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Au nord de Lyon, le cannabis CBD et les vaches cohabitent dans les champs

Chez Thomas Muzelle, dans le Beaujolais, le cannabis CBD s’échange en circuit court. Un moyen de diversifier son activité agricole.

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Plants CBD Beaujolais

Sur les contreforts des monts du Beaujolais, au nord de Lyon, les paysages dépeignent l’héritage de décennies d’élevage bovin… mais encore de plantations de cannabis CBD.

La famille Muzelle a choisi les hauteurs de Montagny, commune à la frontière des départements Loire et Rhône pour s’y installer. C’était il y a plus de 80 ans. Aujourd’hui encore, Thomas Muzelle, le petit-fils, peut apercevoir depuis la cour ses 70 charolaises se répartir 30 hectares de prairies.

Il a repris la ferme avec sa mère Jocelyne l’année dernière, alors que son père prenait sa retraite. Nulle trace pourtant de l’activité d’élevage dans le nom de la nouvelle société familiale, « Les Plantes de Tomine ».

Dans la serre attenante, les effluves de cannabis CBD chatouillent le nez, à quelques dizaines de kilomètres du centre de Lyon. L’agriculteur de 27 ans explique, d’un ton pédagogue, les dessous de cette production démarrée un an plus tôt.

« C’est ici que je réalise mes semis, dont ceux de chanvre CBD. J’essaie de privilégier les belles variétés, avec du goût, plutôt que le volume. La biodiversité me passionne, j’en ai fait mes études. Après plusieurs contrats en tant que chargé de mission dans le Jura puis dans le coin, j’ai été responsable de culture dans une boîte tournée exclusivement vers la production de CBD. Ça s’est mal terminé, pour pleins de raisons. Mais ça a confirmé ma passion pour la plante et ses bienfaits. »

L’immense majorité du CBD vendue en France est produite à l’étranger

Les plants de CBD commencent leur vie sous serre. Photo Lucas Martin-Brodzicki/Rue89Lyon

Thomas Muzelle est alors persuadé qu’elle peut apporter beaucoup à l’exploitation de son père, dont il a hérité des mêmes yeux bleus.

« Il m’a dit que nous n’étions pas plus bêtes que les autres, que nous étions capables de le faire nous-mêmes. D’autant qu’aujourd’hui encore, la plupart des magasins français de CBD sont inondés de produits étrangers, souvent de piètre qualité. »

C’est là tout le paradoxe. Alors que la France est le premier producteur européen de chanvre industriel, utilisé pour la construction ou l’isolation, le gouvernement traîne des pieds dès lors qu’il s’agit d’aborder la question du chanvre bien-être. Ce cannabis, dont la teneur en THC – la molécule responsable des effets psychotropes – ne doit pas dépasser 0,3 % pour être commercialisé, est en revanche chargé en cannabidiol (CBD), une autre molécule aux propriétés relaxantes.

Thomas Muzelle dans sa parcelle dédiée aux aromatiques, non loin de Montagny (Loire), au nord de Lyon.Photo : Lucas Martin-Brodzicki/Rue89Lyon

Le 30 décembre 2021, la France a bien publié un arrêté autorisant la culture de fleurs, tout en interdisant leur vente sans transformation. Parmi les motifs invoqués, la difficulté pour la police de distinguer les têtes contenant du CBD de celles, illégales, chargées en THC.

L’agriculteur se retrouve en position de jongler avec cet imbroglio juridique, comme les autres cannabiculteurs français, alors que la filière se développe péniblement.

« Le 30 décembre au soir, je partais en soirée. Au final, j’ai passé mon temps au téléphone avec mon avocat. C’est un stress supplémentaire, alors que mes nuits ne durent souvent pas plus de quatre heures entre les vaches, les aromatiques, le chanvre, bientôt une production maraîchère. Il s’agit de la survie d’une filière qui pourrait tant apporter aux agriculteurs dans leur diversification », développe-t-il avec son léger accent du Sud, vestige de ses quelques années passées à Carcassonne.

Thomas Muzelle veut rester optimiste :

« Mais je reste positif, tant que la France fera partie de l’Union Européenne, ils ne pourront pas nous arrêter. »

Un cadre juridique instable malgré les débuts d’une filière CBD au nord de Lyon

Le 24 janvier 2022, nouveau rebondissement. Saisi par des commerçants du secteur, le juge des référés du Conseil d’État a suspendu à titre provisoire « l’interdiction de commercialiser à l’état brut des fleurs et feuilles de certaines variétés de cannabis, alors même que leur teneur en THC est inférieur à 0,3 % ».

