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L’entrée est discrète, perdue en bas de tours hautes de plusieurs dizaines d’étages dans le quartier des Minguettes.
Au 25 boulevard Lénine, quelques bénévoles se pressent devant l’entrée de ce qui ressemble à un petit local de staockage. Opération du jour : faire entrer un nouveau frigo dans « l’épicerie sociale ». « Allez, les gars on se bouge ! », pousse un bénévole. Volumineux, l’objet a du mal à passer la porte. L’équipe met bien une vingtaine de minutes à faire entrer ce don un peu trop encombrant. Ça rouspète, ça grimace… Mais le frigo finit par entrer.
« Tu l’as compris, c’est un peu la débrouille. Mais à force, on s’en sort bien », sourit Abdelghani Skandrani, président de l’association Vénissieux Solidarité culturelle (VSC) et référent de l’épicerie sociale et solidaire « En faim ».
Depuis 2012, celui que ses amis surnomment « Ghani » chapeaute le fonctionnement d’une boutique de 100 m2. Trois matins par semaine, il embarque un bénévole avec lui pour faire le tour des magasins (Carrefour, Casino, Market Rize, etc.) et récupérer les invendus de la journée. Après une boucle de 40 kilomètres, il remplit les étals du magasin. Il peut compter pour ça sur l’aide d’une vingtaine de bénévoles réguliers.
« Vous arrivez trop tard, c’est tout en désordre maintenant », peste Sandrine en nous voyant entrer. Ancienne bénéficiaire, elle vivait encore aux Minguettes quand un ami lui a conseillé de venir ici. Depuis, elle est devenue bénévole, attachée à la bonne ambiance qui règne dans l’équipe.
Solidarité aux Minguettes : quel prix pour s’autofinancer ?
Comme elle, ils sont entre 50 et 60 à venir faire leurs emplettes tous les mardis et jeudis, à prix cassé. « Je ne viens presque qu’ici », note-t-elle. Une source d’économie énorme pour elle, qui subit chaque jour des prix « allant de pire en pire ». Or, à l’épicerie social, chaque élément est « vendu » à 20% du prix initial.
« On trouve de tout, note-t-elle. Des bonbons pour les enfants, des couches, du lait pour bébé… C’est vraiment complet. »
A la base, les prix étaient affichés sur les produits. A force, tout le monde les connaît. Dans le pire des cas, les bénévoles aident les habitués à s’y retrouver.
En témoignent les quelques pièces rouge et jaunes traînants sur le comptoir, l’association ne fait pas fortune. La somme récoltée sert à payer les charges (plusieurs frigos fonctionnent en permanence) et à mettre de l’essence dans le camion. Les lieux sont laissés à titre gracieux par le bailleur social. « Le but est de réussir à s’autofinancer, commente Ghani. Après, il y a certains produits que l’on ne trouve pas en récupération et que j’achète aussi. »
L’association bénéficie de quelques aides de la Région.
Autant dire que le projet n’est pas de faire des bénéfices.
« L’idée nous est venue en faisant des maraudes place Carnot [Lyon 2e] pour aider des personnes dans le besoin, explique Ghani. On s’est rendu compte qu’il y avait beaucoup de personnes qui venaient de Vénissieux. D’où finalement cette question : pourquoi ne pas le faire là ? »
Aux Minguettes, solidarité et écologie iraient de pair ?
Passé le décor, semblable, à une épicerie, le fonctionnement est très différent. Dans ce quartier prioritaire de la ville, il n’y a pas de « clients », mais des « usagers. » D’ailleurs, les produits ne sont pas « vendus » mais « proposés », selon les termes des bénévoles.
Via des pièces justificatives (quittance de loyer, EDF, etc.), les personnes ayant ce type de « besoins » peuvent bénéficier des produits de l’épicerie.
« Mais généralement, elles en ont vraiment besoin », constate sobrement Radia, la trésorière de l’association. Les habitués viennent en majorité des Minguettes et de Vénissieux. Certains font la route du 8e arrondissement de Lyon, de Feyzin ou de Saint-Fons.
En tout, 150 familles bénéficient du travail des bénévoles. Souvent originaires des Minguettes, ces derniers ont, pour beaucoup, quitté le quartier. Ils reviennent pour donner un coup de main. « J’aime bien rendre service, je dors mieux en rentrant le soir », sourit Carlos, l’un d’eux.
Écologie aux Minguettes : 40 tonnes de marchandises sauvées chaque année
Sur la colline surplombant Lyon, l’intérêt « écologique » de l’initiative semble arriver après sa dimension sociale. « Il y a vraiment des prix intéressants », commente une passante. N’empêche, la démarche « anti-gaspi » est bien là. Chaque année, les tournées de Ghani et de sa bande permettent de récupérer 40 tonnes d’invendus. Comme l’association Agir à Bron, les éco-charlies à Lyon, ou encore la récup faite pour le Marché Rouge à la Guillotière, ils participent à tenter de sauver les 10 millions de tonnes de nourriture finissant à la poubelle chaque année.
Une fois la vente faite, les produits trop avancés dans les dates de péremption sont récupérés par des particuliers en camion. Ces derniers les redistribuent gratuitement le lendemain matin, à 8 h du matin, au Golf, à Oullins.
« L’idée est simple : revaloriser et ne rien jeter », résume Abdelghani Skandrani. Une aide précieuse pour ce quartier souffrant d’un taux de pauvreté important. Et une manière, ici, de faire résonner ensemble les expressions « fin du monde » et « fin du mois ».
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