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Hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu à Lyon : « Les patients sont en détresse »

Un rassemblement soignant a été organisé devant l’hôpital psychiatrique Saint Jean de Dieu, à Lyon. Les équipes y ont dénoncé la fermeture de deux services ainsi que la dégradation de leurs conditions de travail.

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Léa Sciuto au centre, infirmière, entourée de son équipe à l'hôpital Saint Jean de Dieu ©LS/Rue89Lyon

À l’hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu, le plan blanc pour manque de personnel dure depuis plus d’un an. À partir de juillet, deux unités seront fermées : un service d’hospitalisation adulte et une unité de géronto-psychiatrie, sans certitude qu’elles soient réouvertes en septembre.

Les soignantes s’alarment des répercussions de cette crise sur les malades et se sont donc rassemblées route de Vienne, ce jeudi, devant l’entrée de l’hôpital. Elles ont pointé du doigt des conditions de travail et de rémunération difficiles, rendant l’embauche de nouveaux personnels particulièrement ardue.

Martine Peudepiece a 67 ans, elle est aide-soignante en IRIS, un service dédié aux thérapies familiales systémiques. Syndiquée à la CGT, elle a effectué toute sa carrière à Saint-Jean-de-Dieu, mais pas toujours en tant qu’aide soignante :

« Mes premières années, j’étais ASH [agent des services hospitaliers], mais je voulais être plus près des patients, c’est vraiment ce qui me plaît dans ce métier. Au début c’était vraiment bien, on avait le temps d’être dans le dialogue avec les équipes, les patients. On voyait moins de scénarios violents. »

Les « scénarios violents » dont parle Martine Peudepiece sont les événements durant lesquels certains malades ne sont plus capables de contenir leur agressivité, blessant parfois les équipes soignantes :

« Ils se sentent seuls, on n’a plus le temps de s’occuper d’eux. Peut-être que si on arrivait à embaucher quelques soignants en plus, ce serait différent. »

« À un an de ma retraite, je touche 1900 euros brut par mois »

Mais pour l’aide soignante, c’est un scénario peu probable tant que la qualité de vie au travail ainsi que la rémunération des personnels d’hôpital ne changent pas :

« On travaille la nuit, les week-ends, dans des conditions d’épuisement permanentes parce qu’on est en sous-effectif et qu’on est très mal payées. À un an de ma retraite, je touche 1900 euros brut par mois. Je ne me sens pas respectée. Pourtant pendant le Covid on nous a dit qu’on était des héros, le gouvernement nous a vite oubliées. »

Martine Peudepiece, aide soignante à l’hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu.Photo : LS/Rue89Lyon

Martine Peudepiece attend sa retraite avec impatience, il lui reste encore un an à travailler, car elle a consacré quelques années à l’éducation de ses enfants :

« J’ai deux filles : l’une est enseignante et l’autre est aide soignante, comme moi. Elle est en gérontologie, c’est dur physiquement, mais elle reste parce que c’est un métier qui a du sens pour elle, comme pour moi. »

Un panneau dénonçant la fermeture de deux services à l’hôpital Saint Jean de Dieu.Photo : LS/Rue89Lyon

Le sentiment de « faire sens », en officiant en tant que soignante est aussi décrit par Léa Sciuto. Âgée de seulement 23 ans, elle est infirmière depuis deux ans, mais a arpenté l’hôpital dès 2016 :

« J’ai passé beaucoup de temps ici. J’ai fait des stages. Mais j’ai aussi travaillé à la cafétéria, au nettoyage, au standard, je connais bien cet hôpital, il y a une super ambiance entre les équipes. »

Pourtant, elle dit oublier souvent le feu qui l’a animée pour cette profession :

« Parfois le rythme est tel que j’oublie pourquoi j’aime mon travail. Et puis on fait une sortie au parc, un karaoké, je prends le temps avec un patient… Et je me rappelle. »

Léa Sciuto décrit des semaines interminables, où les heures supplémentaires s’accumulent :

« Nos heures sup’ ne sont pas payées, il faut qu’on les rattrape en posant un jour ou une après-midi, mais comme on est en manque d’effectifs, c’est quasi impossible. »

À l’hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu, « Les malades sont rongés par l’anxiété des soignantes »

Léa Sciuto insiste sur des petites choses qui incarneraient à ses yeux une main tendue à l’égard des soignantes :

« C’est bête mais dans mon service on aimerait bien des tickets restaurant. Normalement, on a 36 minutes de pause le midi, mais comme on ne doit pas laisser le service sans un minimum de deux infirmières, on a à peine dix minutes chacune. Donc soit tu manges un sandwich à toute vitesse, soit tu vas aux toilettes ou soit tu vas fumer une clope. Ce n’est pas une vie. »

D’après l’infirmière, les semaines les plus difficiles pour les soignantes ont un impact direct sur la santé des patients :

