Le 15 février dernier, à la veille de la réouverture des boîtes de nuit, le gouvernement annonçait un « plan national contre le GHB », en partenariat avec l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH). Ce plan consiste principalement en une campagne « pour alerter les personnes sur le danger de cette pratique qui fait des ravages dans le monde de la nuit », d’après le site du gouvernement.
Au niveau local, Thierry Fontaine, président de l’UMIH pour le Rhône, le préfet Pascal Mailhos et plusieurs dizaines de professionnels du monde de la nuit du Rhône se sont réunis le 3 mars dernier pour discuter du GHB.
En est ressortie une campagne anti-GHB déclinée localement, dont l’objectif est avant tout de dissuader les agresseurs. Pour certains professionnels et associatifs qui travaillent sur la question, on se trompe de cible et de problème.
Le GHB, un dosage difficile qui peut être fatal
Depuis la réouverture des bars cet été, la presse relaie régulièrement des témoignages de personnes droguées à leur insu. A Lyon, quelques jours après la réouverture des boîtes de nuit, une jeune femme témoignait auprès de Rue89Lyon d’une soirée cauchemardesque passée à prendre soin d’une de ses amies, vraisemblablement droguée dans un bar de la rue Désirée.
« A partir de septembre, j’ai regardé ce qui se passait en Europe, surtout en Angleterre et en Belgique où les cas de personnes droguées au GHB grimpaient, raconte Thierry Fontaine, de l’UMIH. En France, les modes de consommation ont évolué pendant le confinement. Au bout de quelques mois, des fêtes privées ont été organisées dans des AirBnb. Avec l’ubérisation du trafic de drogue, il était possible de se procurer de tout : alcool, cocaïne, héroïne… L’accès de gens lambda au GHB a été grandement facilité. Et ça ne s’est jamais arrêté. »
Dans la ligne de mire du gouvernement comme de l’UMIH : le GHB, fréquemment surnommée « la drogue du violeur ». De son vrai nom « acide gamma-hydroxybutyrate », le GHB est une substance naturellement présente dans le corps humain, en très faible quantité. Il a été synthétisé pour la première fois dans les années 60 et utilisé comme anesthésiant en raison de ses propriétés sédatives, puis à des fins récréatives pour ses effets désinhibiteurs. Le GHB peut aussi être glissé discrètement dans un verre en soirée.
Une erreur de dosage peut être fatale, prévient Thierry Fontaine :
« Si on dépasse la dose, ne serait-ce que de deux ou trois millilitres, avec en plus de l’alcool, on peut faire un coma, un AVC, un arrêt cardiaque… Ça peut même être fatal. Sans parler du traumatisme pour la personne droguée à son insu. »
Aux États-Unis, le décès d’une adolescente ayant été droguée au GHB à son insu a jeté une lumière crue sur les utilisations détournées du produit à la fin des années 80. En France, il a été classé sur la liste des stupéfiants en 1999, et interdit de vente et d’usage au grand public. Le GHB a rapidement été remplacé par un solvant industriel qui possède des effets similaires, l’acide gamma-butyrolactone, plus connu sous le mon de GBL, dont la vente au grand public a été restreinte en 2011.
« Quand tu sors, fais gaffe à ton verre. »
Pour Thierry Fontaine, une grande partie des agresseurs qui droguent des personnes à leur insu n’ont ni conscience des risques qu’ils font courir aux victimes, ni des poursuites pénales qu’eux-mêmes encourent.
« On veut mettre fin aux agissements de tous ces gamins qui font des trucs débiles. C’est comme dans les écoles où il y a de vrais problèmes de bizutage et dans les grosses soirées étudiantes. Il faut leur faire comprendre que ce n’est pas un jeu. »
Ainsi, un dispositif fréquemment mis en avant depuis des décennies est le capuchon à fixer sur son verre.
« Ça ne marche pas, tranche Thierry Fontaine. On a essayé dans plusieurs bars et boîtes, il y a très peu de gens qui l’utilisent et au bout de deux ou trois verres ils l’enlèvent. »
Pour lui, pas question de faire porter aux client·es la responsabilité de prendre les mesures nécessaires pour ne pas être drogué·es à leur insu. Il se félicite de la participation de 70 établissements du Rhône à la réunion du 3 mars sur la question.
« Nous avons demandé aux établissements de sensibiliser leurs employés à l’importance du partenariat avec l’État et les forces de l’ordre, parce qu’on ne peut pas combattre ce fléau seuls, mais aussi à l’importance du bon sens. Le personnel doit être plus vigilant quant à l’attitude des clients. Il ne faut pas rendre les victimes responsables ! »
Pour autant, la campagne ne semble pas aller uniquement dans le sens de la protection des potentielles victimes. Si les affiches rappellent les risques sanitaires (coma, AVC…) et les sanctions pénales encourues par les agresseurs (5 ans de prison et 75 000 euros d’amende), une petite phrase tout en haut glisse insidieusement aux victimes potentielles : « Quand tu sors, fais gaffe à ton verre. »
GHB, GBL ou benzodiazépines dans votre verre ?
