A l’ouest du quartier de la Croix-Rousse et des pentes de la Croix-Rousse (respectivement Lyon 4e et Lyon 1er), le candidat de gauche Jean-Luc Mélenchon (LFI) a fait un carton au premier tour.
On peut notamment citer le bureau 411 à la Croix-Rousse (Lyon 4e) qui a choisi à 47,72% le candidat de la France Insoumise, ou le bureau 116 dans les pentes (Lyon 1er) qui a voté à 56,73% pour Jean-Luc Mélenchon.
Alors que celui-ci n’a pas indiqué de consigne de vote très claire pour le second tour -hormis de ne donner aucun vote à la candidate du Rassemblement National- quelle va être la démarche de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon le dimanche 24 avril 2022 ?
Rue89Lyon est allé à la rencontre des habitants du quartier, sur le petit marché alimentaire situé à quelques encablures de l’arrêt de métro Croix-Rousse. Abstention ou barrage à l’extrême droite ?
En ce mercredi matin, à quatre jours du scrutin, la tendance est difficile à estimer.
Sous le soleil timide d’un mois d’avril, entre deux stands de légumes, ils ont été plusieurs à déclarer ne pas vouloir se déplacer au second tour. Pourtant souriants et avenants, ils se sont refermés au mot « élection présidentielle », comme Bélyze, un graphiste d’une trentaine d’années :
« J’ai voté Mélenchon au premier tour, ne comptez pas sur moi au deuxième. C’est tout ce que j’ai à dire. »
Ou encore Audric, 25 ans et sans emploi, qui tente d’expliquer :
« Ce n’est pas que je ne m’intéresse pas à la politique ou que je ne saisis pas les enjeux, par exemple je suis de près ce qui se passe en Ukraine. Mais ça… Je crois que suis trop désabusé pour faire l’habituel choix entre peste et choléra. »
Ne pas voter au second tour : « C’est une posture de petits bourgeois blancs »
L’injonction à faire barrage au second tour est-elle devenue une « habitude » française, comme le sous-entend Audric ? Il semblerait que ce constat soit partagé par plusieurs personnes qui souhaitent s’abstenir dimanche prochain. Comme Marie, 41 ans, qui est fonctionnaire. C’est accompagnée de sa fille de 9 ans qu’elle lâche, excédée :
« J’ai voté à gauche au premier tour de cette élection. J’ai sagement fait barrage en 2002 et en 2017. On me demande de recommencer, je dis : ça suffit. On empêche l’extrême droite de venir au pouvoir en soutenant des candidats de plus en plus à droite, je crois que c’est contreproductif. »
Elle poursuit:
« Ils sont aussi méprisants les uns que les autres. Ça fait un paquet de fois que je ne vote pas pour qui j’ai envie mais contre des candidats qu’on m’a désignés. Je ne veux plus faire ça, c’est mon droit. »
Maud habite le quartier la Croix-Rousse depuis une quinzaine d’années. Âgée de 48 ans, elle est enseignante en collège. Elle a voté Mélenchon au premier tour et a désormais un avis très tranché au sujet des personnes qui souhaitent s’abstenir dimanche prochain :
« C’est une posture de petits bourgeois blancs. »
Maud déclare pourtant ressentir beaucoup de dégoût à l’idée de voter pour le président sortant :
« Je comprends mes amis qui se disent trop dégoûtés par la politique ultra libérale de [Emmanuel] Macron, mais on a une responsabilité à l’égard des personnes de ce pays qui pourraient être directement attaqués par l’État si Marine Le Pen est élue présidente. »
A la Croix-Rousse : « Je vais voter contre les fachos au second tour »
L’enseignante est aussi syndiquée CFDT. Elle ajoute :
« Si Emmanuel Macron annonce des réformes qui ne me plaisent pas, je serai la première à descendre dans la rue, mais là, on doit surtout éviter [Marine] Le Pen. »
Elle conclut :
« Je vois bien que Marine Le Pen est banalisée, qu’aujourd’hui il y a un vrai risque qu’elle passe. C’est très alarmant. Pourtant, ça semble beaucoup moins émouvoir qu’en 2002 et qu’en 2017 ; la preuve, mes élèves n’en ont quasiment pas parlé. »
Un constat partagé par Cécile, costumière. Âgée de 26 ans, elle travaille sous le statut d’intermittente du spectacle. Elle a déclare avoir longuement hésité avant de prendre sa décision :
« Je vais voter contre les fachos. C’est une décision qui n’a pas été automatique, alors qu’il y a cinq ans, si. »
Elle raconte l’évolution de sa pensée :
« Au début j’étais sûre de ne pas aller voter au second tour, ou de voter blanc. La France sous Emmanuel Macron a été un désastre pour le social, la santé, la culture… Tout ce qui fait qu’on vit en société en fait. Surtout qu’il n’est pas beaucoup moins raciste que Marine Le Pen : Gérald Darmanin [ministre de l’intérieur sous la présidence d’Emmanuel Macron] est alarmant quand il parle d’islam. »