« Ils ressentent tout. Beaucoup sont très seuls, et on est un peu comme leur famille, en tout cas leur entourage quotidien. Voir les équipes anxieuses, débordées, ça les ronge aussi. »

Léa Sciuto au centre, infirmière, entourée de ses collègues de l’hôpital Saint-Jean-de-DieuPhoto : LS/Rue89Lyon

Elle conclut, fataliste :

« Nos conditions de travail sont connues par tout le monde, comment voulez-vous donner envie aux gens de travailler à l’hôpital ? Même moi, je ne suis pas sûre de rester. Si je dois avoir une vie de famille par exemple, il faudra au moins que je change d’hôpital. »

Un fatalisme partagé par Yasmina Ferkous, syndiquée SUD Santé. Elle officie en tant que psychologue petite enfance dans les centres médico-psychologiques (CMP) du territoire qui dépendent de l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu :

« Je me pose parfois la question de quitter mon boulot. »

Cela fait quinze ans que Yasmina Ferkous est psychologue pour cet hôpital psychiatrique :

« J’ai l’impression qu’on ne veut plus de psychologues dans le service public, qu’on veut cantonner le soin a minima. On nous fait entrer dans des logiques de rentabilité et de productivité qui ne collent pas avec notre action. »

« On ne peut plus prendre le temps de soigner à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu »

Yasmina Ferkous se sait utile. Elle illustre :

« On travaille avec des famille à Vénissieux, aux Minguettes, qui n’ont pas la culture du psychologue ; on participe à une action pluridisciplinaire qui complète celle des équipes soignantes. »

Un bilan partagé par son collègue Nicolas Morales qui travaille lui aussi dans les CMP, ainsi qu’en service d’addictologie :

« On prépare un système de santé à deux vitesses, et on offrira le minimum du minimum aux plus précaires. Si on cesse de contenir le mal-être par le soin, on finira par voir nos patients à la télé, avec une kalachnikov. »

Céline Pivetta est déléguée CGT, infirmière à Saint-Jean-de-Dieu depuis vingt ans, en service psychothérapique de crise, qui accueille -comme son nom l’indique-, les patients qui ont vécu une période de détresse. Elle considère que ceux-ci sont renvoyés chez eux de plus en plus prématurément :

« On ne prend plus le temps de soigner. Quand on a un départ de patient, on fait parfois un pari, tant c’est précoce. Il arrive qu’on le revoit deux semaines après dans un état encore plus catastrophique. C’est grave. »

Céline Pivetta poursuit :

« Ça nous rend malade de penser à la détresse des patients qu’on ne peut pas prendre en charge, livrés à eux mêmes. »

« Ça ne dérange pas trop de mal payer les professions féminines »

Parallèlement, elle déclare comprendre que les métiers du soin n’ont plus grand-chose d’enviable :

« Notre convention collective fait démarrer les salaires à 350 euros en dessous du SMIC, ceux-ci n’ont pas été revalorisés depuis 2012, il n’y a pas eu de hausse des primes pour les heures travaillées les nuits week-end depuis 2010… »

De gauche à droite : Sandra Werck, Céline Rouane et Céline Pivetta, infirmières à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu à LyonPhoto : LS/Rue89Lyon

Elle en profite pour tacler :

« Vu que c’est une profession féminine, ça ne dérange pas trop. »

Céline Pivetta insiste, il est urgent d’organiser des états généraux de la psychiatrie afin de favoriser le recrutement et parvenir à faire rester les soignantes expérimentées. Un constat partagé par Sandra Werck, infirmière syndiquée à SUD Santé et officiant en pédopsychiatrie dans les CMP de Vénissieux :

« La pression est de plus en plus importante, c’est insoutenable. On force pour ne pas laisser entrer de patients, et après on force dans l’autre sens pour les faire sortir le plus vite possible. »

Elle considère que la psychiatrie est toujours l’un des parents pauvres de la médecine :

« On ne se poserait pas la question de soigner un enfant qui a du diabète. Pour un enfant qui a des soucis psy, on se la pose. »

Elle poursuit :

« On met tout le mal-être des jeunes sur le dos du Covid. Peut-être qu’il n’y a pas que ça. Peut-être que comme on déserte la psychiatrie publique, on n’a pas pu voir qu’ils avaient des soucis dès l’enfance. »

Pour conclure, elle souligne la baisse des lits et la hausse démographique dans la métropole :

« Je ne parle même pas des médecins. Il y a au moins trois services sans médecins à Saint-Jean-de-Dieu. On envoie des intérimaires parfois, mais ce n’est pas ça qui constitue une équipe solide. »

Rassemblement devant l’hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu, à Lyon ce jeudi 9 juin 2022 pour dénoncer la fermeture estivale de deux services ainsi que la dégradation des conditions de travail.Photo : LS/Rue89Lyon

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