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Vaccin contre le Covid-19 : « Il ne faut pas croire que les habitants de Saint-Fons sont perdus ! »

À Saint-Fons, commune située au sud de Lyon, la vaccination contre le Covid-19 n’a pas rencontré un franc succès. Il s’agit d’une des communes qui a le plus faible taux de vaccination de la métropole, particulièrement chez les jeunes.

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Vaccin contre le Covid-19 : « Il ne faut pas croire que les habitants de Saint-Fons sont perdus ! »

. Reportage.

Ce jeudi 20 janvier, entre midi et deux, le centre de Saint-Fons ne fourmille pas d’activité. Sauf devant les pharmacies où de longues queues débordent parfois sur la rue. La plupart du temps, celles-ci sont constituées de mamans, attendant avec leur enfant des autotests demandés par l’école.

Dominique Rosso est pharmacien dans le centre-ville, l’un des seuls professionnels accessibles pour la vaccination contre le Covid-19. Un vaccin vers lequel les Saint-Foniards ne se ruait pas jusqu’à récemment. De derrière son comptoir, il essaye d’analyser la situation vaccinale locale :

« Saint-Fons est une commune populaire, beaucoup d’habitants sont précaires. Il y a aussi beaucoup de personnes qui sont très réfractaires au vaccin. Peut-être parce qu’ils sont moins exposés aux discours institutionnels. »

Le pharmacien fait part de sa lassitude :

« On a beau, expliquer, présenter des données… Il y a des personnes qui n’en démordent pas, pour eux le vaccin est carrément dangereux. La phrase qui revient souvent c’est « Je n’ai pas confiance ». Que la défiance soit à l’égard du gouvernement, ou des laboratoires pharmaceutiques, OK. Moi, je me lasse un peu d’expliquer. »

« À Saint-Fons, je n’ai plus aucune place jusqu’au 15 mars pour le vaccin contre le Covid »

Dominique Rosso cite les raisons fréquemment invoquées par ses usagers pour ne pas se vacciner :

« Il y a cette idée que ça ne sert à rien de se faire vacciner, parce qu’on peut quand même attraper le Covid-19. On me dit souvent des choses comme « Mon cousin était vacciné et il est tombé malade quand même » alors j’explique que la plupart des cas graves en service de réanimation ne sont pas vaccinés. »

Il donne un autre exemple :

« On me dit aussi « Je suis jeune et en bonne santé, je ne risque rien », et je les informe qu’il y a beaucoup de jeunes non-vaccinés en service de réanimation, mais je n’ai pas l’impression d’avoir beaucoup d’impact. »

Le pharmacien note tout de même une amélioration récente. Celle-ci s’est manifestée par le soudain désir exprimé par de nombreux adultes de se faire vacciner. Celui-ci probablement motivé par la récente décision prise par le gouvernement de rendre le pass vaccinal obligatoire.

« Ça leur a pris d’un coup. Là, je n’ai plus aucune place jusqu’au 15 mars. »

Dominique Rosso raconte que sa pharmacie peine à répondre à cette récente demande. Beaucoup sont des primo-vaccinés, et il est nécessaire de leur administrer deux doses pour que leur couverture vaccinale et leur pass soient valides.

« A Vaulx-en-Velin et à Vénissieux, j’ai rencontré plus de jeunes vaccinés »

Sarah B. est étudiante en 4e année de médecine à la fac de Lyon Sud. Cela fait une semaine qu’elle officie dans un petit bureau qui donne sur la rue Léon Gambetta, réhabilité temporairement en centre de dépistage sans rendez-vous. C’est une pharmacie de Vénissieux qui occupe ce local mis à disposition par la mairie de Saint-Fons.

Devant la vitrine, un panonceau est posé à-même le sol. On peut y lire, écrit en lettres capitales : « Examen dépistage test antigénique en 15 minutes gratuit » accompagné d’un petit pictogramme représentant un monsieur à qui on rentre un bâtonnet dans le nez. Une pancarte qui vaut à Sarah B. un redondant quiproquo :

« Ma pancarte date de cet été. Il y est écrit noir sur blanc « dépistage gratuit » alors j’ai vraiment beaucoup de non-vaccinés qui rentrent en se disant que, pour une fois, ils n’auront pas à payer leur dépistage. À chaque fois je leur dis qu’ici aussi c’est payant, ce n’est pas très rigolo. »

Centre de dépistage temporaire, rue Léon Gambetta à Saint-Fons.Photo : LS/Rue89Lyon

En effet, depuis le 15 octobre 2021, les dépistages sont payants pour les non-vaccinés. Le prix du test varie entre 25 et 45 euros en fonction du jour, du lieu et du praticien.

