Actualités, enquêtes à Lyon et dans la région

Être paysan à l’Ouest de Lyon : « Si on reste tout seul dans sa ferme, ça ne sert à rien »

[Portrait] Depuis un an, Jean-René Bourrat est le premier paysan installé par l’association Terre de Liens à Savigny, à l’ouest de Lyon. À 30 ans, il reprend le terrain familial grâce à l’association qui achète le foncier. Et avec une idée sensiblement différente de la vie agricole. Rencontre avec un paysan qui veut faire primer le collectif pour travailler différemment.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89Lyon, abonnez-vous.

Jean-René et Jean-Noël Bourrat

Le temps est gris, ce mardi après-midi, à Savigny. Dans cette commune de l’ouest de Lyon, Jean-René Bourrat fait la visite des terrains un peu boueux de la Ferme du Petit Arbre. Le paysan ne peste pas trop contre la météo. Dans le Rhône, on gère plus les problèmes de sécheresse que d’inondation. Pour économiser l’eau, le trentenaire a mis en place un réseau sous-terrain avec une alimentation aux gouttes à gouttes. Non connecté au réseau agricole, il bénéficie également d’une retenue d’eau lui permettant d’éviter la pénurie.

La retenue d’eau de la ferme du Petit arbre.Photo : PL/Rue89Lyon.

Sous ses trois serres, des blettes et des salades couvrent une partie des 1200 m2 aménagés. « Bon, là, j’ai tenté les radis, mais c’est raté, montre-t-il du doigt. Faut bien apprendre ! » En extérieur, poireaux et choux sont sortis. Une partie est préservée, sous un engrais « vert » fait de seigle et de vesces, une légumineuse qui aide à fixer l’azote. En tout, une quarantaine de type de légumes sont plantés sur l’année.

« Dans l’idée, j’aimerais faire trois parcelles. Le but, c’est de faire la paille pendant trois ans sur l’une. Puis reprendre les récoltes », reprend-il en montrant les étendues vierges de terrain.

Un système remettant au goût du jour la « jachère » chère au paysan. Du moins, c’est ce qu’il espère prudemment. L’arrivée sur les terres remonte à seulement fin 2020.

Jean-René Bourrat et Gérard Lenne, membre de Terre de Liens, à la ferme du petit arbre.Photo : PL/Rue89Lyon.

Paysan à Lyon : un travail collectif

Jean-René Bourrat n’est pas trop du genre à se mettre en avant. Avant l’entretien, il nous a fait promettre de ne pas prendre de photos où il serait seul. Pas de page « insta » ou de promotion sur les réseaux sociaux pour être vu comme certaines fermes urbaines. La ferme du « Petit Arbre », référence à un souvenir de gamin avec ses frères, n’est pas trop dans la com’.

Sa capuche vissée sur la tête, il relativise son rôle dans l’entreprise et essaye de mettre en avant la dimension collective du projet.

« Quand je me suis installé, j’ai organisé une fête pour les personnes qui sont venues donner un coup de main, note-t-il. J’ai dû envoyer 75 SMS. »

Sa philosophie : lancer le projet sur de bonnes bases. Ensuite, tout le monde est le bienvenu pour y participer.

« Moi, j’ai juste investi dans les outils de production, indique-t-il. L’idée du projet, c’est que plusieurs personnes puissent venir s’associer. »

Un paysan informaticien vivant à Lyon ou la recherche d’un nouvel équilibre

Avec un stagiaire, Samuel, sa première salariée, Ophélie, et son frère jumeau, Jean-Noël, il développe 20 ha sur une parcelle de 26 ha rachetée par Terre de Liens. Le premier dossier bouclé par l’association à l’Ouest de Lyon (lire par ailleurs) à présent propriétaire des lieux. A côté de « JR », son frangin, « JN » vend les légumes ce mercredi. Objectif à terme : avoir les moyens de lui payer un mi-temps. 

Jean-René et Jean-Noël Bourrat à la ferme du petit arbre, à l’Ouest de Lyon.Photo : PL/rue89Lyon.

Avec son pull et son écharpe jaune, Jean-Noël est clairement le plus « urbain » des deux frères. Croix-roussien, il travaille en indépendant dans l’informatique. Est-il un « développeur paysan » ou un « paysan informaticien » ? On ne sait pas trop. En tout cas, le mélange a l’air de bien marcher.

« C’est terrible à dire, mais ça doit être cette vieille quête de sens qui m’a fait revenir », rigole Jean-Noël Bourrat quand on lui demande le « pourquoi » de ce « retour à la terre ».

Puis, il reprend, un poil plus sérieux :

« Il y a un vrai équilibre à trouver entre un métier concret et un autre. Moi, j’ai de la chance. Je sais ce que c’est que le travail des champs. Je sais que je ne voudrais pas y être à temps-plein. Mais un mi-temps, pourquoi pas. »

Malgré l’héritage familiale, cultiver une autre manière d’être paysan

Les deux frangins connaissent bien les lieux. Ils prennent en réalité la suite de leurs parents, éleveurs sur ce terrain durant 30 ans. Un retour aux racines ? Bof… Comme souvent, l’histoire familiale ne donne pas envie d’y retourner. Et pourtant.

