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Clowns en Ehpad à Lyon : « C’est grisant d’arriver à faire rire les résidents »

Emmanuelle et Anne sont respectivement Bertille et Josiane, deux clowns qui vont à la rencontre des résidents dans les Ehpad de Lyon et ses environs.

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A l'Ehpad, les clowns tentent de divertir tous les résidents. ©LS/Rue89Lyo

Des clowns dans un Ehpad près de Lyon, cela peut détonner. Pourtant, les établissements pour personnes âgées sont particulièrement demandeurs auprès de Vivre aux Eclats, l’association lyonnaise des clowns hospitaliers. Le Manoir, un Ehpad situé à quelques encablures de la Saône, au sud de Caluire-et-Cuire, accueille des clowns depuis deux ans, à raison de deux fois par mois.

Ce vendredi 22 avril après-midi, c’est Emmanuelle et Anne qui se rendent à cet Ehpad du nord de Lyon.

Elles sont des comédiennes chevronnées de l’association. Emmanuelle a 48 ans. Originaire de Lozère, elle est clown pour Vivre aux Eclats depuis 20 ans. Parallèlement, elle est comédienne pour la Compagnie Belle&Fou. Anne a rejoint l’association Vivre aux Eclats il y a 12 ans. Âgée de 45 ans, la comédienne originaire du nord de la France joue aussi pour la Compagnie Belle&Fou ainsi que la Compagnie Théâtre du Grabuge.

De plus, Anne est connu à Lyon pour des DJ sets endiablés : elle mixe en tant que « DJ Connasse ».

Les deux intermittentes du spectacle n’en sont donc pas à leur premier Ehpad. Il n’empêche qu’elles semblent impatientes d’entrer dans leurs personnages et de parcourir les trois étages de l’établissement. Anne explique :

« C’est encore plus grisant d’arriver à faire rire en Ehpad »

Son binôme du jour, Emmanuelle, appuie :

« L’instant présent est un terrain de jeu très intéressant en Ehpad, pour faire de l’improvisation. Le cœur de nos interventions c’est de déclencher une émotion. Même un refus est positif. Dire oui, dire non, c’est être vivant. »

A l’Ehpad, les clowns Bertille et Josiane n’ont pas besoin de public pour s’amuser.Photo : LS/Rue89Lyon

A Lyon, des clowns qui cassent les codes à l’Ehpad

Le gros nez rouge est de mise pour les clowns de Vivre aux Eclats, mais pas nécessairement de chaussures trop grandes, de nœuds papillons ou encore de tartes à la crème. C’est « du clown 2.0 » que proposent les comédiens et comédiennes de l’association : des personnages bâtis par chaque comédien avec son expérience, ses qualités, dans un rapport intime avec lui-même.

Emmanuelle ajoute :

« On utilise aussi des outils musicaux, comme des textes, des poésies, ou encore des chansons. On ne cherche pas forcément à faire le gag, mais plutôt à déverrouiller des émotions. »

Et pour « déverrouiller des émotions », le mieux est de connaître un peu son public. Les clowns commencent donc toute prestation par une réunion avec l’équipe soignante.

L’ambiance est studieuse dans la salle de pause de l’Ehpad. Huit soignantes (aides soignantes, aides médico-psychologiques et infirmières) échangent avec la psychologue de la structure. A côté d’elle, les deux comédiennes prennent des notes. L’assemblée passe en revue les habitants de la structure :

« C’est l’anniversaire de madame Réchatin, elle va avoir 100 ans bientôt. Ce serait bien d’aller la voir. »

« On va lui chanter Joyeux Noël, on n’oubliera pas ! » ironise Anne, l’une des deux clowns.

L’équipe s’interroge au sujet de chaque résident : lesquels seraient (ou ne seraient pas) susceptibles d’être réceptifs à la venue des deux clowns. La psychologue reprend :

« Madame Chenonceau, au premier, est très souvent dans une bulle. Je ne sais pas si elle apprécie la fantaisie, mais elle appréciera la relation, pour sûr. »

Une aide-soignante d’ajouter :

« Sa voisine est très rigolote, elle adore quand il se passe des choses, elle va vraiment être contente de vous voir. »

Même les cas de covid ne sont pas oubliés :

« Au rez-de-chaussée, il y a monsieur Albert, il a le covid. Ce serait chouette si vous venez lui faire coucou par l’encadrement de sa porte, pour le sortir un peu de son isolement. »

Aux clowns de l’Ehpad près de Lyon : « Vous allez chanter ? »

Aussitôt la réunion finie, les deux femmes s’isolent et amorcent leur métamorphose : Emmanuelle devient Bertille, un bonnet d’aviateur vissé sur la tête, jupons en tulle et corset serré, la silhouette svelte et la gestuelle juvénile qui invite au rêve. Contrastant très nettement, Anne devient Josiane : perruque peroxydée, tailleur vert pomme et maquillage outrancier, elle s’agrippe à son micro rose bonbon qui ne semble pourtant fonctionner qu’une fois sur deux.

