Au service de gynécologie-obstétrique de la Croix-Rousse, Céline attend, impatiente, et un peu inquiète. Elle vient du Bugey et a fait plus d’une heure de route pour venir consulter dans un service des Hospices Civils de Lyon (HCL), qui s’occupe des règles abondantes, le tout premier en France.
Depuis des années, la quarantenaire subit son flux, trop important, qui l’a toujours encombrée et qui empire avec le temps.
« Ça devient compliqué depuis un an d’aller travailler. J’ai 30 à 45 minutes de trajet et, en arrivant, j’ai à peine le temps d’aller aux toilettes que je suis déjà pleine de sang. Je ne bouge plus de chez moi lorsque j’ai mes règles. Je suis même obligée de mettre des couches la nuit ».
C’est son compagnon qui lui a parlé de ce service, après en avoir entendu parler à la radio. Elle a alors pris rendez-vous avec son gynécologue, pour qu’il l’adresse vers le CHU de la Croix-Rousse. Mais Céline a vite déchanté : « Il ne croyait pas à ce service et n’a pas donné suite ».
C’est finalement son médecin traitant qui lui écrira une lettre pour qu’elle puisse avoir une consultation au sein du service dédié aux règles abondantes.
Obtenir un diagnostic et un traitement contre les règles abondantes
« Les professionnels ne sont pas sensibilisés à la question des règles abondantes. Même les femmes se disent que c’est normal d’avoir des hémorragies », explique la gynécologue Dr. Giulia Gouy.
Sur une idée de l’hématologue Lucia Rugeri, qui l’a embarquée dans son projet, elle a monté ce service en décembre 2021. Leur objectif est d’aider les femmes à se faire diagnostiquer et à trouver un traitement pour ce problème encore méconnu et peu visible.
Depuis, les deux spécialistes, accompagnées de Delphine Mestre, secrétaire médicale, reçoivent tous les vendredis une vingtaine de femmes. Chacune passe trois heures dans l’hôpital et a le droit à un bilan sanguin, une consultation gynécologique avec une échographie et un examen, puis une consultation avec l’hématologue.
Lucia Rugeri raconte la genèse du projet :
« Dans mon exercice précédent, j’étais spécialiste en patients qui ont des troubles de la coagulation. Je recevais des femmes [avec des règles abondantes, ndlr]. J’ai pensé que ce serait bien qu’elles aient la possibilité de consulter au sein d’un service multidisciplinaire, avec la possibilité d’avoir tout de suite un diagnostic. »
Elle explique qu’elle a eu un déclic après un contact avec l’association Règles Élémentaires qui l’a « sensibilisée à la précarité menstruelle ». Elle veut maintenant rendre visible la problématique des règles abondantes, comme l’a été celle de l’endométriose, qui est de plus en plus médiatisée et prise en considération.
« J’ai probablement une démarche un peu féministe, même si j’ai un peu de mal à le dire », s’amuse Lucia Rugeri.
« J’avais l’impression d’être la seule au monde à avoir des règles comme ça »
De l’adolescente à la femme presque ménopausée, les profils reçus au CHU sont très divers. Certaines sont très informées et ont beaucoup lu sur internet, d’autres sont en errance de diagnostic depuis des années. Pendant très longtemps, Céline n’a pas été écoutée par les médecins.
« Il me disait tellement que c’était normal, que je ne me posais plus la question. J’en ai aussi discuté avec beaucoup de collègues, amies et j’avais l’impression d’être la seule au monde à avoir des règles comme ça. »
Quelques sièges plus loin, Hayat, 48 ans, attend accompagnée de sa fille. Elle aussi a attendu très longtemps avant d’être correctement orientée pour prendre en charge ses règles abondantes. Elle raconte deux épisodes marquants :
« Depuis longtemps, mes règles viennent fort. Il y a trois ans, j’ai eu mes règles pendant deux-trois mois, tout le temps. Je suis allée à l’hôpital, j’ai fait une radio, des prises de sang et on m’a dit que je n’avais rien. Il n’y a pas longtemps, j’ai fait une hémorragie, je suis tombée et je suis allée à l’hôpital. Après ça mon docteur m’a envoyée ici. »
Venue du 8e arrondissement, elle espère que le service l’aidera pour que les règles « s’arrêtent et redeviennent normales ». Car, pour ces femmes, les règles abondantes peuvent avoir des conséquences médicales, comme l’anémie (manque de fer), mais aussi professionnelles et sociales, avec des difficultés à se rendre au travail et à l’école.
Une prise en charge attentive et multidisciplinaire
Pour prendre en charge ces femmes, la gynécologue Giulia Gouy commence avec un peu de pédagogie, munie d’un petit fascicule qui détaille un utérus :
« Je leur explique leur anatomie, puis je fais un focus sur l’endomètre et les règles, car certaines femmes ne savent pas vraiment ce que sont les règles. À la fin, on leur donne des fiches récapitulatives car parfois ça fait beaucoup d’informations d’un coup. »
Puis la médecin propose plusieurs traitements à tester, selon les cas, symptomatiques, hormonaux ou chirurgicaux. Lucia Rugeri complète :
« L’objectif n’est pas de se substituer à leur gynécologue. La conclusion de la consultation, c’est qu’on tente un traitement : ça peut ne peut pas marcher, donc on leur dit qu’elles ne doivent pas hésiter à revenir dans trois ou six mois. »
L’obtention d’un diagnostic et d’un traitement est souvent vécue comme un soulagement par ces femmes, qui peuvent mettre des mots sur ce qui leur arrive. Delphine Mestre, la secrétaire médicale, est la première à entrer en contact avec ces femmes, avant leur consultation, et la dernière à les raccompagner.
Elle décrit son rapport aux patientes :
« Quand je les appelle pour prendre rendez-vous, elles sont souvent enthousiastes. À l’hôpital, quand elles voient qu’on s’intéresse à elles et qu’elles repartent avec un traitement elles sont contentes. C’est agréable de voir des patientes être prises en charge et nous remercier. »
Partager cette expérience sur les règles abondantes hors de l’hôpital
Les deux médecins et la secrétaire ont mis un peu de temps avant de faire tourner le service à bon rythme, et à s’adapter à ce nouveau fonctionnement.
« Là, au bout de six mois, on est juste à l’aise », avoue Giulia Gouy. La gynécologue et l’hématologue espèrent maintenant aller plus loin, et améliorer la prise en charge des règles abondantes au-delà de leur hôpital.
Lucia Rugeri souhaiterait créer un « annuaire » et un « réseau » de professionnels de santé sensibilisés à la question, régional d’abord. Elle voudrait aussi partager son savoir tiré de l’expérience de ce nouveau service :
« On envisage de faire un outil internet pour proposer des formations. L’idée c’est de promouvoir et de former nos collègues à cette problématique-là. »
Dans un futur plus lointain, l’hématologue aimerait contribuer à l’élaboration de données autour de ce phénomène, peu étudié, pour encore améliorer sa prise en charge. Car aujourd’hui, l’initiative de l’hôpital de la Croix-Rousse n’est qu’une première pierre. Il reste impossible de savoir combien de femmes pourraient être touchées et avoir besoin de soins.
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