Interrogée sur les éventuelles causes de cette non-vaccination, la jeune étudiante originaire de Vénissieux repousse en bloc l’idée que le choix de ne pas se faire vacciner puisse être favorisé par des situations de précarité :

« Pour moi, ce n’est vraiment pas une question de milieu social. J’ai dépisté à Vaulx-en-Velin et à Vénissieux, qui ne sont pas des villes beaucoup plus riches et il y avait plus de jeunes vaccinés. »

Elle compare son expérience avec ses observations des semaines précédentes, qu’elle a passées à dépister dans le 6e arrondissement de Lyon, bien plus cossu que Saint-Fons :

« Quand j’ai dépisté dans le 6e, j’ai été très étonnée du nombre de personnes un peu âgées qui venaient se faire dépister et qui n’étaient pas vaccinées. Alors que les jeunes étaient quasiment tous vaccinés. »

« Il y a cette idée que les personnes qui se font vacciner sont des moutons »

Alors comment comprendre ce phénomène ? Pour Sarah B. il s’agit avant tout d’une question de réseau :

« Je viens de Vénissieux. On peut y voir les mêmes tendances, même si c’est moins fort qu’à Saint-Fons. Pour moi c’est surtout une question de pression des pairs. Dans certains groupes de jeunes il y a cette idée que les personnes qui se font vacciner sont des moutons. Et ça, ça dépasse les questions d’argent et de milieu social. »

Sarah B. pointe non-seulement du doigt la responsabilité des réseaux sociaux, mais aussi les groupes de conversations privées entre amis, où les participants s’échangent continuellement un grand nombre d’informations erronées :

« Pendant un moment, je recevais régulièrement des messages comme quoi le vaccin était responsable de péricardites. Des fois, je réussissais à désamorcer la peur chez les gens qui m’en parlaient. Il suffisait que quelqu’un remette une fausse information dans une conversation de groupe, et ça réactivait le sentiment de méfiance. »

Elle conclut :

« Dans certains groupes de copains, c’est devenu quelque chose de trop important pour qu’on puisse revenir dessus. »

« Je ne comprends pas que les gros médias ne parlent pas des risques du vaccin »

Sélim B. et Yohann F. attendent leur bus à l’arrêt Rochette, dans le quartier des Clochettes. Le premier travaille dans le bâtiment tandis que l’autre est sans emploi. Les deux jeunes ont entre 23 et 25 ans, habitent le quartier, et, pour l’instant, ils ne sont pas vaccinés. Pour Sélim B., ne pas avoir de pass sanitaire ne l’handicape pas trop au quotidien :

« Nous on n’en a pas besoin, on ne va pas au cinéma, pas trop au restaurant… ou alors on prend à emporter. Ensuite ils ne vérifient pas partout que tu l’as, le pass sanitaire. »

Le quartier des Clochettes, avec à droite, l’arrête de bus Rochette, à Saint-Fons.

Les deux jeunes hommes témoignent de beaucoup de méfiance à l’égard du vaccin. Par exemple, Yohann F. déclare :

« Même [le président Emmanuel] Macron a essayé de ne pas se faire vacciner. »

Il fait ici référence à l’affaire irrésolue de l’hypothétique vaccination tardive du président de la république.

Il cite régulièrement Facebook comme « source » pour appuyer de nombreuses théories sur les dangers de la vaccination. Il poursuit :

« Il y a eu des problèmes avec le vaccin mais comme ce n’est pas médiatisé, on décrédibilise les personnes qui ne veulent pas se faire vacciner. Je ne comprends pas que les gros médias ne parlent pas des risques du vaccin. »

Yohann F. fait aussi un parallèle avec la célèbre histoire de 1991, où l’état français a été reconnu responsable de ne pas avoir protégé la population de transfusions sanguines contaminées par le sida et l’hépatite C :

« C’est comme le scandale du sang contaminé. Le moment où on saura que le vaccin est dangereux, ce sera trop tard. »

Pour les deux jeunes hommes, même l’argument de la nécessité de protéger les plus à risques est sans effet. Yohann F. reprend :

« C’est notre liberté. Même les vaccins à la naissance, pour moi, ça relève des libertés de chacun. Forcer comme ça, ce n’est pas normal. »

Sélim B. tente d’atténuer le discours de son ami en assurant qu’ils prennent tout de même des précautions pour éviter la contamination :

« Quand quelqu’un est malade, on le sait et on ne va pas le voir. »

Le vaccin contre le Covid serait peu accessible de Saint-Fons

Sylvie Muscedere est directrice et coordinatrice de parcours de soins à la Communauté professionnelle territoriale de santé de Vénissieux et de Saint-Fons. Elle a participé à la coordination de la dizaine d’actions de vaccinations temporaires qui ont été réalisées à Saint-Fons.