Bertille, l’une des clowns à l’Ehpad.Photo : LS/Rue89Lyon

Les caractères respectifs des deux clowns entrent en résonance avec leurs apparences : Bertille joue la femme-enfant candide mais aussi très zélée, et susceptible. Josiane zozotte ; bourrue mais attachante, elle n’a aucun tact et ne manque jamais de mettre les pieds dans le plat.

Une fois habillées, pas de « off » pour les deux clowns, qui ne répondent plus qu’aux noms de Bertille et de Josiane, partant à l’assaut des chambres des résidents comme on partirait en croisade, d’un pas décidé, sans se poser de questions et en hurlant.

Elles ne quitteront jamais leurs rôles, qui détonnent avec le calme de l’Ehpad. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elles se contentent de « faire le spectacle ». Au contraire, elles tentent, avec la maladresse touchante de leurs personnages, d’entrer en relation avec les habitants et habitantes de l’Ehpad.

Certains ont besoin de parler, de montrer les photos de leur famille, tandis que d’autres vont accepter avec beaucoup de plaisir un câlin, qu’on les aide à marcher dans les couloirs, ou qu’on leur récite une poésie. Les clowns se plient à toutes leurs demandes, non sans facétie évidemment.

Pour certaines qui se souviennent très bien du dernier passage de l’association, comme Renée, habitante du deuxième étage, les clowns sont attendus de pied ferme. Elle a entendu les amuseuses faire leur tintamarre dans le couloir. Elle guette leur venue, assise droite comme un i sur le fauteuil de sa chambre, un grand sourire aux lèvres. A peine les clowns entrées, Renée demande, presque autoritaire :

« Vous allez chanter ? »

Et voilà Josiane qui, théâtralement, appuie sur le bouton de son micro rose criard. Puis, elle se lance, tonitruante, sur un air de Dalida :

« C’était le temps des fleurs, on ignorait la peur
Les lendemains avaient un goût de miel, ton bras prenait mon bras
Ta voix suivait ma voix, on était jeune et l’on croyait au ciel. »

Bertille se joint à la chorale tandis que Renée agite les mains, en cheffe d’orchestre. Elle ne cesse de rire devant les deux farceuses qui se balancent d’un pied sur l’autre.

« La fantaisie rouvre le champs des possibles pour les résidents réceptifs »

La porte est ouverte sur la chambre de Renée. Raymonde, une voisine visitée quelques minutes auparavant, observe le concert par l’entrebâillement, rapidement rejointe par une autre résidente, attirée par le raffut. Appuyée sur son déambulateur, sourcils froncés, elle semble stupéfaite de voir les deux clowns occuper tout l’espace, de leurs voix, de leurs corps. C’est qu’entre-temps, Bertille a entrepris de tourner sur elle-même comme une toupie, révélant les multiples jupons en tulle de son costume.

Josiane chante tandis que Bertille fait virevolter sa jupe en tulle à l’Ehpad.Photo : LS/Rue89Lyon

La résidente en déambulateur tourne un visage alarmé en direction d’une kinésithérapeute à l’autre bout du couloir, qui ne semble pas s’inquiéter, souriante. De même qu’une infirmière passant avec son chariot dans le couloir, dodelinant de la tête au rythme de la chanson de Dalida. Rassurée, celle-ci reprend donc sa lente flânerie dans le couloir, cette fois-ci le regard un brin amusé.

D’autres habitants passent et repassent devant la chambre de Renée, timidement, sans oser s’arrêter.

A la fin de la chanson, Renée applaudit le duo à s’en rompre les doigts. Josiane déclare benoîtement :

« C’est normal qu’c’était bien, j’suis la cousine éloignée de Dalida. »

Et Renée vanne :

« Très très éloignée hein ! »

Et les deux clowns reprennent leur déambulation, échangeant des conversations, alternant toujours entre tendresse et absurdité avec les résidents. Devant une porte du troisième étage, Bertille demande naïvement :

« Marie-Thérèse, on peut entrer ? »

« Non, je dors », s’élève une voix faiblarde de la chambre.

« Tu n’dors pas trop, puisque tu parles ! » s’exclame Bertille.

