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Enseignants à Vaulx-en-Velin : « On veut nous mettre en compétition les uns contre les autres »

Près de 80 enseignants en REP+ de Vaulx-en-Velin se sont rassemblés afin de dénoncer l’attribution variable d’une prime « au mérite ».

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Il y avait une petite fanfare de percussions à la mobilisation des enseignants de Vaulx-en-Velin ©LS/Rue89Lyon

Des représentants de toutes les écoles primaires et maternelles de Vaulx-en-Velin ont répondu présents à l’appel de « l’assemblée Générale des personnels enseignants vaudais ». La mobilisation s’est tenue sur la placette aux couleurs bigarrées qui fait face à l’école primaire Angélina Courcelles, à une centaine de mètres du Mas du Taureau.

Sandwichs à la main, pancartes dans l’autre, les professeurs qui travaillent tous dans des réseaux d’éducation prioritaire sont arrivés par petits groupes, ceux de leurs écoles respectives. Malgré la multitude, ils semblaient tous se connaître et se sont salués avec chaleur.

Ils sont venus protester contre la circulaire du 30 juin 2021, instaurant une prime modulable fixée par école par l’éducation nationale pour toutes les REP+. Une circulaire qui aurait presque pu passer inaperçue si les enseignants des différents établissements de la ville n’avaient pas -dans un premier temps- remarqué les quelques centaines d’euros supplémentaires ajoutés à leur salaire de mai, puis décidé de comparer ces « indemnités » entre les différents établissements scolaires du territoire.

Aurélie Schneider, enseignante en grande section à l’école maternelle Grandclément, se rappelle :

« Très vite, les mails ont circulé, on s’est rendu compte que dans des écoles situées à quelques centaines de mètres de nous, les enseignants ont touché 600 euros alors que nous, nous n’avons touché que 200 euros. »

« Aucun enseignant de Vaulx-en-Velin ne compte ses heures »

Une différence conséquente que le texte de la circulaire tente d’expliquer comme suit :

« La part modulable, vise à reconnaître l’engagement professionnel collectif des équipes en établissement et en école ainsi que l’engagement professionnel individuel des inspecteurs de l’éducation nationale chargés du pilotage d’au moins un réseau d’éducation prioritaire renforcé. Cette part s’établira à un montant de 200 € net (234 € brut), 360 € net (421 € brut) ou 600 € net (702 € brut) sur la base des objectifs précisés ci-après. »

La circulaire explique que la répartition des « indemnités » aurait été réalisée en suivant une exigence de quotas : 25% des enseignants de REP+ ont reçu 600 euros, 50% ont reçu 360 et encore 25% 200 euros.

Aurélie Schneider donne une traduction personnelle de ce texte :

« C’est une prime au mérite qui a déjà choisi combien il devrait y avoir de bons, de moyens et de mauvais élèves. On nous demande d’entrer dans les logiques de mise en concurrence violente des uns avec les autres, alors que notre boulot c’est d’essayer d’apprendre le contraire aux enfants. »

Aurélie Schneider, enseignante en grande section à l’école maternelle Grandclément à Vaulx-en-Velin.Photo : LS/Rue89Lyon

Aurélie Schneider déclare ressentir de la rancœur face à l’inégalité de cette prime dont les critères d’attribution en primaire restent très flous :

« On nous a dit que si les professeurs de l’école participait à des stages de remise à niveau pour les élèves pendant les vacances, on serait mieux « classé » pour la prime. Ce qui est dérangeant c’est que les enseignants qui font ça, ils sont déjà payés en supplément. »

L’enseignante martèle l’arbitraire de l’attribution et le caractère absurde de ces primes différenciées :

« Tous les professeurs de Vaulx-en-Velin sont passionnés par leur boulot et ne comptent pas leurs heures. On a choisi la REP+ pour se sentir utiles en tant qu’enseignants, pas pour être mis en concurrence les uns avec les autres. »

« C’est terrible d’essayer de désigner des mauvais élèves parmi les REP+ »

L’année dernière, l’enseignante travaillait déjà en REP+ à Villeurbanne et ne souhaite en aucun cas quitter l’éducation prioritaire :

« J’ai enseigné dans le centre de Lyon : à cinq ans les enfants sont déjà blasés. A Vaulx-en-Velin, on passe notre temps à ouvrir des portes pour émerveiller les enfants, à innover, à travailler ensemble, c’est très stimulant, on fait ce travail pour tout sauf pour l’argent. »

Il y avait une petite fanfare de percussions à la mobilisation des enseignants de Vaulx-en-VelinPhoto : LS/Rue89Lyon

Isabelle Gehin, professeur en classe de CE1 à l’école primaire du Vallon depuis 15 ans, partage le même ressenti :

« Le travail en REP+ est un travail en équipe avec les éducatrices, les familles, la communauté éducative, qui continue bien après la fin de la classe. Ça nous tient à cœur de le réaliser, on apprend énormément de choses tous les jours, avec nos élèves. »

