.

Tout comme les factures d’électricité, l’eau a été payée par la Métropole de Lyon sur toute la durée du conventionnement.

Sans papiers ou en situation administrative compliqué, les habitants du squat Lafayette se retrouvent à travailler illégalement pour des plateformes de livraison.Photo : MA/Rue89Lyon

« On butte sur des questions qui dépassent nos compétences »

Avec la convention, les habitants espéraient une amélioration de leurs conditions de vie au quotidien et un temps de répit pour pouvoir régler leur situation administrative et ainsi s’insérer dans la société. C’est là toute la limite que peut avoir le conventionnement de squat. La Métropole de Lyon s’est engagé sur une compétence – l’hébergement de personnes demandeuses d’asiles ou sans papiers – qui n’est pas la sienne. Le conventionnement de squat était un dispositif inédit à Lyon, même s’il ne l’était pas dans d’autres villes, comme Toulouse.

Et fournir un accompagnement social représente un engagement supplémentaire comparé à la simple mise à disposition d’un bâtiment.

Renaud Payre défend la politique de la Métropole :

« Ce n’est pas parce qu’on fait de l’occupation temporaire, qu’on est dans l’obligation de reloger. On ne peut pas prendre cet engagement, parce que ce n’est pas dans nos compétences. Il faut se demander comment, sur le temps de répit de la convention, on arrive à améliorer leur situation. On butte sur des questions qui dépassent nos compétences : notamment l’accès au travail, qui dépend de la compétence de l’État. »

Des habitants du squat sans perspectives

En théorie, les demandeurs d’asile devraient être hébergés par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Quant aux personnes sans papiers, elles devraient bénéficier l’hébergement d’urgence, compétence de la préfecture. Ce sont aussi les services de l’Etat qui délivrent les titres de séjour et permis de travail.

Leur situation administrative compliquée plonge les habitants de Lafayette dans un grand désespoir et une certaine colère. Mamadou Sherif témoigne :

« Quand ça fait cinq ans que tu es dans un pays, que tu n’as pas le droit de travailler, aucune aide sociale, avec des menaces de quitter le territoire tous les jours, ça casse la tête. J’ai un récépissé, j’ai le droit à un logement et je n’en ai pas »

Rodrigue, Guinéen d’une trentaine d’années, renchérit :

« Il faut une politique pour les immigrés et pour les squats. (…) Ça fait deux ans que ma famille n’a pas de nouvelles parce que je ne sais même pas quoi leur dire si je les appelle. Je ne peux pas les aider. »

« Aujourd’hui, mettre fin à cette expérience sans solution aucune, ça donne l’impression de revenir à la case départ »

Puisqu’elle affiche une politique « hospitalière », dans le sens de l’accueil des migrants et sans-abri, la Métropole de Lyon est devenue un des interlocuteurs privilégiés des militants du droit au logement. Ces derniers attendent beaucoup de la collectivité, et se montrent déçus par l’issue du squat de Lafayette.

Colette, de l’Intersquat, garde espoir :

« Avec les conventions, la Métropole avait fait une ouverture. C’était une reconnaissance que tout le monde avait le droit à avoir un toit sur la tête. Aujourd’hui, mettre fin à cette expérience sans solution aucune, ça donne l’impression de revenir à la case départ. On y croit encore, car la Métropole a fait beaucoup de déclarations par le passé. »

Les militants demandent à la collectivité de mettre à disposition d’autres bâtiments vides de son patrimoine pour loger les habitants du squat de Lafayette, mais aussi tous ceux des squats non conventionnés, menacés d’expulsion dans les semaines à venir.

Du côté de la Métropole, on ne va pas dans cette direction. Renaud Payre tente plutôt de tirer les enseignements de cette tentative de conventionnement :

« À l’avenir il faut repenser le conventionnement. Il faudra avoir un suivi avec une association, avec une équipe mobile et du passage régulier. Le bilan de Lafayette, c’est qu’on a permis 18 mois de mise à l’abri et de répit, ce qui était le minimum mais au-delà de ça je n’ai pas l’impression qu’on ait créé une dynamique auprès des habitants. Ce sujet est tellement complexe, il ne faut pas baisser les bras. »  

Le vice-président espère pouvoir conventionner de nouveaux squats dans les prochains mois. Peut-être y retrouvera-t-on des habitants de Lafayette.

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Photo : PL/Rue89Lyon.

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