« Emmanuel Macron a tout fait pour se retrouver contre les fachos au second tour »
La jeune lyonnaise raconte qu’elle a beaucoup lu la presse, et écouté des émissions politiques pour stimuler sa réflexion :
« Ces deux dernières semaines, j’ai écouté l’émission A l’air Libre de Médiapart. Je me la passe pendant que je travaille. Ça m’a rappelé mes cours d’histoire, ce que c’est qu’une nation fasciste. Ma grand-mère est italienne, elle a fui Mussolini. J’avais oublié les risques représentés par une éventuelle ascension au pouvoir de Marine Le Pen. »
Elle ajoute :
« Une chose est sûre, l’extrême droite, on sait quand elle prend le pouvoir, on ignore quand elle va le lâcher. »
Même si sa décision est prise, Cécile se projette avec amertume :
« De bout en bout c’est [Emmanuel] Macron qui a gagné. Il a tout fait pour se retrouver contre les fachos au second tour, et qu’on soit obligés de voter pour lui. Il a créé un contexte propice à ce que les gens se détestent, que la peur règne. »
Cécile déclare ne pas avoir de griefs à l’égard des personnes qui ne souhaitent pas voter Emmanuel Macron :
« J’ai une amie qui va voter blanc. Il y a cinq ans je ne l’aurais pas lâchée, j’aurais fait du prosélytisme. Aujourd’hui, je comprends qu’il y en ait vraiment marre. Je comprends ceux qui veulent s’abstenir. »
« C’était les juifs en 1933, et maintenant c’est les arabes »
Geneviève, 53 ans, exerce le métier d’agent immobilier. La croix-roussienne venue pour faire le plein de légumes frais au marché perd un peu de sa bonne humeur en entendant parler de l’élection présidentielle. Elle n’a pourtant pas voté pour la France Insoumise le dimanche 10 avril dernier :
« J’ai voté Jadot [Yannick Jadot, candidat EELV] au premier tour. Je savais qu’il ne passerait pas forcément mais j’avais vraiment envie de voter pour le candidat qui me correspondait le plus. »
La mère de famille compte « faire barrage » au second tour, et voter pour Emmanuel Macron [Président sortant]. Une décision qui s’est imposée à elle très naturellement, dès l’annonce des résultats du premier tour :
« J’ai des amis qui ne veulent pas voter du tout dimanche. Honnêtement, je ne les comprends pas. C’est vrai qu’elle [Marine Le Pen, candidate RN] s’est donnée des airs de gentille avec ses histoires de chats, mais moi, je n’y crois pas du tout. »
Geneviève fait référence à l’évocation régulière dans certains médias de la passion pour les chats de la candidate d’extrême droite. Elle tacle :
« C’était les juifs en 1933, et maintenant c’est les arabes. À l’époque, personne ne se doutait du tour qu’allait prendre les choses et, en même temps, le racisme avait été peu à peu normalisé. Ça sonne un peu familier non ? »
Pour le second tour, à la Croix-Rousse : « Qu’ils fassent leurs trucs entre eux »
Pour rappel, 1933 est l’année de l’ascension au pouvoir d’Adolf Hitler en Allemagne. Geneviève martèle :
« Je comprends le sentiment de déception et de frustration qui domine à l’idée de se retaper Emmanuel Macron, j’ai moi aussi été très déçue. Il n’a pas tenu une seule de ses promesses en matière d’écologie par exemple, alors que sa réforme des retraites, ça, il ne l’oublie pas. Mais je voterai pour lui, contre Marine Le Pen. »
Le projet de réforme des retraites a d’ailleurs été cité par la majorité des personnes interrogées ce mercredi matin à la Croix-Rousse, et jamais en termes élogieux. C’est notamment le cas de Serge, 68 ans et retraité :
« [Emmanuel] Macron a prévu de faire bosser les français jusqu’à ce qu’ils cassent leur pipe, ça lui évite de devoir s’intéresser aux conditions de vie des retraités. »
Le croix-roussien de naissance poursuit :
« Pourquoi j’irai voter pour des gens qui n’en ont -les uns comme les autres- complètement rien à faire des personnes comme moi, à la retraite ? Le coût de la vie augmente, alors on a augmenté le Smic, mais pas les pensions de retraite. »
Ancien militaire de carrière, il avait déjà du mal à s’intéresser à la chose politique :
« On avait ordre de ne pas s’impliquer en politique du temps où j’étais militaire. Maintenant on voudrait que je m’y intéresse, mais seulement deux jours tous les cinq ans, pour départager des gens qui sont presque pareils. J’ai du mal à me sentir concerné. Je dirai même que je m’en fous. »
Serge n’ira donc pas voter dimanche, mais il conclut, confiant :
« On sait tous que [Emmanuel] Macron va gagner, lui le premier. Marine Le Pen n’a pas les épaules, ça se voit. Qu’ils fassent leurs trucs entre eux. »
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