Pour elle, c’est avant tout les problématiques d’accessibilité qui ont entravé une vaccination plus importante dans la commune :

« Les lieux de vaccination sur rendez-vous ont toujours été pleins, mais les lieux de vaccination temporaires et sans rendez-vous n’étaient pas toujours visibles et connus par tous. »

Les dix journées de vaccination qui ont été organisées à Saint-Fons ont eu lieu dans le quartier des Clochettes, au complexe sportif Ambroise Croizat ainsi qu’au gymnase Simone de Beauvoir. Chaque journée de vaccination était accompagnée par une campagne de sensibilisation sur les marchés de la commune.

Sylvie Muscedere considère que le centre de vaccination permanent qui ouvre le 25 janvier à Saint-Fons va grandement améliorer la situation. Situé à quelques pas de la mairie, il sera possible de s’y faire vacciner tous les mardis et mercredis pendant au moins les quatre prochaines semaines.

Pour la directrice de parcours de soins qui compare Saint-Fons avec Vénissieux, la présence d’un centre de vaccination permanent à Vénissieux a eu un impact très positif sur le nombre de vaccinés, creusant la différence entre les deux villes voisines :

« Quand on va vers les personnes, elles se font vacciner. Et s’il y a des sceptiques, ça les rassure. Par exemple à Vénissieux on a emprunté un camion de l’Etablissement Français du Sang et on est passé dans chaque quartier pour vacciner. On s’est rendus compte que comme ça, on touchait vraiment plus de gens. »

Malika Lagrimite est élue à Saint-Fons. Conseillère municipale déléguée à l’économie sociale et solidaire, elle a a participé à la mise en œuvre de la stratégie vaccinale à Saint-Fons avec Fatima Merbaki, déléguée à la santé ainsi que Lucie De Pasquale déléguée au Centre Communal d’Action Sociale (CCAS). Elle partage le constat de Sylvie Muscedere.

Pour l’élue, les Saint-Foniards ont été mis à l’écart de la politique vaccinale globale dans la métropole :

« On aurait bien aimé avoir un centre permanent, on en a fait la demande dès le début de la campagne de vaccination. Pendant les journées vaccination, les habitants craignaient déjà de ne pas trouver de lieu accessible pour réaliser la deuxième dose. »

L’élue aborde le manque de doses et de places disponibles chez les généralistes et les pharmaciens de la commune. De plus, elle souligne l’isolement de Saint-Fons du reste de la métropole et impute une part de la responsabilité à une offre de transports en commun insuffisante :

« La population de Saint-Fons n’est pas bien différente de celle de Vénissieux ou Vaulx-en-Velin. Les 1 ou 2% de différence en nombre de vaccinés sont surtout dus à l’absence de centre de vaccination, et de moyens rapides de se rendre à ceux qui se trouvent le plus près. »

Hormis le TER qui joint le nord de Saint-Fons à la gare de Jean Macé (Lyon 7è) en quelques minutes, la commune n’est reliée à la ville de Lyon que par des bus qui serpentent dans les quartiers et qui peuvent mettre plus de trois quarts d’heure à atteindre le centre de Lyon.

Malika Lagrimite, conseillère municipale déléguée à l’économie sociale et solidaire. Elle a a participé à la mise en œuvre de la stratégie vaccinale à Saint-Fons.Photo : LS/Rue89Lyon

« Il ne faut pas croire que les habitants de Saint-Fons sont des perdus ! »

Interrogée au sujet d’un éventuel rapport de causalité entre le refus de se faire vacciner et la précarité de certaines populations, l’élue s’emporte :

« Je ne crois pas que c’est parce qu’on est riches ou moins riche qu’on se vaccine ou non. Il ne faut pas croire que les habitants de Saint-Fons sont des perdus ! »

L’élue reconnaît que le bouche-à-oreille est important dans la vie sociale à Saint-Fons, mais que celui-ci « va dans les deux sens » et qu’il ne faut pas donner trop d’importance à un discours alarmiste qui prétendrait que les habitants sont foncièrement opposés au vaccin.

Elle ajoute :

« C’est vrai qu’il y a un important travail de pédagogie à faire. Il est nécessaire de ne pas brusquer les habitants, et il n’est pas non-plus question de les forcer à faire quoi-que-ce-soit. Nous, les élus, on incite à et on ouvre les lieux, mais on ne va forcer personne. »

En attendant d’avoir réussi à convaincre tout le monde, la commune investit pour protéger ses habitants :

« Il y a des parents vaccinés qui ne se sentent pas prêts à vacciner leurs enfants car ils ont encore peur par exemple. C’est comme ça. On fait de la sensibilisation dans les collèges par exemple et on a aussi décidé d’investir à hauteur de 13 000 euros dans des purificateurs d’air pour en équiper tous les groupes scolaires de la commune. »

Pour l’élue, ce n’est qu’une question de temps avant que Saint-Fons ne remonte son taux de vaccination par habitant :

« Je ressens une amélioration. À la veille des fêtes de fin d’année, il y a énormément de personnes qui sont venues à la journée de vaccination sans rendez-vous. L’ouverture du centre le 25 janvier va nous faire remonter les chiffres à toute vitesse. »


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