D’abord étudiant sur les bancs de la fac à Lyon, Jean-René Bourrat a fait quelques boulots en usine avant de travailler six ans pour l’horticulteur Ferriere Fleurs. C’est de là que l’idée de reprendre une ferme a germé. Passionné par la pousse des plantes, il se lance dans le maraîchage.

Il passe d’abord un BPREA (brevet professionnel responsable d’entreprise agricole) en maraîchage. Puis, il cherche à reprendre une terre. Or, depuis 2019, ses parents ont arrêté d’élever des chèvres, à Savigny. Dans la foulée, il apprend que les propriétaires des lieux veulent vendre.

En février 2020, il se rapproche de Terre de liens. Objectif : que cette association solidaire puisse racheter le foncier. Comme beaucoup, le jeune paysan est freiné par les investissements conséquents nécessaires pour s’installer. Au final, l’association investit 140 000 euros dans le projet, avec les frais de notaire. De son côté, il met 100 000 euros dans les outils de production. Un poids financier tout autre sur ses épaules.

Un ancien modèle « humainement et économiquement pas toujours viable »

Jean-René Bourrat dans les champs de poireaux.Photo : PL/Rue89Lyon.

S’il cultive la terre de ses parents, son histoire est sensiblement différente. Finis l’élevage de chèvre et la production de fromage, il préfère le maraîchage. Finie également la vie à la ferme, hors de question de vivre sur place. Ça tombe bien, elle a été vendue avant son arrivée.

Fini également un mode de vie uniquement centré sur l’exploitation. Si Jean-René Bourrat aime à parler « collectif », c’est aussi parce qu’il a dans l’idée de travailler, peut-être, « moins » que ses parents.

« J’ai vu l’autre modèle. Franchement, c’est économiquement et humainement pas toujours viable. »

Dans l’idée, il se verrait bien travailler avec des personnes associées à mi-temps.

« Je pense monter une société coopérative. Mais bon, évidemment, ça prend du temps. »

En attendant, malgré son flegme apparent, il ne chôme pas.

« Je préfère largement faire 70 heures dehors que 35 heures dans un bureau ! »

De la vente directe, rien que de la vente directe, toujours de la vente directe

Sur ces 20 ha, il se verrait bien accueillir d’autres activités. Pourquoi pas faire des ateliers sur la ferme pour la présenter ? Pour penser à ça, il s’associe avec d’autres producteurs.

« Le but, c’est de se regrouper. Certains sont plus dans la pédagogie, d’autres moins. Quand on est tout seul dans une ferme, c’est des choses que l’on ne peut pas faire. »

Alors, ils se retrouvent. Un éleveur de cochon en plein-air à Saint-Julien-sur-Bibost, une commune voisine, une productrice de plantes médicinales à Savigny…

« Il y a des ventes à la ferme un peu partout. Mais, si on reste tout seul dans sa ferme, ça ne sert à rien. »

Ils essayent de monter un projet de marché dans une autre commune du secteur, à Sourcieux-les-Mines. Là-dessus, le fils Bourrat retrouve sa mère et son père. Comme ses parents, il cherche à vendre quasiment exclusivement en vente directe. Objectif : rapprocher le consommateur du producteur.

« Et le producteur ne fait rien tout seul, souligne-t-il. Il faut que le client connaisse les salariés aussi ! »

En plus de la vente à la ferme et du projet en cours, il vend à partir de mars au marché de Saint-Pierre-la-Palud, le vendredi. Son objectif : 80 % des ventes en visu. « Je ne regarde pas trop les chiffres, répond-il quand on lui demande combien il produit de légumes. Mais j’ai actuellement entre 90 et 100 clients par semaine. » Il fournit également une cantine scolaire. « Pour les gamins, ça a aussi du sens. »

A la Duchère, une Amap et un appel à la sécurité sociale alimentaire

A Lyon, il lance une AMAP à la Duchère. Dans le projet, il s’est mis en lien avec le centre social. Son but ? Pouvoir vendre dix euros le panier en tarif normal, et huit euros pour les personnes défavorisées. Ses produits restent chers, mais bio. Après 30 ans sur le terrain, ses parents n’ont passé la certification « AB » qu’en 2016 malgré des procédés identiques utilisés pendant des années. Sa mère, « pas très label », ne s’y est résignée que pour préparer la succession.

Sur le sujet, il grommelle :

« Si je baisse les prix, je ne me verse pas de salaire et si je mets les prix classiques du bio, ça peut ne pas marcher pour certains », note-t-il.

Dans l’idéal, il plaide pour une sécurité sociale de l’alimentation pour que tout le monde ait accès à de la nourriture de qualité. Un sujet dont on parle peu. Alors, il tente de le placer.

« Attention hein, je ne fais pas de politique », rectifie-t-il. Avant de se reprendre : « Enfin, je ne fais pas de communication. » Ça, on l’aura compris.


#Agriculture

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles

À lire ensuite


Partager
Plus d'options
Quitter la version mobile