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A l’ouest de Lyon : contre l’élevage industriel, les cochons plein-air d’anciens étudiants d’AgroParisTech

[Reportage] Depuis deux ans, un élevage de cochons 100% plein-air et bio a pris ses marques à l’ouest de Lyon. Anciens agronomes, les deux éleveurs à sa tête ont choisi de sortir de l’élevage industriel. Comme les « déserteurs » de l’école d’AgroParisTech, ces quadras, anciens de cette même école, ont opté pour le vert. 

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Truie

Le ciel est gris et pesant, ce lundi matin de fin mai, à Saint-Julien-sur-Bibost. Dans cette commune à l’ouest de Lyon, l’air est rempli de l’humidité qui précède un orage d’été. Sur les hauteurs des terres d’Arjoux, Benoit Saintoyant est comme tous les paysans du coin : il attend la pluie. « A chaque fois, le ciel se gâte, mais rien ne se passe », râle-t-il. 

A côté de lui, des champs et des bois à perte de vue. Avec son compère, Olivier Munos, l’éleveur travaille sur 24 hectares de parcours « agroforestiers ». De la prairie, des bois, des champs… Les lieux accueillent près de 180 porcs et une vingtaine de truies. La ferme a pris le nom du coin : la ferme Terre d’Arjoux.

Dans cette ferme de l’ouest de Lyon, les cochons disposent de milliers de m2 pour s’épanouir.Photo : PL/Rue89Lyon.

A l’ouest de Lyon : 1000m2 pour un cochon, contre quelques m2 dans l’élevage industriel

Ce jour-là, le paysan est en train d’installer une barrière afin d’assurer la « bio » sécurité des lieux. Dans cet élevage extérieur, il craint la visite potentielle de sangliers. Dans certains pays frontaliers, ils sont soupçonnés d’avoir transmis la peste porcine africaine. Il s’agit d’être vigilant. 

En bas de la ferme, quelques truies se roulent dans la boue. Incapables de transpirer, c’est le seul moyen dont elles disposent pour se rafraichir. Benoit les connaît bien. En tout, les 20 femelles sont chargées de pérenniser l’élevage. Elles ont le même amant : Georges. Le Verrat (mâle reproducteur non castré) se repose dans la stabulation adjacente au corps de ferme. La plupart de leurs petits sont roses. Seuls quelques-uns sont un peu bruns du fait de la présence d’une autre femelle, « Rosette », d’une autre espèce. 

Georges, le verrat, est le mâle reproducteur de cet élevage de cochons à l’ouest de Lyon.Photo : PL/Rue89Lyon.

Il y a quelques années, la stabulation de la ferme accueillait des vaches laitières pour la traite. Depuis 2020, elle sert d’abris aux cochons de cet élevage garanti 100% plein-air. Ici, cinq animaux comptent, en moyenne, 5000 m2 pour se balader. Pour préserver la terre, les éleveurs possèdent deux fois plus de terrain pour permettre un roulement. « Quand une partie est utilisée, une autre doit se reposer », commente Benoit. 

Une vie sans pas comparable avec celle des bêtes élevées dans 95 % des élevages industriels français. Selon l’association L214, une grande partie des truies de ces élevages ne peuvent même pas se retourner durant une partie de leur gestation et la mise à bas. Premier animal dont la viande est consommée en France, avec 24 millions de porcs tués dans les abattoirs chaque année, le cochon est une des bêtes les moins bien traitées

Élevage de cochons à l’ouest de Lyon : « je suis végétarien de la viande industrielle ».

Forcément, en comparaison, la vie des bêtes de Benoit et Olivier paraît bien plus « rose ». Même si elle se termine également en tranche de rosette (le saucisson). Plutôt que les étables, les petits naissent dans des « maternités », des sortes de petites yourtes en métal, préparées pour leurs mères. Au bout de sept jours, ils sont castrés quand leur mère mange. 

« Si on ne les castrait pas, ce serait ingérable, les mâles passeraient leur temps à se battre », justifie Benoit Saintoyant. 

A la sortie d’une « maternité », une truie avec ses petits cochons à l’ouest de Lyon.Photo : PL/Rue89Lyon

Ancien ingénieur agronome, le Jurassien anticipe souvent les arguments des défenseurs du bien-être animal. Ainsi, pour lui, les végétariens se trompent de combat : 

« Pour nous, le végétarisme n’est pas une bonne solution. L’élevage est aussi important pour faire vivre les territoires ». 

L’idée qu’il défend : manger moins de viande, mais mieux.

« Je suis totalement végétarien de la viande industrielle », sourit-il.

A condition d’y mettre le prix. En gros, les éleveurs vendent leur kilo de viande de porc 17 euros, contre 10 euros dans le secteur industriel. « Mais ce n’est pas le même produit », précise-t-il. 

Des cochons deux fois plus vieux que dans un élevage classique

Après la naissance, les cochons passent par plusieurs étapes. Après un mois dans leur « maternité », ils vivent jusqu’à quatre mois dans un « parc de croissance ». Ils rentrent ensuite dans des « parcs d’engraissements », soit des prairies pleines d’arbres où ils sont nourris. 