Ce qui a heurté Isabelle Gehin, c’est le message véhiculé par cette prime variable :

« Notre école a reçu environ 200 euros par enseignant, d’autres 600. Toutes les écoles de Vaulx-en-Velin participent à des projets éducatifs. C’est terrible d’essayer de rendre des écoles plus attractives que d’autres, de désigner des mauvais élèves. »

L’enseignante n’a même pas reçu les 200 euros, elle déclare n’en avoir reçu que 72 :

« Je suis à temps partiel, et j’ai eu quelques jours d’absence pour enfant malade. Je ne sais pas si c’est ça qui a fait que j’ai touché moins. C’est obscur. »

Les enseignants de Vaulx-en-Velin dénoncent l’absence de prime pour les AESH

Benjamin Grandener est syndiqué au SNUIPP FSU et directeur de l’école Langevin à Vaulx-en-Velin.Photo : LS/Rue89Lyon

Pourtant, ce qui la chagrine le plus n’est pas sa maigre prime, mais plutôt l’absence totale d’indemnisation pour les AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap) :

« Elles sont plus précaires, font un travail éreintant, et elles n’ont même pas été évoquées dans cette circulaire consacrée aux REP+. Pourtant elles sont là. »

Benjamin Grandener, syndiqué au SNUIPP-FSU, est le directeur de l’école Langevin à Vaulx-en-Velin depuis 13 ans. Il s’annonce lui aussi consterné par cette décision d’indemnisation différenciée :

« Jean-Michel Blanquer [ancien ministre de l’éducation nationale, ndlr] est très fort. Il est arrivé à se faire détester tout en donnant de l’argent. »

L’enseignant qui a toujours officié à Vaulx-en-Velin balaye l’assemblée du regard :

« Le gouvernement avait mis en place le projet « Cités Educatives » en 2019, visant à faire travailler tous les acteurs de l’éducation d’un quartier prioritaire ensemble. A Vaulx-en-Velin, on ne les a pas attendus pour le faire. Il n’y a qu’à voir le rassemblement d’aujourd’hui : non seulement on travaille ensemble, mais on lutte aussi ensemble. »

« On doit chercher à aider les enfants, pas à courir derrière des primes »

Et de tâcler :

« En revanche, je ne suis pas sûr que nous mettre en concurrence pour des primes aille dans le sens de la collaboration. On doit chercher à aider les enfants, pas à courir pour obtenir des primes. »

Le directeur aborde avec beaucoup de fierté son établissement qui n’a pourtant pas fait partie de la catégorie des « bons élèves » de l’indemnisation :

« On n’a touché que 200 euros par enseignant. J’ai demandé à l’inspectrice pourquoi, car on a eu six inspections durant les deux derniers mois desquelles elle est sortie ravie. Elle m’a dit qu’elle ne savait pas. »

Mathias Aitali est syndiqué à la CNT et professeur d’histoire géographie au collège Henri Barbusse à Vaulx-en-Velin. Il a d’ailleurs fait ses débuts dans ce même établissement il y a plus de vingt ans, en tant que surveillant :

« Je n’ai pas choisi d’être professeur, j’ai surtout choisi le collège Henri Barbusse, et Vaulx-en-Velin. »

A gauche, Mathias Aitali, syndiqué à la CNT et professeur d’histoire géographie au collège Henri Barbusse à Vaulx-en-Velin, à droite, Benjamin Grandener, syndiqué au SNUIPP FSU et directeur de l’école Langevin à Vaulx-en-Velin.Photo : LS/Rue89Lyon

Des enseignants à Vaulx-en-Velin font une cagnotte pour les AESH

Mathias Aitali a touché les 600 euros de prime de l’éducation nationale. Pour lui, le diagnostic est très simple ; il a reçu cette somme car le collège participe à des programmes nationaux proposés aux REP+ :

« On participe au dispositif  »école ouverte »,  »les cordées de la réussite »,  »le soutien à la parentalité ». On coche les bonnes cases, en tout cas les plus connues. »

Il poursuit :

« Par contre je ne comprends vraiment pas comment ils ont pu départager les écoles primaires, où il y a beaucoup moins de programmes nationaux. L’école primaire Makarenko a touché les 600 euros par exemple, mais je ne vois pas de différence entre cette école et d’autres du territoire. Les enseignants de cet établissement sont du même avis d’ailleurs. »

Comme la majorité des présents ce jour-là, Mathias Aitali ne comprend pas non plus que certains contractuels ainsi que la totalité des assistants d’éducation et des AESH n’aient même pas été envisagés pour bénéficier de la prime.

Au collège Henri Barbusse, ils ont décidé de réparer d’une certaine manière et de leur poche ce qu’ils considèrent être une injustice :

« On est en train de monter une cagnotte Leetchi, sur laquelle on va tous mettre une partie de notre prime, et on va la distribuer aux AESH du collège. »


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