Sur le terrain, de nombreuses associations tentent de sensibiliser à la « soumission chimique », qui définit, d’après l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), « l’administration à des fins criminelles (viols, actes de pédophilie) ou délictuelles (violences volontaires, vols) de substances psychoactives (SPA) à l’insu de la victime ou sous la menace ».
A Lyon, l’association Keep Smiling fait un travail d’information quant à la réduction des risques en milieu festif en Rhône-Alpes. Pour Alexandra, salariée de l’association, ces campagnes se trompent d’objectif, de cible, et même de problème :
« Les gens mal intentionnés qui tentent de faire consommer quelqu’un a son insu trouveront toujours une molécule ou un moyen de le faire, GHB, GBL ou non. Cibler un produit n’a jamais fonctionné, on ne fait que déplacer le problème. »
Se pose également la question de savoir quels produits circulent exactement. Difficile de croire que le GHB soit encore systématiquement utilisé, d’après Alexandra.
« Aujourd’hui, il est beaucoup plus facile d’aller chercher des benzodiazépines ou autres médicaments avec des effets sédatifs dans une pharmacie que de se procurer du GHB. Mélangés à de l’alcool, ils auront les mêmes effets de black-out, d’endormissement… »
« Le premier réflexe à avoir, c’est appeler le centre anti-poison. »
Le centre d’addicto-vigilance et anti-poison du Rhône et de la Loire assure une veille sanitaire sur les usages de drogues et les usages détournés de médicaments. Aucun signal particulier concernant une circulation accrue de GHB n’a été constaté pour le moment. Cécile Chevallier, praticienne au centre, pointe du doigt la difficulté d’identifier la substance responsable.
« De nos jours, en usage récréatif ou dans des cas de soumission chimique, c’est du GBL. Il va être métabolisé en GHB dans le corps. Le problème, c’est qu’on a tous un peu de GHB naturellement dans le corps, et qu’il faut une très petite dose de GBL ou de GHB pour une soumission chimique. »
Bien souvent, les victimes mettent quelques heures, voire plusieurs jours, à reprendre leurs esprits. Il est alors trop tard, explique Céline Chevallier :
« Les laboratoires de ville ne peuvent pas dépister ces substances, il faut un laboratoire d’unité médico-judiciaire ou hospitalier. Le GHB ne reste que 4 à 5 heures dans le sang, et entre 12 et 24 heures dans les urines. Souvent, les victimes appellent trop tard. Des analyses plus tardives sont possibles sur les cheveux, mais elles coûtent très cher. »
Et d’insister :
« Le premier réflexe à avoir, c’est appeler le centre anti-poison. »
A Lyon, le centre anti-poison local se trouve dans les locaux de l’hôpital Edouard-Herriot, dans le 3e arrondissement. Il est joignable 24h/24H et 7j/7j, pour renseigner les personnes qui pensent avoir été droguées à leur insu et les orienter.
« Dire non au GHB, ça ne veut rien dire. C’est les comportements d’agresseurs qu’il faut éradiquer. »
Pour Céline Chevallier, le coup de projecteur médiatique actuel sur des empoisonnements supposés au GHB ne doit pas faire oublier les ravages d’une drogue dont on se méfie bien moins : l’alcool.
Alexandra, de Keep Smiling, partage ce constat, et déplore une campagne « anti GHB » qui n’aborde pas le fond du problème :
« On passe à côté. On ne parle pas du phénomène global de soumission chimique. Il ne faut pas oublier que la première drogue du viol, ce n’est pas le GHB mais l’alcool. Dire non au GHB, ça ne veut rien dire. C’est les comportements d’agresseurs et d’abus qu’il faut éradiquer. »
Avec une question fondamentale pour l’association : la prise en charge des victimes par les établissements.
« On n’éradiquera pas les agresseurs, on peut éventuellement en dissuader ou en éduquer certains. Il faut former les patrons de bars à l’accueil d’une personne victime de soumission chimique, qu’elle soit entendue, écoutée, qu’on lui donne les informations nécessaires pour aller se faire dépister ou porter plainte si elle le souhaite. »
Du côté de la Ville de Lyon, on affirme une volonté de développer une campagne lyonnaise d’ici cet été.
« J’ai eu connaissance de la recrudescence du phénomène via #BalanceTonBar, précise Céline De Laurens, adjointe à la Santé. J’ai mis le sujet sur la table au dernier Conseil lyonnais de la nuit. Nous avons une volonté de travailler avec l’UMIH sur le sujet pour sécuriser la reprise d’une vie nocturne à Lyon. »
Alexandra, elle, déplore également que les associations de réduction des risques comme Keep Smiling n’aient pas été consultées pour développer ce plan anti-GHB. même son de cloche du côté de Céline Chevallier regrette que le centre d’addicto-vigilance et anti-poison n’ait pas été associé non plus à cette campagne. Peut-être le seront-ils davantage lors de la mise en place de la campagne lyonnaise.
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