En moyenne, ils vivent de dix à douze mois. En comparaison, ils sont tués à cinq mois dans un élevage dit classique. Là encore, Benoit Saintoyant ne parle pas (particulièrement) bien-être animal pour expliquer cette différence, mais goût. 

Il sort les graphiques. Quand les éleveurs « classiques » tuent les bêtes au bout de cinq mois, leur raisonnement et le suivant : passé cette date, une bête n’est plus « rentable ».

« Elle grossit moins vite et produit donc moins de viande. Mais on tue un cochon qui n’a pas fini de grandir. Donc, il n’est pas mature et n’a pas de goût, s’agace-t-il. Les lardons, ce n’est pas de la viande. C’est des condiments. » 

Benoit Saintoyant élève ses cochons à l’ouest de Lyon depuis 2020.Photo : PL/Rue89Lyon.

Un circuit local de production de cochons à l’ouest de Lyon

Chaque semaine, les éleveurs envoient deux bêtes à l’abattoir de Saint-Romain-de-Popey, à dix km de là. La ferme vend des porcelets et des porcs « charcutiers ». Dans ces derniers, on compte des carcasses et produits déjà transformés.

Lorsqu’ils ont initié le projet en 2018, Benoit hésitait à se lancer dans la boucherie. Il a trouvé son bonheur grâce à un laboratoire mis à disposition par un agriculteur à Brindas. Là-bas, ils produisent eux-mêmes maintenant leurs pâtés, rillettes, et leurs saucissons. 

Pour le reste, ils privilégient la vente directe de leur cochon avec un marché par semaine à l’ouest de Lyon, ou des emplettes directement à la ferme. Le reste de la production part dans des magasins bio. Plutôt dans la partie « administrative », Olivier travaille pour ouvrir prochainement un magasin de producteurs. 

« Déserteurs » d’AgroParisTech : « On a eu le même cheminement »

Auparavant, Benoit travaillait à l’Agence de l’eau. Olivier, son collègue, qui vit encore à Lyon, était lui consultant pour des projets de développement à l’international. Des métiers finalement loin de leurs aspirations. Alors, à 40 ans, les deux amis ont décidé de changer de types de métier et de cadre de vie. 

Il faut dire qu’ils se connaissent depuis longtemps. Les deux agronomes faisaient parti de la même promo, à l’INAPG (Institut national agronomique Paris-Grignon), il y a une vingtaine d’années. 

Aujourd’hui, l’établissement est connu avec son nouveau nom : AgroParisTech. C’est là, il y a un mois, que des jeunes diplômés ont « fait le buzz » en refusant de travailler dans les métiers de leur filière. Un appel à « déserter » vu près d’un million de fois sur Youtube. Alors, forcément, quand on lui en parle, Benoit comprend très rapidement les étudiants. 

« Leur cheminement, on l’a fait, indique-t-il. Notre projet est issue de cette réflexion. On en avait marre des boulots administratifs ou de bureau qu’on pouvait nous proposer à la sortie des études ».

Comme eux, il évoque les conséquences du réchauffement climatique mais aussi le manque d’intérêts de métiers administratifs. « Je bosse deux fois plus ici, mais ça me convient largement », marque celui qui est venu vivre à côté de la ferme avec ses trois filles. 

Les bêtes vivent en moyenne deux fois plus longtemps que dans un élevage industriel classique.Photo : PL/Rue89Lyon.

A l’ouest de Lyon : des cochons pour recycler les déchets

Pour l’heure, la ferme bio cherche son équilibre. Difficile de savoir si le modèle économique sera pérenne sur le long terme.

« Cela va aussi passer par la mise en place d’une filière de « recyclage », commente-t-il. Si l’on donne plus de restes aux cochons, leur nourriture coutera moins chère. Et ces derniers auront une action plus importante pour éviter le gaspillage. »

Leurs 200 bêtes sont nourries chaque jour via 400 kg d’aliments (en plus des glands et nourritures disponibles dans les champs). Ce dernier est composé de céréales bio. Pour cause de prévention, l’éleveur n’a pas le droit de nourrir ses bêtes avec des aliments « organiques ». Objectif : éviter une quelconque maladie. Un argument qui agace Benoit Saintoyant. 

« On n’a pas le choix, on les nourrit comme des vegans, avec un aliment bio à base de féveroles et de pois, peste-t-il. Dans l’idée, on voudrait tout récupérer auprès des communes du coin. Dans ce cas, il n’y aurait pas les risques de maladies liées à notre système mondialisé. » 

En discussion avec des élus du secteur pour récupérer des restes, il donne pour l’instant à ses bêtes ses propres déchets « bio ». Légumes, pain, œufs, épluchures… Les cochons mangent tout et ont, de ce fait, un intérêt certain pour le recyclage. Un autre de leurs nombreux atouts ? Leur groin leur permet de trouver facilement des sources d’eau. Un autre avantage du plein-air qui leur sera utile, comme à leurs éleveurs, en attendant la pluie.


#Bio

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Photo : PL/rue89Lyon.

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