« Mais non, mais ce n’est pas moi. »

« Ah bon, ce n’est pas Marie-Thérèse ? »

Silence.

« Bon, si vous la voyez, vous direz à Marie-Thérèse que Bertille et Josiane sont passées. »

Et la voix, hilare, de répondre :

« Promis, je n’y manquerai pas. »

Dalida, Yves Montand : les clowns connaissent leurs classiques

Dans une chambre au fond du premier étage, Michelle est assoupie, veillée par son fils. La mine soucieuse, il se tient enfoncé dans le fauteuil qui fait face au lit de sa mère. Il a salué les clowns de loin une heure auparavant, mais ne semble pas se douter qu’elles sont sur le point de faire irruption dans la chambre de sa mère.

Les clowns de l’Ehpad tentent de divertir les résidents.Photo : LS/Rue89Lyon

Les deux clowns toquent à la porte avant de passer leurs deux têtes, l’une au-dessus de l’autre :

« Michelle, vous êtes là ? »

Les deux amuseuses tombent nez-à-nez avec le fils qui reste quelques secondes pantois. Il affiche un rictus amusé et passe d’une clown à l’autre, les yeux méfiants.

« Comment tu t’appelles ? », s’enquiert Josiane.

Il répond, dubitatif :

« Philippe. »

« Bonjour Philippe ! » s’égosillent les clowns.

Il marque une pause avant d’ajouter, les yeux rivés sur sa mère :

« Elle dort. »

Bertille passe devant Philippe et se dirige d’un pas décidé vers le lit de la résidente :

« C’est vrai ça, Michelle, vous dormez ? »

Philippe observe la scène l’air un peu ahuri, toujours vissé sur son fauteuil. La résidente ouvre péniblement les yeux sur les deux clowns qui encadrent désormais son lit. Josiane demande, candide :

« Vous voulez qu’on chante une chanson pour vous réveiller ? »

Clowns à l’Ehpad : des résidents demandent du rab

Sans attendre la réponse, elle entonne dans son micro :

« Trois petites notes de musique ont plié boutique,
Au creux du souvenir, c’en est fini de leur tapage,
Elles tournent la page, et vont s’endormir. »

Bertille lui emboîte le pas sans tarder, et voilà qu’une troisième voix, plus ténue, s’élève du lit et se joint à la chorale, célébrant à son tour l’hymne nostalgique d’Yves Montant. Le fils se détend aussitôt, son visage se fend d’un sourire alors que la voix de sa mère résonne de plus en plus fort dans la petite chambre.

Un moment suspendu suit l’achèvement de la chanson, brisé par Bertille qui s’exclame :

« Ah ben dis-donc Michelle, vous la connaissez drôlement bien la chanson. » Elle se tourne vers Josiane : « Elle chante beaucoup mieux que toi Michelle ! »

Josiane s’insurge :

« C’est pas vrai d’abord, je suis la fille cachée de Dalida, je chante très bien, pas vrai Philippe ? »

Le fils rit de bon cœur alors que les deux clowns chamailleuses se dirigent vers la porte et disparaissent.

« Mais on vous a déjà vue, Renée ! Vous êtes une blagueuse »

Tous les échanges ne sont pas aussi tendres, certains résidents s’agacent des bêtises des deux clowns mais celles-ci ne se démontent pas : elles tentent d’offrir les fleurs qui décorent les couloirs de l’Ehpad à plusieurs soignantes, s’inventent de nouvelles relations filiales -cette fois-ci avec le Pape-, demandent des conseils de style ou de séduction à chaque résident qu’elles croisent, ou récitent du Racine et du Baudelaire à d’autres, assoupis et qui n’ont rien demandé.

Au bout de deux heures, les clowns ont fait le tour des trois étages de l’Ehpad. Après avoir subtilisé des verres de limonade au goûter des résidentes qui viennent de finir de jardiner, elles se dirigent vers la pièce qui leur sert de loge. La psychologue de l’Ehpad les intercepte :

« Vous avez oubliez une résidente ! »

Les clowns de l’Ehpad Bertille et Josiane font déambuler Raymonde.Photo : LS/Rue89Lyon

Alarmées, les clowns se dépêchent de monter au troisième étage pour aller à la rencontre de la déçue et tombent… sur Renée, l’une des premières rencontrées, un sourire facétieux sur les lèvres. Josiane s’exclame :

« Mais on vous a déjà vue, Renée ! Vous êtes une blagueuse, vous ! »

Et Renée, affichant d’abord une mine faussement gênée, finit par éclater de rire.


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