Avant d’héberger le musée des Beaux-Arts de Lyon, le Palais Saint-Pierre, cet imposant bâtiment qui borde la place des Terreaux, était une abbaye connue entre autres sous le nom de « monastère des filles de Saint-Pierre ». Son cloître est aujourd’hui un calme jardin au cœur du centre-ville de Lyon mais jusqu’à la Révolution française, il vit défiler des religieuses bénédictines à la réputation sulfureuse.
D’origine noble, ces nonnes firent rapidement parler d’elles à Lyon et jusque dans les plus hautes sphères royales et de l’Église. Au XVe et XVIe siècle, leur train de vie fastueux, plus proche d’une vie mondaine que d’une vie de nonne, fut source de critiques comme de légendes, entre résistance au pouvoir royal et apparitions de fantômes… Petit histoire de ces nonnes rebelles de Lyon.
Des nonnes de Lyon réfractaires à la règle des Bénédictines
Les religieuses de l’abbaye de Saint-Pierre auraient dû obéir à la règle de Saint-Benoît : leur vie devait être organisée en collectivité, autour de repas, de travaux, d’habits et de prières communes, dans l’enceinte du monastère. C’est l’abbesse, élue par les religieuses, qui pouvait choisir les règles à appliquer au sein de son couvent.
À Lyon, l’abbaye de Saint-Pierre était connue pour sa richesse et son pouvoir politique. Le couvent était même exceptionnellement placé sous l’autorité directe du Pape, et non sous l’autorité de l’évêque. Un privilège dont les nonnes usèrent plusieurs fois dans leur histoire pour défendre leurs intérêts.
À l’abbaye de Saint-Pierre, les religieuses étaient issues de familles nobles des alentours, et apportaient leurs richesses avec elles. À tel point qu’elles n’observaient plus les règles de la vie en communauté.
Chacune vivait à part, dans des hôtels ou des petites maisons, voire dans des domaines. À l’étroit entre les murs du couvent, les nonnes sortaient librement, se mêlaient à la foule lors des offices, et recevaient des visiteurs. L’historien Alfred Coville raconte :
« On jasait dans la ville de ces moeurs bien libres pour des religieuses bénédictines, et il en est resté quelques traditions peu flatteuses. (…) L’abbaye de Saint-Pierre vécut jusqu’aux premières années du XVIe siècle. Cette vie était très indépendante, facile, aussi peu monastique que possible. L’esprit du monde y avait largement pénétré et la vieille règle de Saint Benoît n’y était plus qu’un vague souvenir »
Les nonnes de Lyon : du fil à retordre pour les autorités religieuses
Face à ces nonnes peu disciplinées, les autorités religieuses royales voulurent apporter un peu d’ordre et rétablir la règle de Saint-Benoît. Après plusieurs tentatives infructueuses, c’est finalement au tout début du XVIe siècle qu’une réforme imposa aux religieuses une vie plus communautaire et plus austère.
Une réforme entreprise car les abbesses et les religieuses continuaient de vivre dans l’excès et la richesse et étaient très peu présentes à l’abbaye pour y maintenir l’ordre et l’administration. Alfred Coville donne une anecdote :
« Parmi les religieuses, Alice de Theizé (aussi nommée Alix de Thésieux ou Alix de Tézieux dans d’autres sources, ndlr), « belle, dissipée, aussi frivole que le comportait son jeune âge », semblait entraîner toute la folle jeunesse de la maison. »
Le cardinal d’Amboise, conseiller du roi Louis XII, voulut reprendre la main sur le couvent, avec le soutien de la pieuse reine Anne de Bretagne. Une visite de l’abbaye fut alors organisée, pour constater l’ampleur du problème. À la découverte de la couche de poussière qui recouvrait la table du réfectoire, et autres indices dans les dortoirs et bâtiments du couvent, le constat fut sans appel : les religieuses ne vivaient pas en commun, comme elles le devraient.
Le cardinal ainsi que l’archevêque de Lyon, François de Rohan, qui s’était aussi jeté dans la bataille, imposèrent de nouvelles règles. La porte de l’abbesse, qui donnait sur l’extérieur, ne devait plus être ouverte. D’autres portes permettant de sortir furent carrément murées. Quant aux portes principales de l’abbaye, elles furent fermées par un portier entre 18h et 6h du matin. Les religieuses devaient manger en commun en silence, et dormir dans un dortoir, et non plus dans leurs quartiers personnels.
Les nonnes entrèrent en résistance et firent appel au Pape. Mais cette-fois, elles ne réussirent pas à avoir gain de cause. La plupart d’entre elles, dont la frondeuse Alix de Tézieux, refusèrent de se soumettre aux nouvelles règles et quittèrent l’abbaye de Saint-Pierre. De nouvelles bénédictines, aux origines plus modestes, s’installèrent dans le couvent.
Des esprits dans les murs du musée des Beaux-Arts de Lyon ?
Le remue-ménage autour de l’abbaye de Saint-Pierre aurait pu s’arrêter là. Une histoire de fantôme vint de nouveau perturber le couvent quelques années plus tard. Déjà, à l’occasion d’une visite du cardinal et de la reine, une nonne avait relaté la présence d’esprits, qui se manifestaient sous la forme de chiens noirs dans l’infirmerie du cloître. Des esprits que deux religieuses auraient réussi à dompter et à mener à la baguette.
Mais la principale histoire d’esprit frappeur se tint dans le courant du XVIe siècle. Une jeune religieuse confia à l’abbesse que l’esprit de la nonne indisciplinée Alix de Tézieux lui serait apparue. Et voilà que l’esprit se manifesta une seconde fois. La jeune religieuse témoigna avoir reçu des coups sous les pieds. Dans une autre version de la légende, on dit qu’elle reçut aussi un baiser sur la main.
Un grand émoi parcourut l’abbaye et la ville de Lyon, jusqu’aux oreilles de l’évêque, qui se déplaça au couvent. D’après lui, l’esprit demandait a être libéré du purgatoire pour pouvoir rejoindre le paradis. S’en suivit un exorcisme et des prières pour délivrer Alix de Tézieux de ses tourments. L’esprit se serait manifesté une dernière fois en assénant de grands coups en plein réfectoire, signant apparemment sa libération.
Simple légende, ou coup monté pour inciter les religieuses à rester dans le droit chemin ? Visiteurs rassurez-vous, l’esprit d’Alix de Tézieux ne s’est plus jamais manifesté au Palais Saint-Pierre, devenu le Musée des Beaux-Arts de Lyon en 1801.
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