En attendant un jugement sur le fond, Thomas Muzelle continue donc de vendre ses fleurs à fumer au marché de Montagny (dans la Loire) chaque mercredi, mais aussi à des magasins spécialisés. Ou bien directement à la ferme.

Il a aussi un site internet où s’affichent entre autres cosmétiques et infusions mélangeant CBD, verveine, menthe, camomille… Tout est transformé sur place, avec l’aide de sa mère Jocelyne et de sa conjointe Camille.

Les Plantes de Tomine transforment le CBD en divers produits.Photo : Lucas Martin-Brodzicki/Rue89Lyon

« J’essaie de sensibiliser les gens au fait qu’il y a un marché, que toutes ces pratiques liées au bien-être ont été injustement laissées de côté pendant des années. Mes clients ont entre 35 et 90 ans. Les plus jeunes arrêtent le THC grâce au CBD. Pour les autres, il s’agit de mieux dormir ou d’apaiser des douleurs », détaille-t-il.

L’année dernière, il a récolté environ une tonne de matière chanvrière sur ses près de 4 hectares dédiés. Alors que les agriculteurs ont connu une année 2021 catastrophique en raison du gel et que 2022 s’annonce également difficile, lui n’a perdu « que » un cinquième de sa production, en raison des précipitations intenses. Ce qui fait dire à l’agriculteur que le chanvre a une carte à jouer dans un climat bouleversé par l’activité humaine. Il plantera à nouveau cette année après les Saints de glace, avant une récolte six mois plus tard.

L’an dernier, Thomas Muzelle avait planté du CBD sur près de quatre hectares, au nord de LyonPhoto : DR

Pour défendre son modèle en polyculture-élevage biologique – sa production d’aromatiques est certifiée, en conversion pour le reste – Thomas Muzelle pense à la fois local et national :

« Je veux faire de ma ferme un espace de pédagogie. Avec des visites, du woofing. Mais aussi apporter au village du lien, c’est une demande très forte. Pour le potager, il est difficile de se fournir localement aujourd’hui. Je souhaite que les voisins viennent cueillir eux-mêmes leurs tomates. »

Le risque d’une industrialisation du CBD qui échappe aux agriculteurs

En parallèle, l’agriculteur du Beaujolais a rejoint l’Association française des producteurs de cannabinoïdes (AFPC). Regroupant environ 300 cannabiculteurs, son objectif est de pérenniser cette filière locale naissante, mais entravée. Joint par Rue89 Lyon, son porte-parole Jouany Chatoux, agriculteur sur le plateau de Millevaches dans la Creuse, résume les enjeux actuels autour de la culture du CBD :

« Comme Thomas Muzelle, je me suis diversifié grâce à la culture du chanvre pour un usage bien-être. Mais la filière historique ne veut pas entendre parler de circuit court, de vente de fleurs brutes. Ils ont une approche purement industrielle. Certains acteurs aimeraient contrôler de A à Z la production et faire des agriculteurs de simple faire valoir avec leur terre. »

Le Creusois établit un parallèle avec d’autres secteurs agricoles aujourd’hui déjà « cartellisés », comme les éleveurs de volailles sous contrat de production. Une situation qui l’interroge.

« L’enjeu, c’est d’avoir une filière agricole créatrice d’emplois et qualitative. Sur nos 300 adhérents, 60 % sont en agriculture biologique. Si la structuration de cette filière CBD échoue, on risque de se retrouver avec des multinationales dont l’unique objectif est la cotation en bourse. »

À l’entendre, il s’agirait d’un immense gâchis car, selon son analyse, le chanvre pourrait être une solution face au dérèglement climatique et aux difficultés financières des agriculteurs.

« Cette plante s’adapte à tous les terroirs. Il existe une multitude de profils génétiques si on nous donne l’autorisation d’explorer des variétés adaptées. Le cycle de production est court, avec une forte résistance aux sécheresses. Nous avons également pas mal d’adhérents sur la Vallée du Rhône. »

Et de conclure :

« Dans des régions viticoles ou arboricoles, comme le Beaujolais au nord de Lyon, la culture du cannabis CBD pourrait permettre aux agriculteurs de sécuriser une production via la diversification. Il suffit d’un hectare pour sortir un revenu suffisant si la législation nous permettait de travailler correctement. »


#CBD

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