« Ça vient d’où cette pollution ? De l’air ? Du sol ? De ce qu’on mange ? Je veux savoir comment protéger mes enfants ! »
Il y aurait presque comme un air de déjà vu à la maison des passages, ce mercredi 1er juin. Dans le quartier Saint-Georges (Lyon 5), une vingtaine de personnes sont venues assister à une réunion organisée par l’association Notre Affaire à Tous – connue pour avoir participé à l’Affaire du siècle.
Deux semaines après les révélations sur la pollution en perfluorés qui touchent plusieurs villes du sud de Lyon, ses membres sont venus lancer une action judiciaire contre Arkema et une autre entreprise de la vallée de la chimie : Elkem. Cette dernière, non évoquée dans le documentaire de Vert de Rage, est une entreprise spécialisée dans la production de silicium, de silicone (etc.) installée à Saint-Fons.
Au sud de Lyon : des usines présentant de multiples non conformités au droit de l’environnement
Durant deux ans, des étudiants en droit et des membres de Notre affaire à tous ont épluché près de 400 pages de rapports produits ces cinq dernières années par les services de l’Etat (notamment) sur ces deux usines.
Durant leurs recherches, ils ont établi que l’usine Elkem présentait des problèmes de non-conformités au droit de l’environnement à 50 reprises, contre 66 fois pour Arkema. Des faits particulièrement problématiques, alors que ces deux usines sont situées en zone Seveso.
Pour cette raison, Notre affaire à tous, associé au cabinet d’avocat Kaizen, a déposé un référé contre les pollutions de ces deux entreprises. Son but ? Que le procureur de la République saisisse le juge des libertés et de la détention afin de faire cesser les pollutions liées à ces infractions.
Pollution aux perfluorés au sud de Lyon : un référé pour que le procureur agisse
Pour cela, l’association de juristes s’appuie sur l’article L 216-13 du code de l’environnement. Deux mères de familles, touchées par des pollutions aux perfluorés, et l’association Bien vivre à Pierre-Bénite se sont associées à cette démarche.
« Nous n’avons pas de demandes indemnitaires pour l’instant, mais nous demandons aux usines d’agir, car il y a de graves défaillances dans la gestion de leur activité industrielle », marque Louise Tschanz, avocate pour le cabinet Kaizen.
Les non-conformités relevées sont nombreuses. Côté Elkem, elle note le manque de bacs de rétention pour récupérer des produits dangereux sur certains points de l’usine.
« Ce sont des mesures de base pour retenir d’éventuels écoulements de pollution vers le sol », s’agace-t-elle.
Elle fait également état d’une pollution des nappes souterraines sur 2200 m2, profonde de 2,2 m, qui s’est aggravée ces dix dernières années. Pour ces dernières, elle reprend les demandes d’études formulées par la Dreal (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) pour voir l’impact sur les sédiments alentours. Une dépollution et une remise en état des lieux est demandée. L’entreprise a souvent été sous la menace d’une mise en demeure par la préfecture, sans suite.
À Arkema au sud de Lyon, des question autour des infrastructures et la pollution aux perfluorés
Concernant Arkema, l’association met en avant le danger représenté par les gaz à effet de serre liés aux perfluorés (lire par ailleurs) particulièrement polluants. Mais pas seulement.
« Il est effarant de voir que la Dreal conclue que les infrastructures et équipements de cette usine sont vétustes », s’alarme Louise Tschanz.
Elle demande qu’un audit soit mené sur cette dernière. De même, elle note des manques sur la plateforme qualité, hygiène, sécurité et environnement.
« S’il n’y a pas de gestion des risques de façon globale, on risque la catastrophe ».
Sur ce point, nous avions déjà interrogé Arkema en décembre 2021. Selon la direction de l’entreprise, ces problèmes étaient liés à des réunions non faites durant le confinement. Arkema notait également que des non-conformités sont parfois liées à des décalages liés à la mise en place de nouvelles réglementations. Il assurait que tout était depuis rentré dans l’ordre.
Une action pas contre l’emploi, mais contre les dirigeants
Pas de quoi rassurer les habitants du secteur, peu confiants dans la volonté de l’usine de s’adapter pour protéger leur santé. « Certes, on se doutait que les dirigeants d’entreprises ne nous disaient pas des choses tout à fait vrai. Mais à ce point, quand même… », souffle Thierry Moundir de l’association Bien vivre à Pierre-Bénite.
« On a le sentiment que la préfecture a cédé sur certains points du fait d’un chantage à l’emploi, reprend Marine Denis, porte-parole de Notre affaire à tous. Ce que l’on critique aujourd’hui, c’est ce besoin de contourner le droit de ces entreprises et d’être dans la posture du tricheur. Nous ne ciblons pas les salariés, mais les décideurs. »
Lors de notre enquête en décembre, des syndicats de l’usine avaient refusé de nous répondre sur les question de sécurité entourant l’usine. Preuve que le « chantage à l’emploi » existe bel et bien. Celui-ci empêche, pour l’instant, d’en savoir plus en interne.
« Dans ces cas, il y a une véritable distorsion du droit à la concurrence, analyse Louise Tschanz. Si des entreprises mettent les moyens pour être capables de respecter le droit de l’environnement alors que d’autres ne le font pas, il y a une vraie injustice. »
Pour une autre Vallée de la Chimie, une nécessaire mobilisation dans la métropole
Le recours déposé, le sujet va maintenant être de mobiliser la population. Une association de riverains de Pierre-Bénite nommée « Pour finir, on agit » (PFOA) s’est montée à la suite de diffusion du documentaire de Vert de Rage. A sa tête, Nadra Ben Mohamed Rey a rassemblé une trentaine de personnes autour de cette problématique. Habitante de Pierre-Bénite, cette ancienne Oullinoise craint les conséquences sanitaires du PFOA et d’autres perfluorés.
« Plusieurs enfants à Pierre-Bénite sont touchés par des problèmes de thyroïdes, s’inquiète cette mère de famille. On se demande : est-ce qu’il y a un lien ? »
La mobilisation et les enquêtes sur ce point n’en sont qu’à leur début. Le 15 juin, un débat sur le sujet sera organisé dans le cadre des élections législatives avec des candidats des 5e, 12e et 14e circonscriptions. Pour sensibiliser sur ces questionnements, Notre affaire à tous a réalisé deux guides à destination des citoyens et des élus. Objectif : faire comprendre ces problématiques mais aussi aider à déposer un possible référé au tribunal.
« Il est possible d’avoir des synergies d’acteurs, marque Antoine de Notre affaire à tous. Il faut que nous ayons un dialogue avec les élus de la Métropole sur ce sujet. »
Côté préfecture, des études complémentaires ont été menées à la suite des révélations du documentaire de Vert de Rage (lire par ailleurs). Les résultats devraient être connus dans les prochaines semaines.
Chargement des commentaires…